dimanche 30 décembre 2012

L'attention et la pleine conscience

« L'attention est la prise de possession par l'esprit, sous une forme claire et vive, d'un objet ou d'une suite de pensées parmi plusieurs qui semblent possibles. […] Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres », explique William James (1842-1910), l'un des fondateurs de la psychologie moderne, qui étudia très tôt la conscience et l'attention. L'attention est l'outil de base de la conscience : pas d'attention, pas de conscience. C'est sans doute pour cela que la phrase que prononcent le plus souvent les instructeurs de méditation est : « Maintenant, portez doucement votre attention sur... » Mais attention et conscience sont deux entités différentes. Dans l’attention on écarte (ce qui ne nous intéresse pas), alors que, dans la conscience, on accueille. L'attention procède par exclusion, la conscience par inclusion. C'est, par exemple, le problème avec l'anxiété ou la dépression, qui sont, d'une certaine manière, des troubles de l'attention : on ne fait attention qu'à nos sources de soucis, et on écarte le reste. Ce sera aussi une solution possible que de faire appel à la pleine conscience pour soigner cette attention malade : élargir le champ de notre attention dans les moments où nous nous sentons tristes ou inquiets. [...]
Le travail sur l'attention est au cœur de la pratique de la pleine conscience. Asseyez-vous, centrez-vous sur le souffle. Et voyez comme votre esprit part ailleurs. Alors, revenez sur le souffle. Une fois, dix fois, des centaines de fois. Des centaines de pas vous ont appris autrefois à marcher ; des centaines de pas continuent chaque jour de maintenir en vous cette capacité à la marche. Il en est de même de vos capacités d'attention : si vous vivez dans la dispersion et vous contentez de répondre aux sollicitations, d'aller là où ça clignote et où ça sonne, elles seront indigentes. Les exercices de pleine conscience, et surtout les centaines de « sorties d 'exercice » et les centaines de « retours à l'instant présent », représentent un entraînement mental exceptionnel. Pratiquez, pratiquez. Sinon, ne vous étonnez plus que votre esprit vous joue des tours ... 
(Christophe ANDRÉ, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p. 91-92, 97)

Dunes dans le massif de l'Akakus (Libye)

samedi 29 décembre 2012

Comprendre ce dont on n’a pas besoin

Socrate au marché
En véritable philosophe qu’il était, Socrate était d’avis que toute personne sage devait mener une vie frugale. Lui-même ne portait même pas de chaussures ; et pourtant, il tombait constamment sous le charme du marché et s’y rendait souvent pour regarder toutes les marchandises qui y étaient exposées.
À l’un de ses amis qui lui demandait pourquoi, Socrate répondit : « J’aime aller là et découvrir le nombre de choses sans lesquelles je suis parfaitement heureux. »

La spiritualité, c’est non pas savoir ce que l’on veut, mais comprendre ce dont on n’a pas besoin. On a connu des gens qui ont assuré une vie riche à eux-mêmes et à d’autres moyennant très peu de possessions. 
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.90-91)

Églises, île de Sifnos (Grèce)

jeudi 27 décembre 2012

Seul l'instant présent est créateur

Le temps nous apparaît comme une flèche lancée par un mystérieux archer. Quoi que nous fassions, les secondes s'écoulent, inéluctables. Nous ne pouvons ni arrêter cette flèche, ni l'accélérer, ni a fortiori la détourner. Nous avons souvent tendance à fouiller notre mémoire, à nous replonger dans le passé, mais aussi à nous projeter dans le futur, à imaginer ce que nous allons faire ou devenir. C'est tout à fait compréhensible. À une condition toutefois : que ces deux penchants ne prennent pas des proportions envahissantes au détriment de la qualité d'attention et d’'action dans l'instant présent. En ce sens, un bon rapport au temps est essentiel pour bien mener sa vie. Toutes les sagesses du monde le rappellent : le présent est le seul point de la flèche du temps où l'on peut agir, il est le seul moment créatif. Quand je parle de l'action que l'on peut et doit mener dans le présent, je ne parle pas seulement du travail, mais j'englobe également la contemplation, la passivité féconde de l'attention et de la méditation. Or, beaucoup vivent mal dans le présent tant ils sont parasités par les traumatismes du passé ou au contraire paralysés par la peur de l'avenir. ...
Pour être dans la vérité et dans la joie de l'instant présent, il nous faut donc nous dépolluer l'esprit du passé et de l'avenir, de nos remords, de nos angoisses, de nos peurs et de nos rêves, c'est-à-dire appliquer la maxime de sagesse édictée au IIe siècle par Marc Aurèle, cet empereur romain pétri de philosophie stoïcienne : « Ne te laisse pas troubler par la représentation globale de toute ta vie. » Les stoïciens avaient prôné comme attitude fondamentale de vie ce que l'on appelle en grec la prosochè, c'est-à-dire la vigilance à chaque instant de la vie, la concentration sur le moment présent délivré des attaches du passé et de l'avenir, sources de passions vaines et néfastes. Ils insistaient sur la valeur infinie de ce moment présent, « l'ici et le maintenant », le seul sur lequel on peut agir et où l'on peut agir. ...
Seul l'instant présent est créateur ; il n'y a que dans l'« ici et maintenant » que nous pouvons vraiment jouir de la vie, c'est-à-dire être dans la vraie joie. Celle-ci n'est pas un souvenir du passé ni un rêve d'avenir, sources sans doute de belles émotions, mais pas aussi puissantes que la joie. L'instant nous fait toucher l'éternité, c'est-à-dire l'absence de temporalité linéaire, le présent éternel. Nous pouvons ainsi arriver à comprendre, en le vivant pleinement, à quoi pourrait ressembler le bonheur perpétuel dont parlent les grandes religions, et qui consiste à être fixé dans une sérénité, une harmonie, une paix, une réconciliation avec soi-même et avec le monde. C'est ce que le maître bouddhiste Thich Nhat Hanh appelle « la plénitude de l'instant », une grâce qu'il trouve jusque dans les gestes les plus anodins, ceux que nous effectuons le plus souvent en pensant à autre chose. Ainsi, dit-il, quand vous buvez votre tasse de thé, appréciez l'instant présent, oubliez le passé et le futur, souriez à votre tasse, prenez-la en pensant simplement : « Je prends la tasse. » Parce qu'en la prenant, en mettant tout votre corps et votre esprit, « vous êtes en contact avec les merveilles de la vie ».
(LENOIR Frédéric, « Petit traité de vie intérieure », Plon, 2010, p. 149-150 et 159 ; ou Pocket n°15 312, 2012, p. 137-138 et 145-147)

