samedi 19 décembre 2015

L'attention au présent

Notre vie mentale peut paraitre très compliquée, car notre esprit fourmille d’émotions, de choses à faire, d'intentions, de souvenirs, de pensées. Mais une fois ramenée au niveau d'un cycle perception-action, tout est beaucoup plus simple. Comme le dit le moine bouddhiste Matthieu Ricard, il est impossible d'être à la fois joyeux et triste. II est bien sur courant d'avoir des sentiments confus et mitigés pendant une période de la journée, ou même pendant quelques minutes après avoir une conversation téléphonique riche en émotions, mais au niveau de la boucle perception-action, « au rythme où nous nous brossons les dents », une émotion, une intention, une pensée prédomine. À cette finesse de grain, que l'on peut qualifier d'« instant présent », notre esprit est simple.
C'est à ce niveau qu'il vous faut revenir quand votre attention nous échappe. Si, par exemple, vous n'arrivez plus à vous concentrer sur ce livre, interrogez-vous sur ce que vous cherchez vraiment à faire. Au moment où vos yeux se posent sur ces mots, quel acte mental cherchez-vous à produire ? Votre cerveau réagit vraisemblablement selon les automatismes en place, pour reconnaitre visuellement la forme du mot, le convertir éventuellement sous une forme sonore et de temps en temps lui associer un sens. Mais plusieurs formes de lecture sont possibles : pour lire avec l'intention de laisser les mots évoquer des images mentales, ou en insistant sur leur sonorité. Votre compréhension du texte sera très différente selon le mode de lecture que vous adoptez. Quel mode privilégiez-vous ? Que doit faire votre système exécutif à chaque placement du regard ? Si vous avez des difficultés de compréhension, peut-être vous faut-il simplement ralentir ? II faut parfois ajuster le rythme de sa lecture pour laisser le temps aux images et au sens d’émerger. Nous accordons rarement assez de soin à réguler la vitesse à laquelle nous faisons les choses ou à préciser notre intention.
Dans les nombreuses activités basées sur la répétition de cycles perception-action similaires, nous répétons souvent les mêmes erreurs par manque d'une réelle prise de conscience des gestes mentaux mis en jeu à chaque cycle. Nous nous y prenons mal, sans le savoir. Pourtant, un petit geste d'introspection peut suffire à nous faire découvrir une intention floue, une cible attentionnelle mal définie, ou une vitesse mal adaptée, que nous attribuerons alors à une mauvaise concentration. Quand celle-ci nous échappe, nous avons tout à gagner à mieux préciser, pour nous-même, ce que nous faisons et cherchons à faire, moment après moment.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau funambule ; Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences » (2015), Éditions Odile Jacob, p.51-52)

Erg Mehedjebat (Algérie)

mercredi 28 octobre 2015

Nature et non-violence

Prenez une graine de maïs et plantez-la dans un sol humide. Au bout d'une ou deux semaines, elle va germer. Environ trois jours plus tard, revenez la voir et demandez à la petite plante : « chère plante, te souviens-tu du temps ou tu étais une graine ? ». II se peut que la plante ait oublié, mais l'ayant observée attentivement, vous savez bien que la jeune tige de maïs vient vraiment de la graine.
Quand nous regardons la plante, nous ne voyons plus la graine et nous pensons qu'elle est morte. Mais la graine n'est pas morte ; elle est devenue la plante. Si vous êtes capables de voir la graine de maïs dans la tige de maïs, vous avez cette sorte de sagesse que le Bouddha appelle la sagesse de non-discrimination. Vous ne faites pas de séparation entre la graine et la plante. Vous voyez qu'elles inter-sont, qu'elles sont une seule et même chose. Vous ne pouvez pas enlever la graine de la plante et vous ne pouvez pas enlever la plante de la graine. En examinant avec attention le jeune plant de maïs, vous pouvez voir la graine de maïs toujours vivante, mais sous sa nouvelle apparence. La plante est la continuation de la graine.
La pratique de la méditation nous aide à percevoir ce que les autres ne voient pas. En examinant très attentivement le père et le fils, le père et la fille, la mère et le fils, la mère et la fille, la graine de maïs et la tige de maïs, nous constatons qu'il y a entre eux une relation très étroite. C'est pourquoi il nous faut pratiquer, pour nous éveiller à la vérité, à la réalité de l'inter-être. La souffrance de l’un est la souffrance de l’autre. … Quand nous prendrons conscience de notre nature interdépendante, nous cesserons de blâmer, d'exploiter, de tuer parce que nous aurons compris que nous inter-sommes avec tous les êtres. C'est le grand Éveil que nous devons réaliser pour le salut de notre planète.
Nous, les humains, nous nous sommes toujours considérés comme à part du reste du monde. Nous faisons une distinction entre nous-mêmes et « Ia Nature » (les animaux, les plantes et les minéraux), et nous agissons comme si nous en étions totalement séparés. Mais à la question : « Comment gérer notre environnement naturel ? », il n'y a qu'une seule réponse : nous devons en prendre soin, sans violence, comme nous prenons soin de nous-mêmes. Nous, les êtres humains, sommes inséparables de notre milieu naturel. Nous ne devons pas davantage nuire à la nature qu'à autrui. Le mal que nous faisons à notre environnement, c'est à nous que nous le faisons, et réciproquement.
(THICH NHAT HANH, « Ce monde est tout ce que nous avons » (2008), Le Courrier du Livre, 2010, p. 59-61)

Parc national des lacs de Plitvice (Croatie)

samedi 1 août 2015

Toujours apprendre

Socrate et le poème
Socrate se trouvait en prison, dans l’attente de son exécution. Un jour, il entendit un prisonnier chanter un poème du poète Stesichoros.
Il demanda à l’homme de lui enseigner les vers « Pourquoi ? » demanda le chanteur.
– Pour que je puisse mourir en sachant quelque chose de plus », répondit le grand homme.
Le disciple : « Pourquoi apprendre quelque chose de nouveau une semaine avant de mourir ? »
Le maître : « Pour exactement la même raison pour laquelle vous apprendriez quelque chose cinquante ans avant de mourir. »
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.200)

Erg Mehedjebat (Algérie)

dimanche 26 juillet 2015

Être bien dans l'instant présent

Pour préserver la vie de nos ancêtres, le cerveau a généré un léger malaise interne permanent. Ce murmure inquiet nous incite à scruter constamment nos mondes intérieur et extérieur à la recherche de signes d'alerte.
Cette gêne, cette méfiance ambiante est tellement automatique qu'elle peut passer inaperçue. Tâchez de percevoir des traces de tension, de vigilance ou de raideur dans votre corps. Une prudence vis-à-vis de votre environnement ou d'autres gens. Une incapacité à vous détendre complètement, à vous relâcher, à lâcher prise. Essayez de parcourir un bureau ou un magasin que vous savez sûr sans éprouver une once de méfiance : c'est très difficile. Ou de rester assis chez vous pendant cinq minutes d'affilée en vous sentant serein, souple dans votre corps, parfaitement à l'aise dans l'instant tel qu'il est, en paix : pour la plupart des gens, c'est impossible.
Ce réglage par défaut du cerveau est idéal pour inciter un singe à s'assurer en permanence qu'une créature ne s'apprête pas à lui bondir dessus. Mais c'est un mode de vie éprouvant. L'appréhension qui en résulte mine le bien-être, entretient anxiété et la dépression, et pousse les gens à ne prendre aucun risque.
Et elle est basée sur un mensonge.
En réalité, ce malaise ambiant ne cesse de chuchoter à votre « oreille » mentale : « Tu n'es pas en sécurité, tu es entouré de menaces, tu ne peux jamais te permettre de baisser la garde. »
Mais observez attentivement l’instant présent. Dans l'ensemble, vous allez probablement bien : personne ne vous attaque, vous n'êtes pas en train de vous noyer, des bombes ne dégringolent pas du ciel, il n'y a pas de crise. Les choses ne sont pas parfaites, mais vous allez bien.
Je parle bien de cet instant même. L'avenir est source d'inquiétudes et de projections. Le passé, de ressentiments et de regrets.
Les fils de la peur imprègnent les tapisseries mentales du passé et du futur. Examinez de nouveau la mince tranche de temps qu'est le présent. À l'instant même, allez-vous foncièrement bien ? Respirez-vous correctement ? Le cœur bat-il ? L'esprit fonctionne-t-il ? Vos réponses sont très certainement « oui ».
Au quotidien, il est possible d'accéder à ce sentiment fondamental de « bien-être » tout en vaquant à ses occupations. Il ne s'agit ni d'ignorer des menaces ou des problèmes réels, ni de faire comme si tout allait bien. Absolument pas. Mais de voir, tout en menant sa vie, qu'on est généralement bien à l'instant même.
(HANSON Rick, « Le pouvoir des petits riens » (2011), Éditions des Arènes [2013], Pocket n°16162 [2015], p.193-194)

