lundi 30 janvier 2012

Creer le lien

"Essayons de percevoir le meilleur de chacun, de voir l’autre sous le meilleur éclairage possible. Cette attitude crée immédiatement un sentiment d’affinité, une sorte de prédisposition à établir un lien."

Le XIVème Dalaï-Lama, cité dans « Offrandes, 365 pensées de Maîtres bouddhistes » de Danielle et Olivier Föllmi, Éditions de La Martinière 2008, pensée du 12-10

Rencontre au Niger

Histoire d'un pauvre homme

"Le Bouddha compare souvent l’esprit naturel à de l’eau qui, par elle-même, est toujours claire et pure. De la boue ou d’autres substances peuvent la souiller momentanément, mais on peut lui rendre sa clarté naturelle en la filtrant, par exemple. Si elle n’était pas claire par nature, aucun filtre n’y changerait rien. Le Bouddha illustra le premier pas vers la reconnaissance des qualités de l’esprit naturel par une allégorie.
Un homme très pauvre vivait dans une vieille maison en ruines dont le sol et les murs étaient incrustés d’un grand nombre de pierres précieuses, mais il n’en connaissait pas la valeur. Bien qu’il possédât un trésor, il vivait donc d’aumônes et souffrait du froid l’hiver, de la canicule l’été, et de la faim tout le temps.
Un jour, un ami lui demanda : « Pourquoi vis-tu comme un misérable ? Tu n’es pas pauvre, tu es même très riche !
- Tu es fou ! Comment peux-tu me dire une chose pareille ?
- Regarde donc autour de toi ! Ta maison est incrustée de pierres précieuses, de diamants, de rubis, d‘émeraudes, de saphirs ! »
Tout d’abord, le mendiant n’en crut pas un mot. Mais au bout d’un certain temps, il se posa des questions, enleva une pierre du mur et essaya de la vendre en ville. Le marchand à qui il la montra lui en offrit un prix incroyable. Avec cet argent, il put s’acheter une maison neuve dans laquelle il déposa toutes les pierres précieuses qu’il avait trouvées dans l‘ancienne. Il s’acheta des vêtements neufs, remplit sa cuisine de nourriture, engagea des serviteurs et se mit à vivre dans un grand confort.
Maintenant je vous pose une question. Qui est le plus riche, l’homme qui vivait dans la vieille maison, entouré de joyaux sans le savoir, ou celui qui a compris la valeur de ce qu’il possède et jouit d’un parfait bien-être ? Comme pour la pépite d’or, la réponse est « ni l’un ni l’autre », car l’un et l’autre détiennent le même trésor. La seule différence est que, pendant de nombreuses années, le premier n’a pas eu conscience de ce qu’il possédait. Ce n’est que lorsqu’il a reconnu sa véritable condition qu’il a pu se libérer de sa misère et de sa souffrance.
Il en va de même pour nous. Tant que nous ne reconnaissons pas notre véritable nature, nous souffrons. Une fois que nous la reconnaissons, nous sommes en mesure de nous libérer de la souffrance."

YONGEY MINGYOUR Rinpotché, « Bonheur de la méditation », préfacé par Matthieu Ricard, Le livre de poche n°31 349, 2009, p. 101-102

Bénin, grenier à céréales

dimanche 29 janvier 2012

Semblables à des morts

"Dans l’Étranger, Albert Camus décrit un homme qui allait être exécuté. Assis seul dans sa cellule, l’homme aperçut un morceau de ciel bleu à travers la lucarne et, tout à coup, se sentit profondément relié à la vie, dans l’instant présent. Il se jura alors de passer les jours qui lui restaient à vivre en étant totalement présent, appréciant pleinement chaque instant. … Nous sommes tous vivants mais certains d’entre nous, ne sachant pas toucher la vie dans le moment présent, le sont moins que d’autres. Comme l’a dit Camus, nous sommes semblables à des morts."

Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant, vivre en pleine conscience », Marabout n°3655, 2011, p.10

Arbre mort, Niger

Avoir aussi de la compassion pour le bourreau

"LAMA JIGMÉ : Dans le bouddhisme, on considère que tous les êtres, quelles que soient leurs conditions actuelles, heureuses ou malheureuses, méritent notre compassion. Même lorsque quelqu’un ne connaît pas de difficulté apparente, nous sommes attentifs à sa condition d’être humain, aux souffrances latentes qu’il porte certainement en lui, et aux causes de souffrances futures qu’il est susceptible de créer. D’ordinaire, par exemple, si une personne agit de manière très négative, nous éprouvons à son égard un profond rejet, parfois même de la haine. Mais si nous prenons conscience – une vive conscience – des conditions douloureuses qu’elle rencontrera dans le futur du fait du karma [conséquence de l’action : un acte entraîne inévitablement un résultat] très négatif qu’elle génère, alors il naît en nous un authentique sentiment de compassion. Ainsi, imaginons quelqu’un qui, sans réaliser ce qu’il fait, est en train d’absorber un poison violent. Témoins de la scène et sachant que c’est du poison, nous nous rendons compte que la personne est en train de se détruire, qu’elle risque de mourir dans de grandes souffrances. Nous n’allons pas la laisser faire sans réagir. Nous sommes incités à intervenir et à lui éviter le pire. Il en va de même avec un être aux comportements négatifs. Au-delà des actes nuisibles qu’il commet, nous pouvons éprouver pour lui une authentique compassion. C’est une vision plus large et plus vraie de la situation qui nous aide à ne pas nous fixer sur la personnalité (ce qu’elle exprime sur le moment et qui peut nous choquer), mais sur l’être humain qui est en face de nous, dont nous comprenons qu’il va éprouver, du fait de ses actes, des conditions pénibles et douloureuses dans le futur.
C’est cette attitude de l’esprit que nous appelons la compassion pour tous les êtres : l’envie profonde de les aider tous, sans exception, ceux qui souffrent aujourd’hui, mais aussi les autres qui sont susceptibles de souffrir plus tard. Beaucoup de gens en effet ont de la compassion pour les victimes, ce qui est juste, mais il faut aussi apprendre à développer de la compassion pour les bourreaux et ne pas rentrer dans un cercle infernal de haine et de vengeance."

« Le Moine et le Lama », Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 88-89

Vautours percnoptères, Niger

Faire la gueule

"... « Faire la gueule » peut être un mécanisme actif de défense : ce n’est pas qu’on ne peut pas ressentir d’états d’âme agréables, c’est qu’on ne veut pas, parfois. Parce que ce n’est pas comme ça qu’on veut voir la vie : il faut qu’elle soit triste. Parce qu’on veut punir les autres : en leur montrant que ce qu’ils nous ont fait nous empêche désormais de profiter de l’existence. Ou bien encore parce qu’on veut montrer qu’on est un chef, un leader, un humain dominant : comme on a plein de responsabilités et de soucis, on adopte le masque sombre de la personne-qui-a-des-responsabilités, face aux visages souriants des inconscients et des irresponsables.
On peut noter d’ailleurs que nos états d’âme sont ainsi corrélés à l’ensemble de ce qui se passe dans notre corps. Dans la lignée de ces travaux, la même équipe fit évaluer à des volontaires leur sentiment de satisfaction avec la vie, au travers de questionnaires qu’ils remplissaient soit debout en s’appuyant sur un pupitre haut (position de « fierté »), soit contraints de s’avachir sur une table basse et inconfortable (position de « déprime ») : évidemment, la position haute et droite procurait des réponses de plus grande satisfaction avec son existence. Tous ces travaux incitent donc à penser que la manière d’habiter notre corps a un effet réel, quoique modéré, sur nos humeurs. Même notre manière de respirer joue un rôle dans notre équilibre émotionnel, d’où l’importance dans les troubles anxieux et dépressifs des exercices portant sur la respiration, qui sont inclus dans les approches basées sur la relaxation et la méditation. Et d’où l’importance aussi accordée par les maîtres orientaux à la posture à adopter lors des exercices de méditation (« droite et digne ») et dans la vie quotidienne en général. D’accord, ça nous rappelle un peu notre enfance, « tiens-toi droit et souris à la dame ». Mais puisque c’est la science qui nous le dit …"

Christophe ANDRÉ, « Les états d’âme, un apprentissage de la sérénité », Éd. Odile Jacob, 2009 [2011 pour l’édition poche, n°295], p.380-381

Masque dans un monastère du Ladakh


Que faites-vous et pourquoi ?