Ne te laisse pas troubler par la représentation de ta vie tout entière. N’embrasse point en pensée quels grands et quels nombreux ennuis devront sans doute t’atteindre. Mais, à chacun des ennuis présents, demande-toi : « Qu’y a-t-il en ce fait d’intolérable et d’insupportable ? » Tu rougirais, en effet, de le confesser. Rappelle-toi ensuite que ce n’est ni le futur, ni le passé qui te sont à charge, mais toujours le présent. Et le présent se raccourcit, si tu le ramènes à ses seules limites et si tu convaincs d’erreur ton intelligence, lorsqu’elle se sent incapable de s’opposer à ce faible ennemi.
(MARC-AURÈLE (121–180 ap. J-C), « Pensées pour moi-même », Livre VIII, XXXVI)

Désert blanc (Égypte)

lundi 24 décembre 2012

Les joies de l’altruisme

Qu'est-ce que l'altruisme a à voir avec le bonheur ? Des recherches ayant porté sur plusieurs centaines d'étudiants ont mis en évidence une corrélation indéniable entre l'altruisme et le bonheur. Elles ont montré que les personnes qui se déclarent les plus heureuses sont aussi les plus altruistes. Lorsqu'on est heureux, le sentiment de l'importance de soi diminue, on est plus ouvert aux autres. Il a par exemple été montré que les personnes qui avaient vécu un événement heureux dans l'heure précédente étaient plus enclines que les autres à venir en aide à des inconnus.
Il est par ailleurs connu que la dépression aiguë s'accompagne d'une difficulté à ressentir et à exprimer de l'amour pour les autres. « La dépression est une défaillance d'amour », écrit Andrew Solomon en préambule à son ouvrage intitulé Le Démon intérieur, anatomie de la dépression. Plus probant : ceux qui ont souffert de la dépression affirment que donner de l'amour aux autres et en recevoir est un important facteur de guérison. Cette affirmation concorde avec le point de vue du bouddhisme, qui tient l'égocentrisme pour cause principale du mal-être, et l'amour altruiste pour composante essentielle du bonheur véritable. L'interdépendance entre tous les phénomènes en général, et entre tous les êtres en particulier, est telle que notre propre bonheur est intimement lié à celui des autres. Ainsi que nous l'avons souligné dans le chapitre concernant les émotions, la compréhension de l'interdépendance est donc au cœur de soukha [L’expression « bien-être » serait le plus proche équivalent du concept de soukha, si ce mot n’avait perdu de sa force pour ne plus désigner qu’un confort extérieur et un sentiment de contentement assez superficiels. …Soukha est étroitement lié à la compréhension de la manière dont fonctionne notre esprit et dépend de notre façon d’interpréter le monde, car, s’il est difficile le changer ce dernier, il est en revanche possible de transformer la manière de le percevoir.], et notre bonheur passe nécessairement par celui des autres.
Les recherches de Martin Seligman, spécialiste américain de la dépression et pionnier de la « psychologie positive », montrent que la joie qui accompagne un acte de bonté désintéressé procure une satisfaction profonde. Afin de vérifier cette hypothèse, il a demandé à ses étudiants de se livrer d'une part à une activité récréative, de «prendre du bon temps », et d'autre part à une activité philanthropique, puis d'écrire un rapport pour le cours suivant.
Les résultats furent frappants : les satisfactions engendrées par une activité plaisante (sortir avec des amis, aller au cinéma, s'offrir une pêche Melba) étaient largement éclipsées par celles qu'apportait un acte de bonté. Lorsque cet acte était spontané et avait fait appel à des qualités humaines, la journée entière s'était mieux passée : les sujets ont remarqué qu'ils étaient, ce jour-là, plus à l'écoute, plus aimables, et aussi plus appréciés des autres. « Au contraire du plaisir, conclut Seligman, l'exercice de la bonté est gratifiant. » Gratifiant dans le sens d'une satisfaction durable et d'un sentiment d'adéquation avec sa nature profonde. Jean-Jacques Rousseau notait quant à lui : « Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter. »
On peut éprouver un certain plaisir en arrivant à ses fins au détriment d'autrui, mais cette satisfaction n'est que passagère et épidermique ; elle masque un sentiment de malaise qui ne tardera pas à faire surface. Une fois l'excitation passée, on est forcé d'admettre la présence d'un certain malaise. N'est-ce pas là un indice que la bienveillance est beaucoup plus proche de notre « nature véritable » que la malveillance ? Si tel est le cas, être en harmonie avec cette nature sustente la joie de vivre, tandis que s'en éloigner entraîne une insatisfaction chronique.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 201-202)

Fontaine, Yerevan (Arménie)

vendredi 21 décembre 2012

Ne laissez jamais l’habitude commander votre vie

« Comment savoir quelle est la meilleure manière d’agir dans la vie ? » demanda le disciple à son maître.
Le maître lui suggéra de fabriquer une table. Quand la table fut quasi prête – il ne restait plus qu’à planter les clous dans le plateau –, le maître s’approcha. Le disciple plantait les clous en trois coups précis, mais, le dernier clou résistant davantage, il dut donner un coup supplémentaire. Le clou s’enfonça trop profondément, et le bois fut abîmé.
« Votre main était habituée à trois coups de marteau », fit remarquer le maître. « Lorsqu’une action est dirigée par l’habitude, elle perd son sens, et cela finit par causer des dommages. Chaque action est unique, et le seul secret à connaître est le suivant : ne laissez jamais l’habitude commander vos actes. »
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p.131)