Nénuphars jaunes, Parc naturel Lonjsko Polje (Croatie)

dimanche 5 juillet 2015

L’entraînement de l’esprit : la difficulté de la régularité

Certains se disent, par exemple : « pourquoi s’exercer chaque jour ? La vie ne suffit-elle pas ? Mes intentions et résolutions ne suffisent-elles pas ? »
Non, tout cela ne suffit pas. En nous contentant de vagues intentions de changement, nous n’utiliserons jamais correctement notre esprit, nous resterons toujours des victimes gémissantes et consentantes de nos vieux automatismes, nous produirons toujours les mêmes pensées courtes et les mêmes émotions incontrôlables. C’est pourquoi la pratique de la pleine conscience, entre autres formes d’entraînement de l’esprit, est particulièrement intéressante pour tout le monde ; et particulièrement nécessaire pour celles et ceux qui perçoivent à quel point leur esprit leur échappe et leur désobéit. Non qu’il faille espérer tenir notre mental en laisse et exercer sur lui un contrôle absolu. Mais juste rétablir un équilibre des forces : pouvoir se concentrer ou se calmer, par exemple, aux moments où nous en avons besoin, ne me semble pas être un objectif si ambitieux ni excessif. Et pourtant, en sommes-nous souvent capables ?
L’entraînement de l’esprit, pratiqué quotidiennement, c’est un acte de santé : comme une gymnastique de la conscience.
C’est aussi un nettoyage des pollutions sociales, une sorte de ménage, régulièrement pratiqué, de notre intériorité. Et comme pour le « vrai » ménage, si on le fait, cela ne se voit pas : on s’habitue vite à se sentir bien. Mais si on ne le fait pas, cela se voit ! Ou plutôt, cela se sent. C’est sans doute le principal « risque » lié à la pratique de la pleine conscience : on en devient dépendant et, si on arrête, l’instabilité émotionnelle et la volatilité de l’esprit reviennent doucement.
L’entraînement de l’esprit est, enfin, une ascèse : derrière la simplicité de la pratique, se cache la difficulté de la régularité. Et il est aussi une école de patience : il faut toujours renoncer à un effet immédiat. Et d’humilité : la pratique n’est jamais une garantie. Ainsi, après l’enthousiasme des débuts, et le sentiment – parfois même les preuves palpables - que les exercices réguliers ont réduit notre fragilité psychique, nous voilà presque convaincus d’avoir fait des progrès, ce qui n’est pas faux; et convaincus aussi que ces progrès sont stables et définitifs. Ce qui n’est pas vrai : nous allons rechuter. Ces « rechutes du pratiquant » sont la règle. Elles font partie du cheminement normal: après les succès et les enthousiasmes, tu retomberas. Sous l’effet de coups de colère, de spleen, d’inquiétudes... Humiliant ? Seulement si tu as tiré fierté de tes progrès de méditant. Plus encore si tu as paradé, en affichant ta pratique, en la vantant comme une panacée, si tu as porté ta nouvelle zen attitude en bandoulière... Décevant ? Seulement si tu t’es réjoui trop fort, même en secret, même in petto. Amusant ? Oui, si d’entrée tu avais admis que cela viendrait un jour. Et si, ce jour-là, tu accueilles la déception tranquillement. En pleine conscience. Tu le savais, tu l’avais accepté. Ça ne signifie rien d’autre que ceci : continue la pratique, encore et toujours.
(ANDRÉ Christophe, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p. 249-251)

Parc national du Velebit nord [Sjeverni Velebit] (Croatie)

lundi 29 juin 2015

Ne plus avancer dans la vie comme un robot

C’est l’évidence même : partout où l’on va, on est avec soi-même. Nulle part où se fuir. Une question se pose, alors : « Et maintenant, que faire ? »
Qu’on le veuille ou non, c’est justement sur cet instant-là qu’il faut travailler. Car nous menons trop souvent nos vies comme si nous oubliions que nous sommes ici, que nous sommes déjà en plein dans le moment présent. À chaque instant de notre vie, nous sommes à la croisée des chemins d’ici et de maintenant. Mais lorsque nous oublions momentanément où nous sommes, nous nous sentons perdus. Quand je dis perdu, je veux dire que, momentanément, nous n’avons plus de contact avec notre moi profond, avec toutes nos possibilités latentes. Dans notre manière de voir, de penser et d’agir, nous nous conduisons le plus souvent comme des robots. Nous perdons contact avec notre vie intérieure qui nous permet de créer, d’apprendre et de grandir. Si nous n’y prenons pas garde, ces moments embrumés peuvent se prolonger et envahir notre vie entière.
En général, nous sommes plutôt préoccupés par ce qui est déjà arrivé dans le passé, ou par un avenir qui n’est pas encore là. Nous cherchons un ailleurs où nous espérons que tout sera meilleur ou comme avant. La plupart du temps, nous avons à peine conscience du conflit que cela provoque en nous.
Par exemple, nous assumons automatiquement que nos idées et nos opinions sur ce qui se passe autour de nous et ce qui se passe à l’intérieur de nous sont la vérité. Nous payons cher ces suppositions non vérifiées, cette évacuation délibérée de la richesse de nos moments présents. Les rejets s’accumulent en silence, encombrant notre vie sans même que nous en ayons conscience. Ainsi, nous demeurons ensevelis sous les pensées, les fantasmes, les pulsions du passé et du futur. Nous restons accrochés à nos goûts, à nos habitudes, à nos peurs qui brouillent notre sens de l'orientation et nous dissimulent le lieu même où nous nous trouvons.
(Dr Jon KABAT-ZINN, « Où tu vas, tu es », 1994, J’ai Lu n°7 516, 2009, p.13-14)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.

Papillon, Baric Draga (Croatie)

jeudi 25 juin 2015

Le renoncement

Le renoncement vous procure à la fois tristesse et joie : tristesse en réalisant la futilité de vos comportements passés, et joie en voyant la perspective plus large qui se déploie devant vous, quand vous êtes capable d'y renoncer. Ce n'est pas là une joie ordinaire. C'est une joie qui donne naissance à une force nouvelle et profonde, à une confiance et à une inspiration constantes lorsque vous réalisez que vous n'êtes pas enchaîné à vos habitudes, mais que vous pouvez vraiment en émerger, changer et vous libérer de plus en plus.
(SOGYAL Rinpoché, « Étincelles d’éveil » (1995), Pocket n°14 913, 2013, pensée du 15 mai)

Île de Rab (Croatie)

dimanche 21 juin 2015

Ralentir

La plupart d'entre nous passent leur temps à courir en tous sens. Imaginez que vous tombiez sur une amie que vous n'avez pas vue depuis longtemps et que vous lui demandiez : « Comment ça va ? » Il y a vingt ans, elle vous aurait sans doute répondu : « Bien. » Alors qu'aujourd'hui ce sera plus probablement : « Débordée ! »
Nous sommes submergés par les courriels, les appels téléphoniques et les heures de travail interminables, nous trimballons nos enfants à droite et à gauche, et tentons de suivre le rythme de tous ceux qui accélérèrent.
Quelles que soient les raisons propres à chacun, on a très vite l'impression d'être un cuisinier au moment du coup de feu.
Il est normal de s'emballer de temps en temps, qu'il s'agisse de gérer une urgence ou d'applaudir comme un fou parce que sa fille a fini par marquer un panier au basket (je parle en connaissance de cause !).
Mais l'accélération chronique a de nombreux effets négatifs :
  • Elle active le système de réaction de stress qui s'est développé dans notre cerveau pour nous préserver des attaques des bêtes sauvages. Des hormones comme l'adrénaline et le cortisol accentuent votre nervosité, votre système immunitaire est affaibli et votre humeur affectée.
  • Placé en alerte rouge, le cerveau se met à scruter les menaces et tend à réagir de manière excessive. Avez-vous déjà remarqué que vous êtes plus enclin à l'inquiétude ou à l'irritation quand vous accélérez ?
  • Vous avez moins le temps de réfléchir clairement et de prendre les bonnes décisions.
« La soif de vitesse » est peut-être devenue un mode de vie, mais il est toujours possible de changer. Commencez par des petits riens. Et laissez-les grandir.
« Aller moins vite » fait partie des mesures faussement anodines qui pourraient bien transformer votre vie.

