jeudi 16 juin 2011

Pouvoir nommer ses émotions

"-Dalaï-lama : En tibétain nous avons deux termes différents [pour désigner le concept d’orgueil]. Cet état est appelé « popa », qui correspond l’anglais « pride ». Puis la suffisance, plus négative, appelée « ngagyal », qui signifie littéralement « victoire personnelle ».
-Paul Ekman : Je ne connais pas assez bien les autres langues pour en parler, mais l’anglais me semble assez pauvre dans sa dénomination des différentes émotions. Si nous n’avons pas de mots pour décrire les états différents, comme ces deux mots en tibétain, alors on ne peut pas y penser et les anticiper. On ne peut pas se discipliner autant parce que nous ne disposons pas des mots qui se réfèrent à ces émotions. Sans mots, on ne peut pas réfléchir sur ce qui s’est passé ou pourrait se passer.
Nous sommes, en un certain sens, des animaux qui ne disposent pas, au moins en anglais, d’assez de mots pour décrire la diversité de notre expérience émotionnelle, notamment quand ces émotions sont destructrices contre constructives. Sans les noms différents pour chaque état mental, il est difficile de pouvoir réfléchir à leur nature et à notre façon de s’exprimer dans des épisodes émotionnels futurs.
À l’automne 2000, B. Alan Wallace, Matthieu Ricard, Richard Davidson et moi avons passé cinq jours dans un cabanon à la campagne, à écrire un article intitulé « Buddhist and Psychological Perspectives on Emotions and Well-Being » (Bouddhisme et perspectives psychologiques sur les émotions et le bien-être) ». L’un des premiers points de cet article est le concept de « sukha ». Dans la littérature bouddhiste, le « sukha » est défini comme un état d’épanouissement qui émane d’un équilibre mental et d’une compréhension de la nature de la réalité. Plutôt qu’une émotion ou une humeur fugitive provoquée par des stimuli sensoriels et conceptuels, le « sukha » est un trait durable qui provient d’un esprit dans un état d’équilibre et qui implique une conscience non structurée et non filtrée de la vraie nature de la réalité. Nous n’avons rien qui ressemble à ce concept en anglais. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas, mais nous n’avons pas de nom pour ça".

Dalaï-lama, entretien avec Paul Ekman, « La voie des émotions », City Poche, 2008, p. 89-90

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