Acacia dans le sud de l'Adrar (Mauritanie)

mardi 18 décembre 2012

La Pleine Conscience permet de garder le contrôle de soi

Si vous êtes un critique professionnel, vous lisez un livre ou vous regardez un film avec un esprit observateur. Pendant que vous lisez ou assistez à une projection, vous êtes conscient de votre responsabilité de critique et vous ne devenez pas la « victime » du livre ou du film. Vous gardez le contrôle de vous-même. Quand vous vivez en Pleine Conscience, vous gardez aussi le contrôle de vous-même. Bien que vos fenêtres soient ouvertes sur le monde, vous n’êtes pas son esclave. Si nous avons besoin de protéger nos sens, c’est parce que nous ne sommes pas encore assez forts pour aller pleinement à la rencontre du monde, de la même façon qu’une personne ayant un rhume ou la grippe n’est pas assez forte pour supporter une douche froide.
(Thich Nhat Hanh, « La vision profonde, De la pleine conscience à la contemplation intérieure », Albin Michel n°131, 2009, p.63-64)

Bambous, Jardin Majorelle à Marrakech (Maroc)

samedi 15 décembre 2012

Le changement doit être intérieur

Parlons par exemple de l’illusion, de l’erreur de jugement qui consiste à croire qu’en changeant le monde extérieur vous changerez. Vous ne changerez pas si vous vous contentez de changer votre monde extérieur ; vous ne changerez pas en changeant de métier, de conjoint, de maison, de gourou ou de religion. Croire cela équivaut à croire que l’on change d’écriture en changeant de crayon. Ou que l’on modifie sa capacité de réfléchir en changeant de chapeau. Ces choses-là ne changent rien à ce que vous êtes. Et pourtant la plupart des gens gaspillent toute leur énergie à réaménager leur monde extérieur selon leurs changements de goûts. Ils y arrivent parfois – pour cinq minutes - et ont ainsi un petit répit. Mais ils restent tendus néanmoins, car pendant ce temps-là la vie continue à s’écouler, la vie continue à changer.
... Vous devez suivre le flot de la vie. Le grand Confucius disait : « Celui qui connaîtra un bonheur constant sera celui qui ne cessera de changer. » Le flot de la vie. Mais nous ne cessons de regarder en arrière, n’est-ce pas ?
(Anthony de Mello, s.j., « Quand la conscience s’éveille » [1984], Éd. Albin Michel 2010, p.139-140)

Fonte de neige sur un pin

mercredi 12 décembre 2012

Comment ne plus rougir

Si j'avais eu l'imprudence d'aborder un tel sujet [« L’apprentissage de la pleine conscience »] à l'époque où j'étais encore interne, je me serais fait expulser du service instantanément ! Trente ans plus tard, cela ne pose plus aucun problème : nous avons de multiples études scientifiques ad hoc, des publications dans les revues les plus éminentes, des contrôles, des expertises... Bref, vous pouvez aujourd'hui sans souci ouvrir une consultation de méditation et d'entraînement attentionnel dans le cadre d'un CHU.
C'est ce qu'a fait par exemple Antoine Pelissolo, jeune professeur de psychiatrie à la Salpétrière, à Paris, où il applique la technique de l'entraînement attentionnel aux patients qui ont des phobies pathologiques du rougissement (1). Cette pathologie s'accompagnant d'un rétrécissement du focus, la personne est à 100% focalisée sur deux questions : « Est-ce que je rougis ou non ? » et « Est-ce que les autres ont vu que je suis si mal à l'aise que je deviens plus rouge qu'une tomate ? » Plus rien au monde ne compte. Évidemment, plus vous vous focalisez sur tout cela et vous rougissez, plus les autres le remarquent et vous vous trouvez pris dans un cercle vicieux angoissant. Antoine Pelissolo demande alors à ses patients d'apprendre à élargir leur focus attentionnel. Il place la personne face à un public qui la regarde en silence. Le rougissement ne tarde pas à survenir, provoquant un grave malaise. La personne devient écarlate et voudrait disparaître. Mon confrère lui dit alors ceci : « Voilà, vous êtes en focalisation maximale sur votre problème. Ne cherchez pas à le chasser. Prenez conscience du fait qu'effectivement vous êtes très rouge et qu'effectivement il y a des gens qui vous regardent et voient que vous êtes tout rouge. C'est comme ça et nous n'y pouvons momentanément rien. Par contre, tout en hébergeant ces sensations très désagréables, essayez d'écouter les bruits autour de vous. Sans chercher à remplacer votre malaise par ces bruits, prenez-en juste conscience. Observez aussi comment vous êtes en train de respirer. Regardez aussi tous les détails de la pièce où nous sommes. Observez votre interlocuteur : ses vêtements, ses gestes, écoutez ses propos. Tout cela sans fuir les émotions désagréables que vous ressentez, mais en invitant d'autres éléments à votre conscience. » Autrement dit, le flot émotionnel est toujours là, mais il va peu à peu s'écouler de manière différente. Au lieu de se focaliser exclusivement sur son problème, la personne va progressivement ouvrir en elle de nouvelles voies, grâce à cet entraînement attentionnel, qu'elle est ensuite chaudement invitée à pratiquer de façon régulière, même quand tout va très bien. Une telle méthode fait que beaucoup de gens que des années de thérapie introspective n'ont pas réussi à guérir s'en sortent enfin, souvent de manière spectaculaire.
(Christophe ANDRÉ, Pierre BUSTANY, Boris CYRULNIK, Thierry JANSSEN, Jean-Michel OUGHOURLIAN, Entretiens avec Patrice VAN EERSEL « Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » (2012), Éditions Albin MICHEL 2012, p.148-149)
(1) « Ne plus rougir et accepter le regard des autres » Antoine PELISSOLO, avec Stephane Roy, Odile Jacob, 2009.