COMMENT ?
Voici quelques méthodes pour ralentir. Je vous suggère d'en appliquer seulement quelques-unes : ne vous empressez pas de ralentir !
  • Effectuez quelques gestes plus lentement que d'habitude. Amenez doucement votre tasse à vos lèvres, ne bâclez pas votre repas, n’interrompez pas vos interlocuteurs avant qu'ils aient fini de s'exprimer, ou marchez d'un pas tranquille pour vous rendre à une réunion. Terminez une tâche avant d'en entreprendre une autre. Plusieurs fois par jour, respirez longuement, lentement.
  • Levez le pied de la pédale d'accélérateur. Un jour, comme je fonçais sur l'autoroute, j’ai entendu ma femme murmurer : « Il n'y a pas le feu ! » Grâce à elle, j'ai pris conscience qu'en réduisant ma vitesse de quelques kilomètres par heure notre arrivée ne serait différée que de quelques minutes et le trajet serait beaucoup plus détendu.
  • Quand le téléphone sonne, imaginez qu'il s'agit de la cloche d'une église ou d'un temple qui vous rappelle que le moment est venu de respirer et de ralentir. (Cette suggestion vient du moine vietnamien Thich Nhat Hanh.)
  • Résistez à la pression des gens qui vous imposent de faire les choses plus vite que nécessaire. Vous n'avez pas à pâtir de leur manque d'organisation.
  • Reconnaissez ce qu'il y a de bien dans l'instant tel qu'il est afin d'être moins tenté de passer rapidement à autre chose. Par exemple. si vous êtes mis en attente au téléphone, cherchez des yeux quelque chose de beau ou d'intéressant, ou appréciez la sérénité que procure le simple fait de respirer.
Au fil du temps, menez à bien vos engagements et réfléchissez soigneusement avant d'en contracter de nouveaux. Résistez à toute tentation intérieure d'en faire ou d'en vouloir toujours plus. Quel est le résultat sur votre qualité de vie : êtes-vous plus heureux quand vous courez en tous sens ? Ou plus stressé et épuisé ?
Imprégnez-vous sans cesse du confort et du bien-être que vous ressentez quand vous ralentissez – et ne soyez pas surpris si l'on vous dit que vous paraissez plus confiant, plus reposé, plus digne et plus heureux.
C'est votre vie, et celle de personne d'autre. Ralentissez et appréciez-la !

(HANSON Rick, « Le pouvoir des petits riens » (2011), Éditions des Arènes [2013], Pocket n°16162 [2015], p.45-48)

Libellule, Parc nationale de la Krka (Croatie)

mercredi 10 juin 2015

L’enfant intérieur

En chacun de nous se trouve un enfant qui souffre. Nous avons tous connu des périodes difficiles et beaucoup d’entre nous ont été fortement perturbés durant l’enfance. Et pour nous protéger de toute cette souffrance, la seule solution que nous ayons trouvée a été d’oublier ces épisodes douloureux. Chaque fois que la douleur se réveille, cette sensation nous est si insupportable que nous refoulons nos sentiments et nos souvenirs au plus profond de notre inconscient. À tel point que nous pouvons passer des années et des années à négliger cet enfant blessé.
Pourtant, ce n’est pas parce que nous l’ignorons que l’enfant n’est pas là. L’enfant blessé est toujours là, et il essaie d’attirer notre attention. Il se manifeste comme il peut : « Je suis là. Je suis là. Tu ne peux pas m’ignorer. Tu ne peux pas me fuir. » Désireux d’atténuer notre peine, nous refusons de l’entendre, et nous nous en tenons aussi éloignés que possible. En vain, car cette fuite ne met pas fin à notre souffrance ; bien au contraire, elle ne fait que la prolonger.
L’enfant blessé a besoin de soins et d’amour mais nous les lui refusons. La douleur et le chagrin qui nous habitent semblent insurmontables, et, effrayés par toute cette souffrance, nous la fuyons. Même si nous en avons le temps, nous ne revenons pas en nous-mêmes par peur de la confronter. Nous nous perdons dans une quête permanente de divertissements (télévision, cinéma, activités mondaines, alcool, drogues) parce que nous ne voulons plus faire l’expérience de toute cette souffrance.
L’enfant blessé est là et nous ne le savons même pas. C’est une réalité, mais nous ne pouvons pas la voir. Cette incapacité est une forme d’ignorance. Cet enfant a été sévèrement blessé. Il a vraiment besoin que nous revenions vers lui pour en prendre soin. Et, malgré tout, nous nous détournons de lui.
L’ignorance infuse chaque cellule de notre corps et de notre conscience, telle une goutte d’encre diluée dans un verre d’eau. Cette ignorance nous empêche de voir la réalité ; elle nous pousse à faire des choses idiotes qui nous font souffrir encore plus, tout en blessant encore et encore notre enfant intérieur.
(Thich Nhat Hanh, « Prendre soin de l'enfant intérieur »(2010), Éditions Pocket 2015, p. 7-8)

Parc national des lacs de Plitvice (Croatie)

dimanche 7 juin 2015

Le pendule

L’horloger était sur le point de fixer le pendule d’une horloge, lorsque, à sa grande surprise, il entendit le pendule parler.
« S’il vous plait, laissez-moi, plaida le pendule. Ce sera un acte de bonté de votre part. Pensez au nombre de fois que j’aurai à faire tic-tac, jour et nuit. Tant de fois chaque minute, soixante minutes par heure, vingt-quatre heures par jour, trois cent soixante-cinq jours par année. Année après année … des millions de tic-tac. Je n’y arriverai jamais. »
Mais l’horloger opposa une réponse emplie de sagesse : « Ne pense pas à l’avenir. Fais juste un tic-tac à la fois et tu jouiras de chaque tic-tac tout le reste de ta vie. »
Et c’est exactement ce que le pendule décida de faire. Et il continue toujours de le faire – dans la joie.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.197-198)

Horloge astronomique (Bâtiment de la Chambre des points noirs à Riga, Lettonie)

mercredi 3 juin 2015

Reconnaître et conduire le flux des pensées (2)

Lorsque vous apprenez à mieux connaître votre pensée, vous remarquez mieux ses histoires, ses jugements, ses interprétations, les « je dois encore faire ceci ou cela ». Vous découvrez à quel point les idées relatives au passé ou à l'avenir ont de l'influence. Vous pouvez alors vous dire : « Ce sont des ruminations », « Je me fais du souci pour quelque chose que je ne dois faire que dans quatre semaines », « Si c'était encore comme ça... ».
Les idées sont agitées. Elles cherchent des stimulations. Elles vagabondent, réagissent impulsivement et passent du coq à l'âne. Vous apprenez à les connaître en les suivant pendant un temps. Vous les calmez si vous ne suivez pas à chaque fois les « il faut » ou les « si ceci..., alors cela ». Ainsi vous pouvez opérer plus facilement des choix : est-ce que j'emboîte le pas ou est-ce que je dis : «Non, pas maintenant » ?
Une attention consciente peut vous aider à briser des idées et des modes de réaction dysfonctionnels. En établissant une autre relation avec vos idées, vous vous rendez moins dépendant de leur contenu. Vous pouvez alors vous rendre compte qu'avoir des idées et en prendre conscience sont deux choses différentes. Vous arrivez ainsi à des découvertes surprenantes :
  • Vous avez des idées, mais vous n'êtes pas vos idées.
  • Vous ne pouvez pas vous empêcher d'avoir des idées, mais vous pouvez ne pas toujours les écouter.
  • Lorsque vous êtes calme, vous apprenez et retenez beaucoup mieux que quand vous êtes stressé.
Lorsque vous êtes moins assujetti à vos réactions (notamment de panique), vous restez le capitaine du navire. Vous faites des choix différents, conscients, salutaires. Revenir à la respiration quand une vague risque de vous submerger, cela aide considérablement. Vous ne pouvez pas arrêter les vagues de la vie, mais vous pouvez apprendre surfer sur une planche sans voile. Bien sûr, ce n'est pas toujours facile. Surfer n'est pas pour rien un sport difficile. Mais en vous exerçant souvent, vous apprenez comment être pleinement présent à cette vague-ci, maintenant. Vous apprenez à utiliser une partie de sa force et de son énergie de sorte que vous restez debout. Quelle sensation formidable ! La tension et le stress sont inévitables. Vous n'avez pas de contrôle sur les situations qui les provoquent, mais vous en avez sur la façon d'y réagir. Ça, c'est une idée sûre. Si, malgré tout, vous ne trouvez pas le sommeil et que vous ressassez ce qui ne va pas bien et ce que vous devriez encore faire, vous avez cette possibilité : prendre conscience du fait que vous ruminez, ensuite passer de la tête au ventre.
(SNEL Éline, « Respirez : la méditation pour les parents et les ados » (2014), Éditions des Arènes, 2015, p.73-75)

Lézard, Parc national des lacs de Plitvice (Croatie)

dimanche 31 mai 2015

Reconnaître et conduire le flux des pensées (1)