"Il y a bien longtemps, en Chine, un jeune moine demanda à son maître zen : « Qu’est-ce que l’éveil ? Comment est-ce pour vous ? » À quoi le maître répondit : Quand je mange, je mange. Quand je dors, je dors. »
On ne fait généralement guère attention à ce qu’on dit ou fait. On mange, sans vraiment manger ; on dort, sans vraiment dormir. Notre esprit est distrait, nos pensées partent dans tous les sens. On est souvent trop occupé à se lamenter sur le passé ou à s’y raccrocher, quand on n’est pas en train d’anticiper l’avenir ou de le redouter. Au lieu d’habiter pleinement son corps et de ressentir son vécu, on n’est qu’à demi conscients – dans les meilleurs cas. Pas complètement présents, à peine conscients. Pour preuve de ce triste état de choses, les bêtises et les aberrations qu’on commet en traversant l’existence comme en pilote automatique.
À force d’être si occupé et si pressé, on oublie de rester en contact avec ce qu’on est et ce qu’on fait. Si bien qu’on passe à côté de la beauté et de la tristesse, à côté de la réalité de sa vie, de sa texture particulière. On passe à côté de la vérité de ses expériences, d’instant en instant. Le manque de vigilance nous rend inattentif : on blesse les autres sans réfléchir, parfois même sans s’en apercevoir. Et l’on se fait soi-même du mal. On s’endort continuellement aux commandes de sa vie, risquant toutes sortes d’accidents physiques autant qu’affectifs.
Faute d’être pleinement conscients, on marche sur la fourmi, ou pire. On ne fait pas attention à son vécu dans l’immédiateté de l’instant présent et, quand enfin on lève le nez, on est déjà embarqué dans des relations personnelles désastreuses. Faute d’être attentif aux êtres qui nous sont chers, on se retrouve avec des enfants distants et des conjoints furieux. Le manque de vigilance et de conscience alerte a des répercussions dans tous les domaines, depuis les clés qu’on égare jusqu’aux vies qui dérapent. Conscience du présent et vigilance signifient savoir ce qu’on fait et ce qu’on dit. Contrairement aux apparences, il n’est pas facile de vivre pleinement le moment présent. Pas plus que de maintenir une conscience lucide et de rester vigilant."

Lama SURYA DAS, « Éveillez le Bouddha qui est en vous », Pocket n°10736, 2005, p.375-376


mercredi 25 janvier 2012

Comment nous passons à côté de nos vies (suite)

"Il y a tant de façons de fuir notre vie et de ne pas être présent à l’instant. ...

On peut se réfugier aussi dans des ruminations ou des rêveries ou des espoirs, vivre entortillé dans nos chimères et nos attentes, sans jamais sortir prendre l’air dans la vie légère ; légère parce que sans attente justement, sans intention autre que ressentir et observer ce que c’est que d’être vivant et présent.
…On peut être victime de vols répétés de conscience. Notre époque est caractérisée par les « vols d’attention » : les interruptions de la publicité, des coups de téléphone, des SMS ou des mails, mais aussi l’habitude de la « disponibilité », devenue une valeur moderne. L’indisponibilité et le retrait peuvent certes poser des problèmes, mais être toujours prêt à tout interrompre pour répondre à toute forme de sollicitation, n’est-ce pas aussi absurde ? Cela peut aboutir en tout cas à la fragmentation de nos capacités attentionnelles : la possibilité de « zapper » si quelque chose ne nous convient pas et de nous changer ainsi les idées va finalement conduire à ne plus avoir d’idées du tout. Nous en avons parlé, ces démolitions constantes de nos capacités attentionnelles induisent une perturbation de nos équilibres intérieurs et de nos états d’âme, qui finit par nous être nocive."

Christophe ANDRÉ, « Les états d’âme, un apprentissage de la sérénité », Éd. Odile Jacob, 2009 [2011 pour l’édition poche, n°295], p.319-321

Niger, transport en commun

dimanche 22 janvier 2012

Pas le temps!