Vitrail, par Folon (Église Saint-Etienne à Waha, Belgique)

dimanche 9 décembre 2012

Ne pas être prisonniers de nos pensées et de nos émotions

Albert Einstein a également articulé avec clarté importance de voir avec une vision d’ensemble. À la fin du programme de réduction du stress, nous donnons à nos patients un livret. La dernière page se termine par quelques lignes tirées d’une lettre d’Einstein et publiées dans le New York Times du 29 mars 1972. Cette lettre est très parlante, en partie car elle capture si bien l’esprit de la pratique de la méditation et aussi parce qu’elle a été dite par un scientifique qui, plus que tout autre, a révolutionné nos concepts de la réalité physique et démontré l’unité de l’espace et du temps ainsi que de la matière et l’énergie.
... Le passage suivant est extrait d’un courrier qu’il a écrit en réponse à un rabbin. Celui-ci lui avait expliqué dans une lettre qu’il avait cherché en vain à réconforter sa fille de dix-neuf ans au sujet de la mort de sa sœur, une « enfant pure et belle de seize ans ». Cette lettre à Einstein était clairement un appel à l’aide, venant d’une des expériences humaines les plus douloureuses, la mort d’un enfant. Einstein répondit :
Un être humain est une partie de la totalité, que nous appelons « univers », une partie limitée dans le temps et l’espace. Il fait l’expérience de lui-même, de ses pensées et de ses sentiments, comme de quelque chose de séparé du reste – une sorte d’illusion optique de sa conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous limitant à nos désirs personnels et à notre affection pour quelques personnes les plus proches de nous. Notre tâche doit être nous libérer de cette prison en élargissant notre cercle de compassion pour embrasser toutes les créatures vivantes et la nature entière dans sa beauté. Personne n’est capable de réaliser cela complètement, mais tendre à cet accomplissement est en soi une part de la libération et le fondement d’une sécurité intérieure.
Dans sa réponse, Einstein suggère que nous pouvons facilement devenir prisonniers de nos pensées et de nos émotions, et être aveuglés par elles, car nous sommes uniquement préoccupés par les côtés particuliers notre vie et de nos désirs en tant qu’êtres séparés. Il ne minimise pas la souffrance que nous vivons dans une telle perte. Mais il dit que notre préoccupation extrême pour notre vie séparée ignore un niveau autre et fondamental de la réalité. Selon lui, nous arrivons tous dans ce monde, puis le quittons comme des agrégats passagers d’énergie structurée. Einstein nous invite à voir l’ensemble comme plus fondamental que les parties. Il nous rappelle que notre expérience de nous-mêmes, comme séparés et permanents, est une illusion qui, au final, nous emprisonne.
(Dr Jon Kabat-Zinn, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p. 301-303)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.

Jardin public, Madrid (Espagne)

mercredi 5 décembre 2012

Prendre les rênes de sa vie en main (II)

Tant que nous ne nous engageons pas, le doute règne, la possibilité de se rétracter demeure et l’inefficacité prévaut toujours. En ce qui concerne tous les actes d’initiatives et de créativité, il est une vérité élémentaire dont l’ignorance a des incidences innombrables et fait avorter des projets splendides. Dès le moment où l’on s’engage pleinement, la providence se met également en marche. Pour nous aider, se mettent en œuvre toutes sortes de choses qui n’auraient jamais eu lieu autrement. Tout un enchaînement d’événements, de situations et de décisions crée en notre faveur toutes sortes d’incidents imprévus, des rencontres et des aides matérielles que nous n’aurions jamais rêvé trouver sur notre chemin … Tout ce que l’on peut faire ou rêver de faire peut être entrepris. L’audace renferme en soi génie, pouvoir et magie.
(Goethe, cité par Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p. 318)

Escalade, Orgues basaltiques de la vallée de Garni (Arménie)

dimanche 2 décembre 2012

Prendre les rênes de sa vie en main (I)

Un dompteur de cirque parvient à dresser un éléphant en recourant à une technique très simple : alors que l’animal est encore jeune, il lui attache une patte à un tronc d’arbre très solide. Malgré tous ses efforts, l’éléphanteau n’arrive pas à se libérer. Peu à peu, il s’habitue à l’idée que le tronc est plus fort que lui. Une fois qu’il est devenu un adulte doté d’une force colossale, il suffit de lui passer une corde au pied et de l’attacher à un jeune arbre. Il ne cherchera même pas à se libérer.
Comme ceux des éléphants, nos pieds sont entravés par des liens fragiles. Mais, comme nous avons été accoutumés dès l’enfance à la puissance du tronc d’arbre, nous n’osons pas lutter.
Sans savoir qu’il nous suffirait d’un geste de courage pour découvrir toute notre liberté.
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p. 73 ; J'ai Lu n°9651, 2011, p.68)

J’ai soudain réalisé que la vie ne commence pas « plus tard ». Elle commence « maintenant ». Elle est là « maintenant ». À tout moment on peut prendre les rênes en mains et guider son propre destin.
(Roger Waters, co-fondateur du groupe Pink Floyd, interview extraite de « Dark side of the moon , The making of », 2003. [21ème’])