Personne ne peut me mettre en colère, si ce n'est moi-même.
Il est incroyablement apaisant de constater que nous pouvons influencer nos pensées. Mais cela implique d’apprendre à les connaître, à les nommer et à les admettre. Les pensées ne sont que des pensées. Ce ne sont pas des faits, c'est ce que notre esprit produit à partir des faits. Étonnant, n'est-ce pas ?
Vous pouvez apprendre à diriger vos pensées, à les identifier, à les accepter et à régulièrement mettre en doute leur degré de vérité. Cela commence simplement par les observer, par exemple quand vous faites la vaisselle, juste avant une compétition sportive, en conduisant, en faisant la queue.
Vous constatez alors la diversité des types d'idées :
  • des idées sur vous-même : si seulement je...
  • des idées sur d'autres : les choses iraient beaucoup mieux s'il faisait plus d'efforts...
  • des doutes : est-ce que j'accorde assez d'attention à mon enfant ou pas assez ?
  • des inquiétudes : que se passerait-il s'il faisait cela ?
  • des idées fausses : il n'arrivera jamais à rien.
Les enfants aussi ont des centaines de doutes et d'angoisses concernant leurs relations sociales, l'école, ce qui se passe à la maison, les modifications qui s'opèrent en eux. Notre cerveau produit environ trois mille idées par heure, soit en moyenne cinquante-deux par minute, presque une par seconde. C'est énorme. Avant que vous vous en rendiez compte, elles vous entraînent, vous êtes, en pensée ailleurs que ce à quoi vous étiez occupé. Et... vous croyez aussi tout ce que vous pensez. Que faire alors de toutes ces pensées ?
Au cours des formations « L'attention, ça marche ! » que nous donnons dans les écoles et aux parents, nous examinons comment l’esprit travaille, de façon à comprendre que nous avons des idées et que nous ne sommes pas nos idées. Si ce n'était pas le cas, nous ne pourrions pas les observer. Nous commençons alors par une sorte de jeu que vous pouvez faire chez vous.
S'arrêter une minute de penser
Les plus jeunes reçoivent la consigne d'arrêter de penser et surtout de ne pas penser à un régime de bananes. « Facile », dit José. Après une minute, je vois des visages tendus. Les enfants ont fait leur possible, mais sans succès. « C'est idiot ! Je n'ai fait que penser à ce que je ne voulais pas penser ! »
Qu'avez-vous constaté durant cette minute ?
Les enfants déclarent qu'ils n'ont pas pu réprimer des idées concernant les bananes. En effet, dès que vous essayez de chasser une idée, vous obtenez l'effet inverse. De plus, lorsque vous laissez ensuite libre cours à vos pensées, les idées réprimées surgissent bien davantage que si vous n'aviez pas essayé de les bloquer. Si c'est déjà le cas pour les idées neutres, vous pouvez imaginer ce qui se produit pour des préoccupations. (*)
(*) L'intérêt de l'exercice présenté ici a été largement confirmé par des expériences rigoureuses, dont les premières ont été menées à l'université de Virginie par Daniel Wegner et son équipe (D. Wegner et al., « Paradoxical effects of thought suppression »,Journal of Personality and Social Psychology,1987, 53 : 5-13. — D. Wegner, White bears and other unwanted thoughts : Suppression, obsession and the psychology of mental control, New York, Viking, 1989 ; rééd. Guilford, 1994. — D. Wegner, « Ironic processes of mental control », Psychological Review, 1994, 101 : 34-52).
Par ailleurs, les thérapeutes cognitive-comportementalistes ont montré l'effet contre-productif de la volonté de contrôler et d'éliminer des idées anxiogènes dans le développement des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) (cf : P. Salkovskis, « Obsessional-compulsive problems : a cognitive-behavioural analysis », Behaviour Research and Therapy, 1985, 25, 571-583).

(SNEL Éline, « Respirez : la méditation pour les parents et les ados » (2014), Éditions des Arènes, 2015, p.70-73)

Parc national des lacs de Plitvice (Croatie)

samedi 23 mai 2015

Trois bonnes choses

C’est un exercice classique de psychologie positive : le soir, avant de s’endormir, penser à trois bons moments de la journée. Pas des moments exceptionnels, juste de tout petits bons moments : une rigolade avec un proche, une lecture intéressante, un compliment, une musique qui nous a touché, le sentiment fugitif entre 11 h 15 et 11 h 18 que notre vie était belle, etc. Y penser intentionnellement et avec intensité, c’est-à-dire pas juste effleurer le souvenir de ces moments en deux secondes et demie, puis passer aux soucis du jour et du lendemain. Non, vraiment leur faire de la place : les évoquer, les visualiser, les ressentir à nouveau, dans le corps tout entier et pas seulement dans la tête ; pas tellement y réfléchir, mais plutôt les savourer.
Pratiquer cela tous les soirs pendant quelques semaines va améliorer notre moral et notre bien-être, et notre sommeil aussi. Et pourtant qui le fait et le refait régulièrement ? Même moi, qui suis un convaincu, qui trouve l’exercice agréable et instructif, et qui connaît tous ces travaux, je dois régulièrement me réactiver, me remotiver, pour m’y remettre. Toute la difficulté de la psychologie positive est là : dans cette simplicité qui cache la nécessité d’une régularité bien plus exigeante qu’on ne le croit.
(ANDRÉ Christophe, « Et n’oublie pas d’être heureux », Éd. Odile Jacob, 2014, p.342)

Parc national des lacs de Plitvice (Croatie)

lundi 4 mai 2015

Nous aimer nous-mêmes est la base de la compassion

Nous avons tendance à croire que nous connaissons et comprenons déjà très bien les êtres qui nous sont chers, mais ce n'est hélas pas souvent le cas. Si nous ne sommes même pas capables de comprendre notre propre souffrance et nos propres perceptions, comment pourrions-nous comprendre celles des autres ? Nous ne devrions pas être trop certains d'avoir compris ceux qui nous entourent. Demandons-nous plutôt : « Est-ce que je me comprends suffisamment ? Est-ce que je comprends ma souffrance ? Est-ce que j'en connais les causes ?»
Une fois votre propre souffrance reconnue et comprise en profondeur, vous serez aussi plus apte à comprendre l'autre et plus à même de communiquer. Si vous ne vous acceptez pas, si vous vous détestez ou êtes en colère contre vous-même, comment pouvez-vous aimer quelqu'un d'autre et lui exprimer votre amour ?
Se comprendre est crucial peur comprendre autrui ; s’aimer soi-même est crucial pour aimer autrui. Une fois que vous comprenez votre souffrance, vous souffrez moins et vous pouvez comprendre plus facilement la souffrance d'une autre personne. Quand vous pourrez reconnaître la souffrance en l'autre et voir comment elle est apparue, la compassion naîtra en vous. Vous n’aurez plus aucun désir de punir ou de taire des reproches. Vous pourrez écouter profondément et lorsque vous parlerez, la compassion et la compréhension émaneront de vos paroles. Votre interlocuteur se sentira beaucoup plus à l'aise grâce à la compréhension et à l'amour transmis par votre voix.
Revenir « chez nous », revenir à nous-mêmes pour comprendre notre souffrance et ses racines est le premier pas. Une fois que nous avons compris notre souffrance et que nous savons d'où elle vient, nous sommes en mesure de communiquer avec les autres de telle sorte qu'ils souffrent moins, eux aussi. Nos relations dépendent de la capacité de chacun de nous à comprendre nos propres difficultés et aspirations, et celles des autres.
Quand vous pouvez vraiment revenir en vous et vous écouter, vous pouvez profiter de chaque moment qu'il vous est donné de vivre. Vous pouvez vous réjouir de chaque instant. Grâce à une bonne communication intérieure, facilitée par la respiration en pleine conscience, vous pouvez commencer à vous comprendre, à comprendre votre souffrance comme votre bonheur. En sachant gérer votre souffrance, vous savez en même temps générer du bonheur. Et, si vous êtes vraiment heureux, votre entourage ressentira ce bonheur et en tirera profit. Le monde a besoin de gens heureux.
(Thich Nhat Hanh, « L’art de communiquer en pleine conscience »(2013), Le courrier du Livre 2014, p.37-38)

Lac Skadar (Monténégro)

mercredi 29 avril 2015

La méditation semble renforcer l'activité télomérase (et donc ralentir le vieillissement biologique)

Un récent rapport issu du projet Shamatha a mesuré l'activité télomérase consécutive à une retraite de trois mois consacrée à la pratique de la méditation shamatha(*), en comparaison avec un groupe témoin placé en liste d'attente. Les télomères sont des séquences répétitives d'ADN qui protègent l'information génétique essentielle au développement cellulaire lors de la réplication des chromosomes; la télomérase est l'enzyme qui permet l'allongement et/ou la restauration de ces séquences situées aux extrémités des chromosomes. L’activité télomérase est d'une importance majeure : une chute de son niveau d'activité associée à un raccourcissement des télomères coïncide en effet avec une accélération du taux de vieillissement biologique en présence d'un stress continu. Au terme de la retraite, l'activité télomérase était significativement plus forte parmi les pratiquants de la méditation shamatha, relativement au groupe témoin. Les chercheurs ont indiqué avoir également observé des relations complexes entre l'activité télomérase des groupes étudiés et les modifications constatées sur de nombreux traits de personnalité autoreportés (comme le névrosisme). Les pratiquants de cette retraite ayant manifesté après coup les plus nettes progressions en matière de contrôle perçu (perception de leur capacité à maîtriser une situation) et les plus fortes baisses du névrosisme présentaient également les hausses les plus marquées de l'activité télomérase.
(*) Samatha (pali), śamatha (शमथ, sanscrit), chiné (tibétain) désigne dans le bouddhisme la « tranquillité de l'esprit » ou « quiétude », et par extension l'ensemble des pratiques méditatives qui permettent de développer cet état. Cette étape est généralement suivie de la pratique de vipassanā, la « vision profonde ».
(KABAT-ZINN Jon et DAVIDSON Richard, « L’esprit est son propre médecin » (2011), Éditions Les Arènes 2014, p.313-314)

Plante fossilisée, Erg Mehedjebat (Algérie)

dimanche 26 avril 2015

La conscience de la mort donne de la douceur à la vie

La douceur de la fraise
Voici une parabole que le Bouddha racontait à ses disciples.
Un homme rencontra un tigre dans un champ. Le tigre chargea et l’homme s’enfuit. Il arriva au bord d’un précipice, trébucha et tomba. Par chance, il réussit à stopper sa chute en s’accrochant à une branche.
Il resta accroché là quelques minutes, suspendu entre le tigre affamé en haut et le profond canyon en bas, où il trouverait probablement la mort.
Tout à coup, il aperçut, à sa portée, des touffes de fraisiers sauvages qui croissaient sur la paroi du précipice, avec une savoureuse fraise encore sur la plante. Avec sa main libre, il cueillit la fraise et la mit dans sa bouche. Jamais, de toute sa vie, une fraise n’avait eu si bon goût !
… La conscience de la mort donne de la douceur à la vie.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.198)

Erg Mehedjebat, après la pluie (Algérie)

jeudi 23 avril 2015

Étonnante neuroplasticité...