"J’entends souvent dire qu’on n’a pas le temps de méditer, et j’éprouve souvent moi-même cette impression. Je sais pourtant, comme la plupart de ceux qui méditent, que la méditation donne tellement de lucidité, tant d’espace dans la tête, qu’en réalité elle ajoute du temps à la journée. Étant mieux centré en soi, on se sent moins dépassé par les événements et l’on est plus efficace, plus détendu.
La pratique de la vigilance est aussi un excellent moyen d’apprendre à gérer ses sentiments et à développer une « intelligence des émotions ». On prend conscience de ses sentiments à l’instant même où ils se manifestent, on les éprouve sans les refouler ni les nier. Ce qui donne assez de recul pour trouver le meilleur moyen de les gérer. La méditation permet d’être en prise directe sur ses sentiments, sans pour autant se laisser manœuvrer ou dominer par eux."

Lama SURYA DAS, « Éveillez le Bouddha qui est en vous », Pocket n°10736, 2005, p. 384

Chortens sur les hauteurs de Leh, Ladakh

Sobriété heureuse

"Le Bouddha avait averti ses disciples des dangers liés à l’exploitation excessive de l’environnement, leur recommandant de ne pas polluer les lacs ni les rivières, de ne pas amasser de richesses ni de réserves. Il y a 2 500 ans, il encourageait les moines à rendre quelque chose à la nature en plantant un arbre chaque mois. Le Bouddha donnait lui-même l’exemple de la simplicité à ceux de ses disciples qui avaient embrassé la vie monastique, en portant une robe faite de chutes de tissu cousues ensemble. On en retrouve aujourd’hui le symbole dans la toge jaune, faite de morceaux juxtaposés, que portent sur leurs robes les moines et moniales qui ont reçu l’ordination complète. Le Bouddha incitait les membres de sa sangha à n’avoir qu’un seul jeu de vêtements de rechange, afin que chacun n’utilise pas plus que sa part.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Prendre plus que sa part, c’est prendre quelque chose aux autres. Et il ne s’agit pas toujours d’objets ou de marchandises : on peut par exemple monopoliser l’attention des autres, prendre plus que son temps de parole. Mais les questions sous-jacentes restent les mêmes, celles qui sont au cœur même des enseignements du Bouddha et qui soulignent les travers de l’attachement et de l’avidité. Comme disait Gandhi : « Le monde a assez pour subvenir aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire l’avidité de tous. »"

Lama SURYA DAS, « Éveillez le Bouddha qui est en vous », Pocket n°10736, 2005, p.258-259

Bénin, habitat traditionnel

Agir pour ne pas ressentir

"Comment nous passons à côté de nos vies
Il y a tant de façons de fuir notre vie et de ne pas être présent à l’instant.
On peut se réfugier dans des actions inutiles ou utiles, devenir alors des « prisonniers de l’action » : plutôt que de s’arrêter pour réfléchir et ressentir, toujours faire quelque chose. Bien sûr qu’il faut, dans nos vies, faire et agir ! Mais sommes-nous bien conscients de tous ces moments où faire c’est fuir ? De ces moments où nous nous lançons dans des actions non pour construire mais pour éviter d’éprouver ? On peut fuir aussi dans des projets d’action, et devenir des « enchaînés des choses à faire » : toujours penser à plus tard, à après, à demain. Et en arriver à appliquer jusqu’à l’absurde cette phrase de je ne sais plus qui (il doit y avoir des dizaines de célébrités qui ont dit ça, et l’ensemble des humains l’a pensé) : « la vie, c’est ce qui s’écoule pendant que vous faites des choses inutiles »."

Christophe ANDRÉ, « Les états d’âme, un apprentissage de la sérénité », Éd. Odile Jacob, 2009 [2011 pour l’édition poche, n°295], p.319-320

Brouettes au repos

Prendre, recevoir, donner

"Ne prenez pas ce qui ne vous est pas offert spontanément, et donnez aux autres.
Cet enseignement est souvent traduit par trois mots : « Ne pas voler ». Mais cette interprétation très étroite de la notion de « vol » risque d’oblitérer le sens bien plus large de la recommandation, avec tout ce qu’elle implique au plan social autant que psychologique. Le Bouddha a identifié les nombreuses façons dont nous, êtres humains, essayons toujours de prendre plus que ce qui nous est donné. Peut-être ne le faisons-nous pas consciemment ou délibérément, vous et moi, mais réfléchissons-y un instant. Fraudons-nous le fisc ? Donnons-nous de fausses informations à la compagnie d’assurances pour économiser sur les primes ? Avons-nous de l’argent placé dans des sociétés qui dépouillent les autres ? Achetons-nous des produits fabriqués par des entreprises qui exploitent la population locale, détruisent l’environnement, qui dépossèdent les enfants de leur innocence et de leur liberté ?"