Éléphants, Réserve de Nazinga (Burkina-Faso)

jeudi 29 novembre 2012

L'entraînement mental modifie physiquement le cerveau

Au cours des années 1990, Pascual-Leone, professeur de neurologie à la Harvard Medical School, mena une expérience qui, a posteriori, semble jeter une passerelle entre la découverte que les stimuli externes altèrent le cerveau et les travaux plus récents démontrant que les stimuli autogénérés — la pensée et la méditation — en sont également capables. Il enseigna à un groupe de sujets un exercice à cinq doigts sur le clavier d'un piano. Ils devaient jouer le morceau avec le plus de fluidité possible, sans faire de pause, en tentant de soutenir le rythme du métronome, soixante battements par minute. Les sujets s'exercèrent deux heures par jour, pendant cinq jours. Ils passèrent ensuite une épreuve où ils devaient jouer le morceau vingt fois tandis qu'un ordinateur dénombrait leurs erreurs. Au fil des cinq jours, les joueurs commettaient de moins en moins d'erreurs, et leur rythme s'améliorait si bien que les intervalles entre chaque note se rapprochaient peu à peu de ce qu'exigeait le métronome.
Les sujets subirent un autre test. Pendant quelques minutes chaque jour, ils s'installaient sous un ressort de métal émettant une brève impulsion magnétique dans le cortex moteur de leur cerveau. La Stimulation Magnétique Transcrânienne (SMT) invalide momentanément les neurones juste au-dessous du ressort ; elle permet ainsi aux scientifiques d'inférer quelle fonction ces neurones gèrent. Chez les pianistes, l'impulsion était dirigée vers le cortex moteur – plus spécifiquement, vers la bande qui contrôle la flexion et l'extension des doigts. Ainsi, les chercheurs étaient en mesure de cartographier les frontières de cette bande et de discerner la zone du cortex moteur consacrée aux mouvements des doigts requis pour l'exercice au piano. Les scientifiques constatèrent qu'après une semaine de pratique, la bande de cortex moteur gérant les mouvements de ces doigts avait usurpé les zones avoisinantes, comme des pissenlits sur une pelouse impeccable.
Ces résultats correspondaient tout à fait à l'afflux croissant de découvertes montrant que plus un muscle est utilisé, plus le cerveau lui consacrera d'immobilier cortical. Mais Pascual-Leone ne s'arrêta pas là. Il pria un autre groupe de sujets de simplement songer à l'exercice de piano. Ils jouaient le morceau simple dans leur tête, imaginant comment ils bougeraient les doigts pour produire les notes de la mélodie. Le résultat : la région du cortex moteur responsable des doigts exécutant le morceau s'étendit dans le cerveau des sujets qui ne faisaient qu’imaginer qu'ils jouaient, tout comme elle s'était développée chez ceux l'exécutaient concrètement. Les répétitions mentales activaient les mêmes circuits moteurs que les répétitions dans les gestes, avec les mêmes résultats : l'activation accrue entraînait une expansion de cette partie du cortex moteur.
Pascual-Leone et ses collègues écrivaient par la suite : « Une réorganisation similaire fut induite par la pratique mentale. » « L'exercice mental peut suffire à promouvoir la modulation plastique des circuits neuraux. » Et cette modulation plastique peut permettre aux gens d'acquérir une aptitude plus rapidement. Si ces résultats sont valables pour d'autres formes de mouvement (et il y a lieu de croire qu'ils le sont), alors s’exercer mentalement à un coup au golf, à une passe vers l'avant ou à la natation pourrait conduire à maîtriser le mouvement sans requérir autant de pratique physique. Plus globalement toutefois, cette découverte apportait encore une preuve venant étayer la capacité de l'entraînement mental de modifier physiquement le cerveau.
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p. 174-175)

Hauts-plateaux à proximité du col de Selim (Arménie)

lundi 26 novembre 2012

Attention... aux vols de l'attention

Le travail sur l'attention est une nécessité repérée depuis longtemps en Orient comme en Occident. Écoutons à nouveau William James [l'un des fondateurs de la psychologie moderne] : « La faculté de ramener volontairement une attention qui s'éparpille tout le temps constitue la racine même du jugement du caractère et de la volonté. Nul n’est une personne entière qui ne la possède. [...] Mais il est plus facile de définir cet idéal que de donner des indications pratiques pour l'engendrer. »
Ces capacités attentionnelles sont effectivement à la base de notre efficacité mentale comme de notre bien-être. Et ce d’autant plus que nos modes de vie contemporains tendent à les affaiblir et à les appauvrir : nous évoluons de plus en plus dans des environnements « psychotoxiques », qui fragmentent notre attention en lui imposant de nombreuses interruptions (cela va des publicités radio ou télé aux flots continus d’e-mails ou SMS), en lui proposant des sollicitations mobilisantes et accrocheuses (on a ainsi montré l’augmentation vertigineuse, au cinéma comme à la télévision, du nombre de plans à la minute). Le problème, c’est que notre mental tend déjà vers ça, vers la distraction et la dispersion. Notre esprit est attiré par le bruyant et le facile, comme notre goût est attiré par le sucré ou le salé. Ce type d’environnements (et notre absence d’effort pour les contrebalancer) fait que notre attention a alors tendance à toujours fonctionner sur un registre attentionnel serré et étroit. Elle prend l’habitude de rester focalisée et de ne faire que sauter d’un objet à l’autre : d’un souci à un autre, d’une distraction à une autre, etc. On soupçonne aujourd’hui ce fonctionnement de l’attention, trop souvent basé sur un mode étroit et analytique, d’être à la base des ruminations qui alimentent les états anxieux et dépressifs. D’où l’intérêt, plus que jamais, d’un travail sur les capacités attentionnelles, pour les protéger ou les restaurer. La pratique de la méditation peut, de ce point de vue, être considérée comme une forme d’entraînement attentionnel. Pour que plus jamais ne nous soit dérobée notre conscience …
(Christophe ANDRÉ, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p.94-97)

Moine, Angkor (Cambodge)

vendredi 23 novembre 2012

S'ouvrir au-delà de nos façons courantes de voir, de penser et d’agir pour résoudre certains problèmes

À la clinique de réduction du stress, pour illustrer la nature automatique de nos schémas de vision et de pensée, nous donnons l’exercice appelé « le problème des neuf points » … Il montre d’une manière claire et facilement compréhensible à quel point la façon dont nous percevons un problème tend à limiter notre capacité à y apporter des solutions. Le problème se présente comme suit : vous devez relier les neufs points de la figure ci-dessous en traçant quatre droites sans soulever votre plume ni repasser deux fois sur le même trait. Avant de lire la suite, essayez vous-même de résoudre cette question pendant cinq à dix minutes, sauf si vous connaissez déjà la réponse.