L’expérience en simple aveugle

Pascual-Leone et ses collègues décidèrent ainsi de voir ce qui se passerait si les adultes voyants perdaient soudainement la vue. Ils recrutèrent des gens doués de vision normale et leur bandèrent les yeux. Ce n’était toutefois pas une blague de courte durée. Les sujets portèrent leur bandeau sur les yeux du lundi matin jusqu'au vendredi soir, nuit et jour. Un morceau de papier photographique était collé à l'intérieur du bandeau pour signaler les tricheurs, s'il était exposé à la fin de l'étude. Même s'ils ne tentèrent pas de naviguer dans le métro de Boston affligés de leur invalidité éphémère, les sujets réussirent tout de même à se déplacer dans leurs chambres au centre médical Beth Israel Deaconess à Boston, grâce au toucher et au son, sans trop d'ecchymoses. Ils passaient leurs journées à apprendre le braille et l'on scannait leur cerveau à l'IRMf tandis qu'ils effectuaient diverses tâches tactiles ou auditives : ils entendaient une série de tons et précisaient si chaque ton avait la même hauteur que le précédent, ou alors ils touchaient des paires de cellules de braille pour déterminer si elles étaient identiques ou pas.
Avant la fin de leur période de cécité imposée, le cortex visuel des sujets s'était comporté comme le prédisaient les manuels classiques : il s'activait lorsqu'ils regardaient quelque chose. Quand ils écoutaient, tâtaient un objet ou pensaient à des mots, il se taisait, tel que prévu. Leur cerveau se comportait ainsi que la nature l'avait voulu. Pendant la période où les sujets portaient le bandeau néanmoins, le cortex visuel se tournait les pouces, car aucun signal ne lui parvenait des yeux. Même s'il avait passé des décennies à gérer l'information visuelle, et uniquement cette information, après cinq petites journées de chômage contraint, il décrocha un nouveau boulot. Les IRMf révélaient qu'il traitait désormais des informations tactiles et auditives : si les sujets écoutaient des tons pour déterminer leur hauteur, s'ils effleuraient des reliefs du braille, leur cortex « visuel » s'activait. Par ailleurs, au fil des jours, leur cortex somato-sensoriel devenait de plus en plus silencieux quand ils touchaient les cellules de braille, et leur cortex visuel était de plus en plus actif. Le cerveau « qui voit » dorénavant sentait et entendait. Comme les furets recâblés de Mriganka Sur qui « entendaient l'éclair et voyaient le tonnerre », l’une des aires les plus fondamentales du cerveau des sujets aux yeux bandés avait subi des changements. Et il s'agissait d'adultes qui avaient, depuis vingt ans ou davantage, utilisé leur cortex visuel pour voir, et exclusivement à cette fin.
Il est fort peu probable que le cortex visuel ait établi des connexions toutes neuves vers les neurones auditifs ou tactiles. Cinq jours ne pourraient y suffire. Pascual-Leone précise plutôt que « quelques connexions rudimentaires somato-sensorielles et auditives vers le cortex visuel devaient être déjà présentes », connexions résiduelles du développement cérébral lorsque les neurones des yeux, des oreilles et des doigts se raccordent à de nombreuses aires dans le cortex, au lieu de se restreindre à celles où elles sont censées se concentrer. Ces connexions n'étaient pas utilisées quand le cortex visuel recevait des stimuli de la rétine, mais quand ces stimuli cessent, en raison du bandeau, alors d'autres relais sensoriels apparemment se dévoilaient ou se désinhibaient ; ces raccords revenaient en ligne après une vie entière où ils avaient été submergés par le volume de signaux trop important charrié par les neurones visuels vers le cortex du même nom. Le potentiel du cortex visuel d'entendre et de sentir a toujours été présent, probablement depuis avant la naissance, au moment où le cerveau tissait des réseaux un peu partout. L'expérience du bandeau indique que même les raccords silencieux depuis des décennies peuvent être ressuscités en cas de besoin. Si les connexions nouvelles sont utilisées à maintes reprises – si les bandeaux étaient restés en place des années au lieu de quelques jours – ces altérations rudimentaires se seraient peut-être établies plus fermement, modifiant le zonage cérébral de base chez l'adulte, comme elles l'ont fait dans le cerveau de très jeunes enfants.
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p.132-133)

Erg Mehedjebat (Algérie)

lundi 20 avril 2015

Le vagabondage de l'esprit : la plus puissante des distractions

« La faculté de ramener volontairement une attention vagabonde, encore et encore, est à la source même du jugement, du caractère et de la volonté », a observé le père fondateur de la psychologie américaine, William James [1842-1910].
Mais, on l'a vu, si on demande aux gens : « Êtes-vous en train de penser à autre chose que ce que vous faites ? », on a une chance sur deux de tomber sur un esprit qui vagabondait.
Cette probabilité varie considérablement selon la nature précise de l'activité concernée. Une enquête aléatoire réalisée auprès de plusieurs milliers de sujets a constaté de façon prévisible qu'ils n'accédaient jamais autant à l'ici et maintenant que lorsqu'ils étaient en train de faire l'amour (même s'ils ont reçu à ce moment précis l'appel importun de l'application pour smartphone des enquêteurs). En deuxième position, loin derrière, venait l'exercice physique, puis une bonne conversation et enfin le jeu. À l'opposé, le vagabondage de l'esprit était plus fréquent au travail (employeurs, notez-le bien), devant l'ordinateur domestique ou dans les transports.
En moyenne, l'humeur des sujets pendant le vagabondage avait généralement une tonalité désagréable ; même les pensées apparemment neutres étaient imprégnées d'une teinte émotionnelle négative. Bien souvent, l'errance de l'esprit semblait constituer en elle-même une source d'infélicité.
Où donc s'égarent nos pensées quand on ne réfléchit à rien de particulier ? Le plus souvent, il n'y est question que de « moi ». Le « moi », selon William James, tisse la notion de soi en racontant notre histoire – en assemblant des fragments de vie aléatoires sous forme de narration cohérente. Ce récit dont on est le personnage principal tisse un sentiment de continuité derrière le perpétuel passage d'un moment au suivant qui constitue notre expérience.
« Moi » est l'activité de la région par défaut, cet agitateur d'un esprit qui se perd dans les lacets de pensées qui n'ont que peu de rapport, voire aucun, avec la situation présente et beaucoup avec... moi. Cette habitude mentale prend le dessus aussitôt qu'on accorde à l'esprit un moment de repos après une activité focalisée.
Quand il ne procède pas à des associations créatives, le vagabondage de l'esprit tend à se centrer sur moi et mes préoccupations : toutes les choses que j’ai à faire aujourd'hui ; ce que je n’aurais pas dû dire à untel ; ce que j’aurais bien fait de dire à la place. Il arrive à l'esprit de se perdre dans des pensées ou des fantaisies plaisantes, mais il gravite quand même plus souvent autour de la rumination et de l'inquiétude.
Lorsque le dialogue intérieur et la rumination génèrent un fond d'anxiété de basse intensité, le cortex préfrontal médian s'active. Mais lorsqu'on est pleinement concentré, une région voisine, le cortex préfrontal latéral, inhibe cette région médiane. L'attention sélective désélectionne ces circuits de la préoccupation émotionnelle, qui constituent la plus puissante des distractions. La réaction aux événements qui surviennent, ou tout type de focalisation active, éteint le « moi », alors que la focalisation passive nous ramène au bourbier confortable de la rumination.
La plus puissante des distractions n'est pas la conversation des voisins de table, mais celle qui se tient dans notre esprit. La vraie concentration exige d'imposer le silence à ces voix intérieures. Entreprenez de retrancher de sept en sept à partir de cent et, si vous restez concentré sur la tâche, votre zone de bavardage va finir par se taire.
(GOLEMAN Daniel, « Focus, Attention et concentration : les clefs de la réussite » (2013), Éditions Robert Laffont, p.58-60)