Lama SURYA DAS, « Éveillez le Bouddha qui est en vous », Pocket n°10736, 2005, p.257-258

Mangues

samedi 21 janvier 2012

Je pense donc je ne suis pas.

"Quels que soient l’image ou le processus que nous choisissions, observer nos pensées et nos sensations est un exercice extrêmement difficile car elles prolifèrent en permanence et, bien qu’insaisissables et évanescentes, elles fabriquent notre réalité même, notre histoire (qui nous sommes et ce que nous sommes, ce qui a de l’importance et du sens à nos yeux). En outre, elles apparaissent chargées de liens émotionnels qui ne sont ni plus ni moins que nos habitudes, pour la plupart non examinées, destinées à assurer notre survie et à donner un sens au monde et à notre place en ce monde.
Par conséquent, nous sommes généralement très attachés à une grande partie, sinon à la majorité, de nos pensées et de nos sensations, quelles qu’elles soient, et nous nous fions aveuglément à leur contenu, comme s’il s’agissait de la vérité, en reconnaissant rarement que pensées et sensations sont en réalité des événements discrets au sein du champ de la claire conscience, des apparitions minuscules et fugaces qui sont en général au moins en partie, sinon essentiellement, inexactes et peu fiables. Nos pensées peuvent parfois contenir une part de pertinence et d’exactitude, mais souvent elles sont au moins en partie déformées par nos penchants cupides et narcissiques, tels que nos ambitions, nos aversions. (Jon Kabat-Zinn John, « L’éveil des sens : vivre l’instant présent grâce à la pleine conscience », 2005, Pocket n°14 424, 2011, , p.265-266)

Peinture murale d'un temple, Ladakh

Faire ses gammes

"Le mot ordre officiel des différentes écoles [qui enseignent la méditation] est en général de ne rien attendre de la méditation. De simplement la faire et voir ce qui se passe. J’ai toujours eu du mal avec ce néant des attentes. Du moins sur le long terme. Sans doute suis-je trop occidental. J’ai bien compris qu’il ne faut rien attendre d’une séance en particulier (à la différence de la relaxation dont on attend qu’elle nous détende) : le plus souvent, on ne se sentira pas plus clair ou plus serein ensuite. Parfois, au contraire, les séances de méditation n’auront révélé qu’une chose : notre difficulté à méditer à ce moment. Mais ce n’est pas grave : il fallait le faire, comme le musicien fait ses gammes, le sportif ses exercices, le moine ses prières, sachant que cela a un sens. Je reconnais même que renoncer à des attentes immédiates est très pédagogique pour nous autres Occidentaux. Et que tolérer, ou plutôt pleinement accepter, les séances difficiles ou qui nous paraissent « ratées » augmente probablement notre tolérance à l’imperfection et aux échecs dans notre vie en général. Ce qui, vu le monde dans lequel nous évoluons, est une hygiène salutaire.
Mais tout de même, pour le reste, nous pouvons beaucoup attendre de la méditation, sur le long terme, et si nous comprenons qu’il s’agit d’un travail. Voici donc ce que la méditation peut nous apporter, mais – chut ! – sans que nous l’attendions.
- La méditation nous aide à comprendre la nature de la pensée. …
- La méditation enrichit les états d’âme et aide à leur régulation. …
- La méditation permet de meilleures capacités de concentration pour travailler ou réfléchir. …
- La méditation est corrélée au bien-être, et semble associée chez ses pratiquants à une fréquence plus grande d’états d’âme positifs, et moindre de négatifs. …
- La méditation facilite le changement d’attitude et de conviction. …
- La méditation aide à savourer l’existence. …"