La plupart des gens commencent par un coin et tracent trois lignes autour du carré, puis cela devient moins clair ! Un des points ne sera pas relié en procédant ainsi. À ce moment, l’esprit peut se sentir en difficulté. Plus vous essayez de solutions qui ne marchent pas, plus vous risquez d’être frustré. …
… La solution se trouve dans le prolongement des lignes que vous dessinez au-delà du carré imaginaire formé par les points. Tel qu’il est présenté, le problème ne vous empêche pas de sortir des points, mais la tendance « normale » est de voir le carré des points comme le champ du problème plutôt que de voir les points dans le contexte de la feuille de papier et de reconnaître que le champ du problème est la surface entière qui contient les points. …
Le problème des neuf points suggère que nous pouvons avoir besoin d’adopter une perspective plus large sur certains problèmes si nous souhaitons les résoudre. Cette approche implique de nous demander quelle est en réalité l’étendue du problème, de discerner la relation entre ses différentes parties prises isolément et le problème dans son ensemble. …
Le problème des neuf points nous enseigne que nous devons parfois nous ouvrir au-delà de nos façons courantes de voir, de penser et d’agir pour résoudre certains types de problèmes. Si nous ne le faisons pas, nos tentatives d’identifier et de résoudre nos problèmes seront habituellement empêchées par nos préjugés et nos a priori. Notre manque de conscience du système dans sa totalité nous empêchera souvent de voir de nouvelles options et de nouvelles manières d’aborder les problèmes. Nous aurons tendance à nous embourber en eux et dans nos crises, à prendre des décisions et à faire des choix malheureux. Plutôt que de prendre les problèmes à bras-le-corps jusqu’à atteindre des solutions, nous avons tendance, quand nous sommes embourbés, à multiplier les problèmes, à les aggraver, et aussi à arrêter de chercher des solutions. Ces expériences peuvent nous conduire à des sentiments de frustration, d’insuffisance et d’insécurité. Quand la confiance en soi s’érode, il devient plus difficile de résoudre les problèmes qui se présentent. Les doutes que nous avons au sujet de nos capacités se transforment en prophéties qui s’autoalimentent. Elles peuvent aller jusqu’à dominer notre vie. De cette façon, ce sont nos processus de pensées qui créent nos propres limites. Nous oublions alors, trop souvent, que c’est nous qui les avons créées. Nous sommes alors bloqués et sentons que nous n’arrivons pas à les dépasser.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p. 289-293)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.


jeudi 22 novembre 2012

Pourquoi être pleinement dans l'instant ?

Quand nous nous asseyons près d'une rivière, nous pouvons écouter son rire et observer ses eaux miroitantes, remarquer les galets brillants et les plantes vertes toutes proches, et nous pouvons alors être submergés de joie. Nous ne faisons qu’un avec la fraîcheur, la pureté et la clarté du courant. Mais en un instant, il peut arriver que nous soyons distraits. Notre cœur est troublé, et nous pensons à d’autres choses. Nous ne sommes plus un avec le cours d’eau. Il n’est d’aucune utilité de s’asseoir dans une forêt paisible si notre esprit est perdu en ville.
Quand nous sommes en compagnie d’un ami ou un enfant, leur fraîcheur et leur chaleur peuvent nous aider à nous détendre. Mais si notre cœur n’est pas avec eux, leur présence précieuse est oubliée et ils n’ont plus d’importance. Nous devons être conscients de leur présence pour apprécier leur valeur, pour permettre qu’ils fassent notre joie.
Si, par négligence ou par distraction, nous ne sommes pas contents d’eux, et que nous commençons à exiger trop d’eux ou à les réprimander, nous les perdrons. Ce sera seulement après qu’ils seront partis que nous réaliserons leur valeur et que nous aurons des regrets. Mais une fois qu’ils ne sont plus là, il est trop tard pour les regretter.
(Thich Nhat Hanh, « La vision profonde, De la pleine conscience à la contemplation intérieure », Albin Michel n°131, 2009, p.65-66)

Rivière en Bretagne (France)

samedi 17 novembre 2012

Soigner un trouble obsessionnel compulsif (TOC) grâce à la pleine conscience

… Les symptômes de cette maladie neuro-psychiatrique se caractérisent chez les malades par des pensées perturbantes, envahissantes, indésirables (l’obsession) qui déclenchent l’impulsion irrépressible de se livrer à des comportements rituels (la compulsion). Le malade peut se sentir poussé à se laver les mains, à vérifier les serrures, que le gaz de la cuisinière est bien éteint, … n’importe quel objet sur lequel il ou elle s’est fixé/e. …