Peintures rupestres, Erg Mehedjebat (Algérie)

vendredi 17 avril 2015

La prison du nombrilisme

Le nombrilisme, parce qu'il nous fige, clôt notre identité à quelques descriptions limitées de nous-même, nous enferme, nous coupe des apprentissages que nous pourrions vivre et nous prive des expériences qui entreraient en contradiction avec cette conceptualisation. Cela revient à nous accrocher à l'histoire que nous nous racontons sur nous, envers et contre tout. Nous nous chosifions, nous collons à ce masque, ce costume que l'on (nous) a fait endosser au fil des années. C'est ce à quoi fait référence Lorenzaccio dans la pièce éponyme de Musset, piégé par le rôle qu'il s'est donné : « Le vice a été pour moi un vêtement ; maintenant il est collé à ma peau... ».
Que cette histoire soit liée au groupe auquel nous nous identifions, à notre caractère ou à notre personnalité, elle finit de toute manière par nous emprisonner. Cette identification nous fait aussi perdre de vue que nous sommes liés aux autres et à la nature. Elle nous fait croire à une entité stable, autonome, séparée du reste du monde. Cette perception nourrit nos comportements égoïstes et compétitifs qui en fin de compte se retournent contre nous. « Quand le bonheur égoïste est le seul but de la vie, la vie est bientôt sans but », écrivait avec sagesse Romain Rolland.
(KOTSOU Ilios, « Éloge de la lucidité », Éditions Robert Laffont, 2014, Préface de Christophe ANDRÉ, Postface de Matthieu RICARD, p.119-120)

Exposition Folon, parc de La Hulpe [2008] (Belgique)

mercredi 15 avril 2015

Aider les autres pour se sentir bien

Dans une autre étude, on a demandé à des personnes de poser, pendant une semaine, cinq gestes de gentillesse et de bienveillance. Ils pouvaient effectuer ces cinq actes de gentillesse sur différents jours de la semaine, soit les concentrer dans la même journée. L’exercice s'est poursuivi pendant un mois, puis on a évalué le niveau de bien-être des participants. On s'est aperçu que faire les cinq gestes dans la même journée engendrait de beaucoup plus grandes satisfactions à long terme. Il semble donc que si l'on n'accomplit qu'un seul acte par jour, finalement, il va être dilué dans le reste de nos activités, tandis que faire cinq gestes de bienveillance dans la même journée change notre attitude d'une manière plus durable. Cela fait donc non seulement du bien aux autres, ce qui est le but principal, mais nous confère également un plus grand sentiment de plénitude.
Par ailleurs, dans une autre expérience, Barbara Fredrickson, l'une des pionnières des études scientifiques sur la psychologie positive, demandait aux participants de cultiver la bienveillance, l'amour altruiste et la compassion pendant huit semaines à raison de 20 minutes de méditation par jour. Les résultats furent très clairs : ce groupe, qui n'était constitué pourtant que de novices en matière de méditation, avait appris à calmer son esprit et, plus encore, à développer remarquablement sa capacité d'amour et de bienveillance. Comparés aux personnes du groupe témoin (à qui l'on offrit de participer au même entraînement une fois l'expérience terminée), les sujets qui avaient pratiqué la méditation éprouvaient davantage d'amour, d’engagement dans leurs activités quotidiennes, de sérénité, de joie, et d'autres émotions bienfaisantes.
Au cours de l'entraînement, Fredrickson remarqua également que les effets positifs de la méditation sur l’amour altruiste persistaient durant la journée, en dehors de la séance de méditation, et que, jour après jour, l’on observait un effet cumulatif. Les mesures de la condition physique des participants montrèrent aussi que leur état de santé s'était nettement amélioré. Même leur tonus vagal avait augmenté.
(Christophe ANDRÉ/Jon KABAT-ZINN/Pierre RABHI/Matthieu RICARD, « Se changer, changer le monde » [2013], Éd. J’ai Lu, 2015, Matthieu RICARD p.94-98)

Calao (Mali)

dimanche 12 avril 2015

Apprendre à relativiser les choses...

Le serviteur dans la tempête
Un maharaja naviguait au large lorsque survint une grosse tempête. Un de ses serviteurs qui étaient à bord se mit à pleurer et à geindre de peur, car il ne s’était jamais trouvé sur un bateau auparavant. Il pleurait si fort et il le fit si longtemps que tout le monde sur le bateau commença à être ennuyé, et le maharaja émit l’avis qu’il fallait l’assommer. Mais son principal conseiller, qui était un homme sage, lui dit : « Non, laissez-moi m’occuper de cet homme : je pense que je peux le guérir. »
Là-dessus, il ordonna à quelques-uns des matelots de lancer l’homme à la mer. À l’instant où il se retrouva dans la mer, le pauvre serviteur se mit à crier de peur et à se débattre follement. Quelques secondes après, le sage ordonna qu’on le ramenât à bord.
De retour sur le bateau, le serviteur se tint dans un coin, dans un silence absolu. Au maharaja qui demandait à son conseiller la raison de cette nouvelle attitude, celui-ci dit : « On ne se rend pas compte de son bonheur, tant que la situation n’empire pas. »
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.195-196)

Désert de Libye

jeudi 9 avril 2015

Les dangers de la pression du temps

L'énorme pression du temps que notre mode de vie nous impose est un sujet peut-être plus troublant encore. La pléthore des choses à faire pendant les week-ends, les vacances, durant nos heures de loisirs, nous submerge. ...
Une étude expérimentale déjà assez ancienne montre comment un petit détail comme le sentiment d'urgence peut bousculer nos valeurs et modifier nos comportements. Cette observation portait sur des étudiants en théologie au profil identique. Les chercheurs leur demandaient de préparer une homélie sur la parabole du Bon Samaritain. Cette parabole, tirée du Nouveau Testament, raconte comment un voyageur passant dans une région un peu dangereuse est attaqué par des brigands qui le frappent, le dévalisent puis le laissent pour mort au bord du chemin. Un premier voyageur passe, puis un autre, mais ils ne s'arrêtent pas, probablement parce qu'ils ont peur. …
On donne aux étudiants la consigne suivante : « Vous allez étudier ce texte avec attention et préparer un sermon que vous enregistrerez dans un studio situé dans le quartier voisin. » Une fois les étudiants sensibilisés, grâce au texte, à l'altruisme et à l'aide à apporter aux inconnus, ils sont envoyés pour enregistrer leur homélie dans un studio proche. À la moitié de ces étudiants on dit : « Vous avez le temps, ne trainez pas trop en route, mais ça va aller... » Et à l’autre moitié : « Dépêchez-vous, vous êtes en retard, allez-y vite sinon votre tour va passer et vous ne pourrez plus enregistrer !» Sur le chemin, un comparse a pour mission de s'allonger par terre et de geindre, comme le voyageur qui a été agressé. Les chercheurs voulaient voir si les traits de caractère, de personnalité, la qualité du texte qu'ils avaient étudié avaient une influence sur l'aide apportée. La pression du temps que l'on avait fait peser sur les épaules des étudiants s'avéra être la variable la plus influente. Les deux tiers des étudiants sur lesquels on n'avait pas fait peser la pression du temps s'arrêtaient pour aider la personne qu'il fallait secourir, et seulement un tiers ne s'arrêtait pas (ils devaient être stressés par la perspective de leur enregistrement !). En revanche, la pression du temps exercée sur l'autre groupe faisait qu'ils n'étaient plus que 10 % à s'arrêter ! Un sur dix ! Alors que ces étudiants en théologie venaient de travailler sur une parabole parlant d'altruisme !
Cela encore doit nous inciter à beaucoup de modestie. La facilité avec laquelle nos bonnes intentions et nos valeurs peuvent être bousculées par un simple sentiment de fausse urgence est déconcertante, vexante, humiliante, déprimante... mais bien réelle ! Nos dispositions naturelles ou nos valeurs sont constamment entravées par de petits détails comme ceux-ci. Il faut débusquer inlassablement les façons dont, dans nos vies, l'impression d'être bousculé par le temps, par la masse des choses à taire, peut progressivement dénaturer nos capacités à être de bons humains.
(Christophe ANDRÉ/Jon KABAT-ZINN/Pierre RABHI/Matthieu RICARD, « Se changer, changer le monde » [2013], Éd. J’ai Lu, 2015, Christophe ANDRÉ p.50-53)

Goutte de rosée

lundi 6 avril 2015

L'importance de la pratique de la pleine conscience pour les patients... et les instructeurs