Christophe ANDRÉ, « Les états d’âme, un apprentissage de la sérénité », Éd. Odile Jacob, 2009 [2011 pour l’édition poche, n°295], p.337-339

Bouddha Shakyamuni, Ladakh

Le mensonge du Père Noël

"Ses paroles avaient un écho particulier en moi, car elles me rappelaient les Noëls de mon enfance. J’étais tout excité en préparant ma lettre au père Noël, avec la liste des jouets que j’espérais. Pendant des semaines j’y pensais, attendant impatiemment le jour où je les posséderais enfin. Mon excitation atteignait son paroxysme le soir du réveillon : mes yeux ne quittaient plus le sapin au pied duquel j’imaginais déjà mon bonheur du lendemain. J’allai me coucher en percevant la nuit à venir comme interminable, et c’est reconnaissant que je découvrais l’heure sur mon réveil au petit matin. Le grand jour était enfin arrivé ! Lorsque je poussais la porte du salon et découvrais les paquets-cadeaux multicolores sous le sapin illuminé, j’étais empli d’une joie intense. Je déballais tout, haletant d’excitation, puis passais le plus clair de la journée à jouer avec ce que j’avais reçu, m’arrangeant toujours pour m’échapper de l’interminable repas familial, et laisser les adultes à leurs conversations ennuyeuses. Mais je me souviens que, le soir approchant, le soleil déclinant à l’horizon, ma joie se tarissait progressivement. Mes nouveaux jouets ne généraient déjà plus en moi le même élan de gaieté. J’en arrivais à envier mon excitation de la veille. J’aurais voulu la revivre. Je me rappelle m’être dit, une année, que mes rêves de jouets me rendaient finalement plus heureux que les jouets eux-mêmes. L’attente était plus jouissive que son dénouement.
J’en fis part au sage, qui me dit en souriant :
- Le plus grand mensonge des parents à leurs enfants ne porte pas sur l’existence du père Noël, mais sur la promesse tacite que ses cadeaux les rendront heureux."

GOUNELLE Laurent, « L’homme qui voulait être heureux », Pocket n°13 841, 2010, p.132


Vivre "à côté de ses pompes"

"Souvent, nous passons à côté de nos vies.
Si souvent, il nous arrive de ne pas être dans ce qu’on fait ! D’être à côté …
À côté de nos bonheurs. Tous ces dimanches où on pense au lundi et où on ne profite pas du repos et de ses proches. Puis ces lundis où l’on regrette de ne pas avoir savouré son repos, et où du coup on n’est pas disponible pour ce qu’on a à faire ; alors on le fait avec difficulté et sans plaisir. Ce qui entraîne des retards, des complications, du déplaisir, et de nouveaux états d’âme désagréables.
À côté des petites choses pas importantes. Toutes les fois où on n’écoute pas ce qu’on nous dit, où l’on est absent, ailleurs. Toutes les fois où l’on ne sait plus où on a rangé quelque chose. Toutes les fois où on est allé quelque part sans y penser, en « pilotage automatique », On arrive et on s’aperçoit qu’on a marché ou conduit dans un état second, dans un autre univers : pas dans la réalité mais dans nos états d’âme.
À côté des moments importants. Combien de mariages, de cérémonies, de « grands moments » traversés dans un état second, où on se focalise sur tout sauf sur l’essentiel : l’instant présent. Parce que notre esprit est encombré de tant de choses et de soucis que l’on n’est capable ni de contrôler ni d’écarter.
Par moments, c’est presque toute notre vie qui prend l’habitude de s’écouler comme ça, hors de nous, à côté de nous, devant nous. Et nous suivons en trottinant derrière, en essayant de ramasser les morceaux, et d’en faire une construction cohérente après coup, en recollant souvenirs, photos, et réflexions éparses. Nous sommes victimes de la rémanence : l’instant d’avant dévore l’instant présent. Ou de l’anticipation et de l’inquiétude : l’instant d’après occupe nos pensées. L’instant présent n’existe plus : noyé dans le néant.
Mais passer à côté du présent, est-ce que ce n’est pas passer à côté de sa vie ?"

Christophe ANDRÉ, « Les états d’âme, un apprentissage de la sérénité », Éd. Odile Jacob, 2009 [2011 pour l’édition poche, n°295], p.318-319