Neuropsychiatre à l’université de Californie, Jeffrey Schwartz décida de voir si la « pleine conscience » [La pleine conscience, ou conscience attentive, consiste à observer ses expériences intérieures d'une manière pleinement lucide, sans toutefois porter de jugements. Vous demeurez hors de votre propre esprit, à observer les pensées et les sentiments spontanés que le cerveau produit, témoin de tout cela comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre] pouvait aider ses malades atteint d’un trouble obsessionnel compulsif (TOC). Il leur fixa deux objectifs : en présence d'un symptôme du TOC, ils devaient éviter de réagir émotionnellement et comprendre que cette impression qui leur dit que quelque chose ne va pas n'est que la manifestation d'un câblage défectueux dans le cerveau — une hyperactivité dans les circuits du TOC. La pratique de la « pleine conscience », songea-t-il, pourrait rendre les obsessionnels compulsifs conscients de la nature véritable de leurs obsessions et par conséquent, capables de mieux en détourner leur attention. « Il fallait voir si le fait d'apprendre à observer les sensations et les pensées tout en restant calme et lucide, comme un observateur extérieur, était susceptible de consolider leur capacité de résister aux pensées insistantes du TOC », explique Schwartz. « Je me disais qu'il pourrait s'avérer extrêmement thérapeutique d'inciter ces patients à éprouver un symptôme du TOC sans réagir par l'émotion au malaise qu'il provoque et à réaliser plutôt que même les impulsions les plus viscérales, causées par le TOC, ne sont rien de plus que la manifestation d'un câblage défectueux dans le cerveau et n’ont aucune réalité intrinsèque. » Si c'était possible, alors la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, qui apprend aux malades à considérer leurs pensées sous un autre jour, pourrait obtenir le succès là où avaient échoué les médicaments, la thérapie cognitive classique et l'exposition avec prévention de réponse (EPR).
L'attitude d'observation mentale indispensable à cette pratique de conscience attentive ressemblerait à ceci. Quand surgit une pensée obsessive, le malade doit se dire, « Mon cerveau est en train de produire une autre pensée obsessive. Je sais très bien qu'elle n'a aucune réalité, que ce ne sont que des sottises que m'envoie un circuit défectueux. » Il fallait aussi penser qu'il n'existait pas vraiment de besoin de se laver, il ne s'agissait que d'un problème de circuiterie cérébrale.
En 1987, Schwartz instaura une thérapie de groupe associée aux études en cours sur les anomalies qui sous-tendent le TOC. Les patients venaient pour la thérapie et les scientifiques évaluaient leurs progrès à l'aide d'imagerie cérébrale, le scanner PET. Schwartz se mit à montrer aux malades les images de leur cerveau, pour mettre en relief le fait que leurs symptômes résultaient d'un circuit neurologique déréglé. Une patiente le saisit instantanément : « Ce n'est pas moi, c'est mon TOC ! » s'exclama-t-elle un jour. Bientôt, d'autres malades comprirent aussi que leurs obsessions et leurs compulsions ne faisaient pas vraiment partie d'eux, mais qu'elles étaient plutôt les détritus électroniques de la circuiterie cérébrale. Schwartz s'interrogeait : le fait d'inciter les patients à réagir autrement aux pensées obsessives qui caractérisent le TOC pourrait-il modifier leur cerveau ? Il enseigna donc à ses patients à recourir à la pratique de la pleine conscience pour affiner en eux cette lucidité qui sait qu'ils n'ont pas vraiment laissé la cuisinière allumée ou que leurs mains ne sont pas sales. Pensez plutôt, les exhortait-il, que vous êtes simplement en train de vivre l'arrivée d'une pensée obsessive. Dites-vous : cette impression qui ressemble à un besoin de vérifier, ce n'est en fait qu'un problème de circuiterie cérébrale.
« Les patients se mirent à considérer leurs symptômes comme des manifestations de processus cérébraux pathologiques, et dès la semaine suivante, ils mentionnèrent que la maladie ne les régissait plus ; ils avaient l'impression désormais d'avoir un moyen d'y remédier », se réjouit Schwartz. « Je savais que j'étais sur la bonne voie. »
Pour déterminer si les bienfaits dont les patients faisaient état s'accompagnaient d'altérations cérébrales, les scientifiques de UCLA entre prirent ce qui allait devenir une étude classique sur la manière dont l'esprit est capable de refaçonner la biologie fondamentale du cerveau. Ils effectuèrent des tomographies sur dix-huit des malades du TOC avant et après dix semaines de thérapie basée sur l'attention. Aucun malade ne prenait de médicaments pour le TOC ; leurs symptômes allaient de modérés à sévères. Douze d'entre eux présentèrent des améliorations significatives. Chez ces derniers, les images du TEP après le traitement montraient que l'activité dans le cortex frontal orbital, le noyau du circuit du TOC, avait radicalement diminué par comparaison à ce qu'elle était avant la thérapie méditative avec pleine conscience.
« La thérapie avait réussi à modifier le métabolisme du circuit du TOC », renchérit Schwartz. « Ce fut la première étude qui établissait qu'une thérapie cognitivo-comportementale avait le pouvoir de transformer systématiquement une chimie cérébrale déréglée en un circuit cérébral bien défini. » Les altérations cérébrales qui s'ensuivirent, précise-t-il, « apportaient la preuve solide qu'un effort volontaire d'attention peut modifier la fonction cérébrale et que ces modifications cérébrales autogérées — cette neuroplasticité — sont un fait avéré. » Il désigna ce phénomène « voie vers la neuroplasticité autogérée », et en tira une conclusion dont se réjouirait Roger Sperry et surtout le dalaï-lama : « L'action mentale est capable d'altérer la chimie du cerveau chez un malade du TOC. L'esprit peut en effet modifier le cerveau. »
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p. 160-162)

Voir également l'article Soigner un trouble obsessionnel compulsif (TOC) grâce à la pleine conscience (II)


Dromadaire,  Erg Mehedjebat (Algérie)

mercredi 14 novembre 2012

Apprendre de ses erreurs

Un sorcier africain conduit son apprenti dans la forêt. En dépit de son âge, il marche avec agilité, tandis que l’apprenti glisse et tombe à tout instant. Celui-ci blasphème, se relève, crache sur le sol qui le trahit, mais continue à suivre son maître.
Après avoir longtemps marché, ils arrivent dans un lieu sacré. Sans même s’arrêter, le sorcier fait demi-tour et reprend la route en sens inverse.
- « Vous ne m’avez rien enseigné, aujourd’hui, objecte l’apprenti, après une nouvelle chute.
- « Je vous ai enseigné quelque chose, mais on dirait que vous n’apprenez rien, réplique le sorcier. J’essaie de vous enseigner comment on traite les erreurs de la vie. »
- « Et comment les traite-t-on ? »
- « De la façon dont vous auriez dû traiter les chutes que vous avez faites. Au lieu de maudire l’endroit où vous êtes tombé, vous auriez dû chercher ce qui vous avait fait glisser. »
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p. 113; J'ai Lu n°9651, 2011, p.108)