Les participants au programme MBSR apprennent de deux manières : par leur propre pratique et lorsque l'instructeur lui-même peut la vivre dans la manière d'aborder les questions soulevées pendant la classe. C’était différent de notre première conception de la pleine conscience comme technique à laquelle les patients peuvent être entraînés par un thérapeute qui n'était pas nécessairement conscient lui-même. Si les thérapeutes eux-mêmes ne sont pas conscients lorsqu'ils enseignent, les participants pourront acquérir cette pleine conscience de manière limitée. Comme en escalade, ceux qui apprennent doivent sentir que l'instructeur a l'habileté et l'expérience pour aborder les situations difficiles qui vont se présenter. De la même manière, l'entraînement à la « pleine conscience » implique que l'instructeur participe aux côtés des patients, et ne se contente pas de donner des instructions comme s'il restait au pied du rocher. Le défi pour nous, cliniciens et scientifiques, était de participer à cette pratique et de l'expérimenter de l'intérieur. Nous nous sommes engagés à développer une pratique régulière de méditation de pleine conscience.
S'engager à faire quelque chose est une chose ; le faire en est une autre. Nous avons rencontré beaucoup de résistances à faire cette « simple » chose que nous avions demandé de faire à nos patients. Trouver le temps dans un programme chargé, ou peut-être se lever trois quarts d'heure plus tôt que d'habitude, était difficile. Nous avons découvert l'incroyable éventail d'excuses imaginables pour interrompre un jour la pratique quotidienne. Venait ensuite la question de savoir combien de ceci nous pouvions dévoiler à nos collègues (en fait une question sans importance, nous le verrions plus tard ; nous sommes constamment surpris de découvrir le nombre de nos collègues qui pratiquent la méditation sans en avoir parlé). Nous nous souvenions de ce que nous avions entendu dire par les instructeurs MBSR à leurs patients : qu'il est stressant de suivre une classe de réduction du stress. Nous savions maintenant ce qu'ils voulaient dire. Sans parler du reste, nous trouvions que notre respect pour nos patients grandissait fortement ; plus encore peut être pour ceux dont le combat se rejouait de semaine en semaine devant la classe.
Au fil du temps, nous avons pu intégrer l'expérience d'une pratique de pleine conscience avec nos lectures supplémentaires, nos discussions et les rencontres avec les enseignants de la Clinique de Réduction du Stress lors de nos visites subséquentes. Notre difficulté à mettre en œuvre l'entraînement au contrôle attentionnel nous avait appris quelque chose de très important. Nous avions réalisé que l'approche que nous avions développée pour réduire les rechutes chez les patients dépressifs devait être révisée et nous nous sentions maintenant prêts à la retravailler en ce sens. Nous avions radicalement changé d'avis sur ce que les patients devaient apprendre en classe et au cours de leurs travaux à domicile. Nous étions plus confiants dans le fait que les patients portaient déjà en eux les ressources nécessaires pour avancer dans la gestion de leurs problèmes. Nous nous demandions comment leur permettre de faire cela au mieux, et ceci allait nous demander de modifier à la fois notre théorie et notre pratique.
(SEGAL Zindel, WILLIAMS Mark, TEASDALE John, « La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression : Une nouvelle approche pour prévenir la rechute », Éditions De Boeck 2006, p.79-81)

Paysage impressioniste du Lac Skadar (Monténégro)

vendredi 3 avril 2015

Tout ce que nous consommons agit sur nous

La nourriture essentielle
Rien ne peut survivre sans nourriture. Tout ce que nous consommons agit sur nous, soit en nous guérissant, soit en nous empoisonnant. Nous avons tendance à penser que la nourriture se limite à ce que nous ingérons par la bouche, mais ce que nous consommons avec nos yeux, nos oreilles, notre nez, notre langue et notre corps est aussi de la nourriture. Les conversations qui ont lieu autour de nous, comme celles auxquelles nous participons, sont aussi de la nourriture. Confectionnons-nous et absorbons-nous le type de nourriture qui est sain pour notre corps et notre esprit, celui qui nous aide à grandir et à nous épanouir ?
Quand nous prononçons des paroles qui nous enrichissent et qui aident notre entourage à mieux vivre, nous nourrissons l'amour et la compassion. Quand, au contraire, nos paroles et nos actes apportent tension et colère, nous alimentons la violence et la souffrance.
Nous absorbons souvent des informations toxiques provenant de ceux qui nous entourent, tout comme de ce que nous regardons et lisons. Est-ce que ce que nous consommons cultive la compréhension et la compassion en nous ? Si tel est le cas, il s'agit de bonne nourriture. Souvent, nous consommons des communications qui provoquent en nous un sentiment de mal-être, d'insécurité ou qui nous amènent à juger ou à nous sentir supérieurs aux autres. C'est la raison pour laquelle nous devons penser à toute communication en termes de nourriture et de consommation. lnternet, par exemple, est un bien de consommation plein de nutriments qui peuvent aussi bien être toxiques que salutaires. Quelques minutes en ligne suffisent pour nous fournir le pire et le meilleur. Cela ne veut pas dire que nous devons supprimer lnternet de notre vie, mais que nous devons être pleinement conscients de ce que nous lisons ou regardons. Autrement dit, de ce que nous laissons entrer en nous.
Quand vous travaillez sur l'ordinateur pendant trois ou quatre heures d'affilée, vous vous perdez complètement. C'est comme manger des frites: vous ne devriez pas manger des frites toute la journée, tout comme vous ne devriez pas être sur l'ordinateur toute la journée. Quelques frites, et quelques heures devant l'écran, sont sans doute la limite maximale de ce dont nous avons besoin.
Ce que vous lisez et écrivez peut vous aider à guérir, alors soyez attentif à votre consommation. Quand vous écrivez une lettre ou un e-mail plein de compréhension et de compassion, vous vous nourrissez vous-même tout en l'écrivant. Même s'il ne s'agit que d'un petit mot, tout ce que vous écrivez peut vous nourrir et nourrir celui à qui vous l'écrivez.
(Thich Nhat Hanh, « L’art de communiquer en pleine conscience »(2013), Le courrier du Livre 2014, p.9-10)

Fritillaire pintade (Lot-et-Garonne, France)

mardi 31 mars 2015

Pleine conscience, empathie, et monde du travail

Dans un article paru en 2009, Krasner et ses collègues ont dévoilé les résultats d'un programme de pleine conscience auquel avaient pris part soixante-dix médecins généralistes de Rochester. Comme l'ont montré d'autres études similaires, l'entraînement à la pleine conscience a permis de soulager sensiblement la détresse psychologique et l'épuisement auxquels sont sujets beaucoup de praticiens et d'améliorer leur bien-être. Mais aussi de développer leur capacité à communiquer avec les patients et de recentrer les soins sur ces derniers. En aidant les médecins à expérimenter pleinement la rencontre clinique – dans ses aspects agréables et désagréables, sans jugement et avec un esprit de curiosité et d'aventure –, le programme de pleine conscience a eu des répercussions profondes sur le stress et l'épuisement. Il a aussi renforcé leur aptitude à se connecter à chaque patient en le considérant comme un être singulier et à focaliser leurs soins sur cette singularité.
... Plus nous sommes conscients, plus nous développons notre empathie, qui est la condition sine qua non de l'efficacité sociale au travail.
(CHASKALSON Michael, « Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité » (2011), Préface de Christophe ANDRÉ (2013), CD audio d’exercices conçus et lus par Christophe ANDRÉ (2013), Éditions des Arènes 2013, p.162-164)

Mont Guillaume, Embrun (France)

samedi 28 mars 2015

La conscience n’est pas la pensée

 Méditation et pensée positive
C’est notre faculté de penser qui nous différencie d’une façon si radicale des autres espèces. Mais si nous n’y prenons pas garde, cette faculté peut évincer d’autres facettes tout aussi précieuses de notre personnalité. Souvent, la faculté d’éveil en est la première victime.
La conscience n’est pas la pensée. La conscience est dans une autre dimension, au-delà de la pensée, tout en l’utilisant et en reconnaissant sa valeur et son pouvoir. La conscience ressemble à un plat qui contiendrait nos pensées, en nous aidant à les considérer comme des pensées et non comme la réalité.
L’esprit pensant peut être sévèrement fragmenté à certains moments. La plupart du temps, d’ailleurs. C’est la nature de la pensée. Mais la conscience peut nous aider à percevoir que notre nature fondamentale est déjà intégrée et entière. ...
La méditation n’implique pas que nous changions notre manière de penser en pensant davantage. Elle propose seulement que nous observions le processus de notre pensée. Par l’observation, nous contenons en quelque sorte nos pensées. En les observant sans être entraînés dans leur flux, nous sommes en mesure d’apprendre quelque chose de libérateur au sujet de la pensée même. Nous échappons ainsi aux modèles habituels de raisonnement – qui nous dominent si fortement – et qui sont la plupart du temps étroits, inexacts, narcissiques et faux.
Une autre manière de considérer la méditation est de visualiser le processus de raisonner comme une cascade, une cataracte de pensées sans fin. En cultivant la pleine conscience nous nous plaçons au-delà ou en deçà de nos pensées, un peu comme si nous observions la cascade à l’abri d’une grotte. Nous entendons et nous voyons l’eau qui déferle mais nous ne sommes pas emportés par le courant du torrent.
En pratiquant de cette façon, nos habitudes de pensée se transforment insensiblement en intégrant dans nos vies la compréhension et la compassion. C’est en percevant la nature de notre faculté de raisonner en tant que pensées, qu’elles nous servent plutôt que nous soyons asservis par elles.
Lorsque nous nous efforçons de penser « positif », cela peut être utile mais il ne s’agit pas de méditation. Il s’agit simplement de plus de pensée. Nous risquons autant d’être prisonniers de la « pensée positive » que des pensées négatives. Elle aussi peut être réductrice, fragmentée, inexacte, illusoire, et fausse. La transformation de nos vies, au-delà des limites de la pensée, exige un élément autre que « penser positif ».
(Dr Jon KABAT-ZINN, « Où tu vas, tu es », 1994, J’ai Lu n°7 516, 2009, p.106-108)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.

Fontaine du jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

mardi 17 mars 2015

Insula et empathie

La recherche scientifique en imagerie cérébrale (IRMf) a montré que la méditation dynamise le cortex insulaire. Cela est d'une importance capitale, car cette partie du cerveau joue un rôle essentiel dans notre capacité à nouer des liens avec autrui, en favorisant une empathie réelle et viscérale. L'empathie est ce qui permet de voir dans l'âme de l'autre, si l'on peut dire, et nous aide à comprendre ce qu'il éprouve « de l'intérieur ». Elle va de pair avec la vraie compassion et une bienveillance sincèrement aimante. Si vous pouviez observer votre cerveau avec un scanner, vous verriez que cette zone vibre et s’anime lorsque vous ressentez de l'empathie pour quelqu’un. Non seulement la méditation renforce cette zone, mais elle favorise sa croissance et son développement.
Pourquoi est-ce si important ? Outre que l'empathie est bénéfique à la société et à l'humanité dans son ensemble, elle l'est aussi pour celui qui l'éprouve. L'empathie, la compassion sincère et la bienveillance aimante, envers soi-même comme envers les autres, ont des bénéfices considérables sur la santé et le bienêtre. Or plus une personne a pratiqué la méditation, plus son cortex insulaire est développé. Cela dit, même 8 semaines d'entraînement suffisent à produire des changements dans le fonctionnement de cette partie essentielle du cerveau.
(WILLIAMS Mark et PENMAN Danny, « Méditer pour ne plus stresser » (2011), préface de Jon Kabat-Zinn, Éditions Odile Jacob, 2013, p.66-67)

Canyon de la Piva (Monténégro)

samedi 14 mars 2015

L’entraînement de l’esprit

D’où nous vient donc cette tendance étonnante à croire que nous sommes les maîtres de notre esprit ? Et à tenir pour évidentes et acquises nos capacités d’attention et de conscience, sans qu’il soit besoin de les travailler ?
Comme si notre cerveau, à la différence de nos muscles, n’avait pas besoin d’entraînement, et ne pouvait être développé ! Nous acceptons pourtant cette évidence pour notre corps : nous savons que l’exercice physique développe notre souffle et nos muscles, qu’une alimentation adaptée bénéficie à notre santé, etc. Mais nous sommes moins convaincus, ou moins informés peut-être, que l’équivalent existe pour notre psychisme : l’entraînement de l’esprit, ou l’exercice mental, présentent aussi un intérêt majeur. Sur un plan intellectuel, ils nous aident à « muscler » nos capacités de réflexion et de concentration ; sur un plan émotionnel, à entraver nos penchants spontanés vers le stress, l’abattement, la colère et tous les dérapages auxquels nous expose le quotidien. La plupart de nos capacités psychiques obéissent aux règles de l’apprentissage : plus on pratique, plus on progresse.
C’est d’ailleurs ce qui nous arrive spontanément : plus nous nous énervons, plus nous devenons forts en énervement. Plus nous pratiquons le pessimisme ou le négativisme, plus nous devenons de grands experts pour décourager et les autres et nous-mêmes. Plus nous stressons, plus nous devenons des champions du stress...
Souhaitons-nous progresser dans d’autres directions ? Il va alors être nécessaire de travailler. Nous l’acceptons pour apprendre l’anglais, le ski ou la pratique d’un instrument de musique.
(ANDRÉ Christophe, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p.248-249)

Le retour du printemps

mardi 10 mars 2015

Du velcro sur le négatif

Nous nous demandons de longue date pourquoi nous sommes heureux ou tristes, pourquoi nous nous entraidons ou nous blessons. Des sages et des scientifiques explorent les causes mentales du bonheur et de la souffrance. Aujourd'hui, pour la première fois de notre histoire, nous pouvons nous demander quelles sont les origines neuronales sous-jacentes de ces causes et trouver des réponses dans les structures et les processus de notre cerveau tel qu'il a été façonné par l'évolution.
Le cerveau n'a pas été créé en un clin d'œil. Ses capacités et ses penchants se sont forgés au fil de centaines de millions d'années, mais les facteurs qui ont modelé ce long parcours impersonnel se manifestent encore aujourd'hui dans votre vie sous des aspects très personnels. Imaginons que vous soyez parvenu à accomplir vingt tâches aujourd'hui et que vous ayez commis une seule erreur. Que vous restera-t-il à l'esprit au moment de vous coucher ? Probablement l'erreur, même s'il s'agit d'une infime partie de votre journée. Comme vous le verrez, ce phénomène tient à l'évolution du cerveau. En découvrant comment ce dernier s'est construit au fil du temps, vous vous comprendrez mieux — et vous comprendrez mieux les autres. De plus, vous pourrez utiliser et façonner plus efficacement cette chose extraordinaire cachée dans votre boîte crânienne.
(HANSON Rick, « Le cerveau du bonheur : La joie, le calme et la confiance en soi au temps des neurosciences » (2013), Éditions des Arènes, 2015, p.31-32)

Orgues basaltiques de la vallée de Garni (Arménie)

samedi 7 mars 2015

Médias et violence

L’influence des médias
Près de 3 500 études scientifiques et tous les travaux de synthèse publiés durant la dernière décennie ont montré que le spectacle de la violence est de fait une incitation à la violence. Pour l’Académie américaine de pédiatrie : « Les preuves sont claires et convaincantes : la violence dans les médias est l’un des facteurs responsables des agressions et de la violence. » Ces effets sont durables et mesurables. Les enfants sont particulièrement vulnérables, mais nous sommes tous concernés.
Ces travaux ont aussi permis de réfuter entièrement l’hypothèse (inspirée en partie par les théories freudiennes) selon laquelle le spectacle de la violence permettrait à l’individu de se purger des pulsions agressives supposées l’habiter. Il a maintenant été établi qu’à l’inverse, ce spectacle aggrave les attitudes et comportements violents946. Cela n’empêche qu’en dépit de ces observations scientifiques, l’idée d’une catharsis libératrice continue à être régulièrement invoquée.
D’après Michel Desmurget, directeur de recherche à l’Inserm au Centre de neurosciences cognitives de Lyon, les images violentes opèrent selon trois mécanismes principaux : elles augmentent la propension à agir avec violence ou agressivité : c’est le mécanisme d’amorçage. Elles élèvent notre seuil de tolérance à la violence : c’est le mécanisme d’habituation. Elles exaspèrent nos sentiments de peur et d’insécurité : c’est le syndrome du monde mauvais. C’est la convergence de ces influences qui, au bout du compte, explique l’impact de la violence audiovisuelle. Il est établi également que les images violentes atténuent les réactions émotionnelles à la violence, abaissent la propension à porter secours à un inconnu victime d’agression et affaiblissent la capacité d’empathie.
Au terme de deux décennies d’études sur l’influence de la télévision, des chercheurs de l’université de Pennsylvanie ont démontré que les téléspectateurs qui regardent constamment des actes négatifs manifestent une tendance accrue à agir de la même façon, et que, plus on regarde la télévision, plus on est enclin à penser que les gens sont égoïstes et qu’ils nous tromperaient à la première occasion. Bien avant l’âge de l’audiovisuel, Cicéron observait déjà : « Si nous sommes contraints, à chaque instant, de contempler ou d’entendre parler d’événements horribles, ce flot ininterrompu d’impressions détestables privera même les plus humains d’entre nous de tout respect pour l’humanité. » À l’opposé, quand les médias prennent la peine de mettre en valeur les aspects généreux de la nature humaine, les spectateurs entrent aisément en résonance avec cette approche positive. Ainsi, la récente série intitulée « Héros de CNN » connaît un franc succès aux États-Unis. Cette émission présente des portraits et des témoignages de personnes, souvent très humbles et inconnues, qui se sont lancées dans des projets sociaux novateurs et bienfaisants ou totalement impliquées dans la défense de causes justes.
Les études les plus révélatrices sont celles qui ont mesuré l’augmentation de la violence suite à l’introduction de la télévision dans des régions où elle n’existait pas. L’une de ces études, réalisée dans des communautés rurales isolées du Canada, incluant quelques villes, a montré que deux ans après l’arrivée du petit écran, les violences verbales (injures et menaces) observées dans des écoles primaires ont été multipliées par deux et les violences physiques par trois. Une autre étude a mis en évidence une augmentation spectaculaire de la violence chez les enfants après l’introduction d’émissions de télévision en langue anglaise (qui contenaient une proportion élevée d’images violentes) en Afrique du Sud. Compte tenu de la magnitude des effets observés, Brandon Centerwall, de l’université de Washington, à Seattle, a évalué qu’il y aurait, rien qu’aux États-Unis, 10 000 homicides, 70 000 viols et 700 000 agressions avec coups et blessures de moins chaque année si la télévision n’existait pas.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance » (2013), Éditions NiL, p.413-415)

La Rijeka Crnojevica, aux sources du Lac Skadar (Monténégro)