Cactus, Jardin botanique de Funchal (Madère, Portugal)

dimanche 11 novembre 2012

Soigner les désordres alimentaires : la méditation du raisin

La première introduction à la pratique de la méditation à la clinique du stress est toujours une surprise pour nos patients. En règle générale, les gens viennent avec l’idée que méditer veut dire faire quelque chose d’inhabituel, quelque chose de mystique et hors de l’ordinaire ou, à tout le moins, quelque chose de relaxant. Pour les dégager d’emblée de ces attentes, nous donnons à chacun trois raisins et nous les mangeons un par un, faisant attention à ce que nous sommes en train de faire, étant dans cette expérience d’instant en instant. Peut-être allez-vous essayer quand vous aurez lu comment nous faisons.
Nous commençons par regarder attentivement un raisin, nous l’observons soigneusement comme si nous n’en avions jamais vu avant. Nous sentons sa texture sous nos doigts, examinons ses variations de couleur, de relief. Nous sommes aussi conscients de toutes les pensées que nous pourrions avoir au sujet des raisins ou de la nourriture en général. Nous relevons toutes les pensées et les sensations d’appétit ou d’aversion pour les raisins qui se présenteraient tandis que nous l’observons. Puis nous prenons le temps de humer ce raisin et, finalement, avec attention, nous l’approchons de nos lèvres, conscients du bras mobilisant la main pour qu’elle soit dans la bonne position, conscients de saliver tandis que l’esprit et le corps anticipent de le manger. Le processus se poursuit quand nous le mettons en bouche et le mâchons lentement, faisant l’expérience du goût réel d’un raisin. Et quand nous nous sentons prêts à l’avaler, nous sentons monter l’impulsion de l’avaler, si bien que même cette étape est vécue consciemment. Nous imaginons même, ou « sentons » que notre corps est à présent plus lourd d’un raisin.
La réponse à cet exercice est invariablement positive, même parmi les gens qui n’aiment pas les raisins. Ils disent qu’il est agréable de manger comme cela, que cela les change, qu’ils ne se souviennent pas avoir jamais vraiment goûté un raisin, et qu’un seul raisin pourrait les nourrir. Souvent quelqu’un fait le lien et dit que si nous pouvions manger comme cela tout le temps, nous mangerions moins et aurions des expériences plus agréables et plus positives avec la nourriture. Quelques personnes disent qu’elles se sont surprises en train de vouloir manger automatiquement les autres raisins avant d’avoir fini le premier, et reconnaissent à ce moment que c’est leur façon de manger habituelle.
Comme nous sommes nombreux à utiliser la nourriture pour notre confort émotionnel, plus spécialement quand nous nous sentons anxieux ou déprimés, ce petit exercice, qui ralentit les choses et attire notre attention sur ce que nous faisons, illustre la puissance et le manque de contrôle de nos impulsions quand il s’agit de la nourriture. Il montre aussi qu’apporter de l’attention à ce que nous sommes en train de faire, au moment où nous le faisons, peut être vraiment simple et gratifiant, et nous donner le sentiment d’être moins emportés par les situations.
En fait, quand vous commencez être attentif de cette manière, votre relation aux choses change. Vous voyez davantage et vous voyez plus profondément. Vous pouvez commencer à voir un ordre intrinsèque et des connexions entre les choses, qui n’étaient pas apparents avant. Vous voyez, par exemple, la connexion entre des impulsions qui vous viennent à l’esprit et le fait de vous retrouver en train de manger trop, sans tenir compte des messages de votre corps. ... Cela provient de nos tendances habituelles à voir les choses et à les faire mécaniquement, sans y être pleinement présents. Quand vous mangez consciemment, vous êtes en contact avec votre nourriture parce que votre esprit n’est pas distrait. Il ne pense pas à autre chose. Il se focalise sur le fait de manger. Quand vous regardez le raisin, vous le voyez vraiment. Quand vous le mâchez, vous le goûtez vraiment.
Savoir ce que vous êtes en train de faire pendant que vous le faites est l’essence de la pratique de la pleine conscience. Nous appelons l’exercice du raisin la « méditation en mangeant ». Cela nous aide à préciser qu’il n’y a rien de particulièrement inhabituel ou mystique dans le fait de méditer ou d’être pleinement conscient. Cela implique simplement de faire attention à votre expérience d’instant en instant.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p. 90-92)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». Grâce à lui, depuis trente ans, plus de 250 hôpitaux et cliniques à travers le monde l’utilisent comme outil de soin.

Dattes, Sabratha (Libye)

vendredi 9 novembre 2012

Ne pas se laisser emporter par la colère, la jalousie, ...

La deuxième manière de faire face aux émotions perturbatrices consiste à nous dissocier mentalement de l'émotion qui nous afflige. Habituellement, nous nous identifions complètement à nos émotions. Lorsque nous sommes pris d'un accès de colère, nous ne faisons qu'un avec elle. Elle est omniprésente en notre esprit et ne laisse aucune place à d'autres états mentaux tels que la paix intérieure, la patience, ou la prise en considération des raisons qui pourraient calmer notre mécontentement. Pourtant, si, à ce moment-là, nous sommes encore capables d'un peu de présence d'esprit – une capacité que l'on peut s'entraîner à développer –, nous pouvons cesser de nous identifier à la colère.
L'esprit est en effet capable d'examiner ce qui se passe en lui. Il suffit pour cela qu'il observe ses émotions comme nous le ferions pour un événement extérieur se produisant devant nos yeux. Or, la part de notre esprit qui est consciente de la colère est simplement consciente : elle n'est pas en colère. Autrement dit, la pleine conscience n'est pas affectée par l'émotion qu'elle observe. Comprendre, cela permet de prendre de la distance, de se rendre compte que cette émotion n'a aucune substance, et de lui laisser l'espace suffisant pour qu'elle se dissolve par elle-même.
Ce faisant, nous évitons deux extrêmes aussi préjudiciables l'un que l'autre : réprimer l'émotion, qui restera quelque part dans un coin sombre de notre conscience, comme une bombe à retardement, ou la laisser exploser, au détriment de ceux qui nous entourent et de notre propre paix intérieure. Ne plus s'identifier aux émotions constitue un antidote fondamental applicable en toutes circonstances.
(Matthieu RICARD, « L’art de la méditation », Pocket 2010 n°14068, p.116)

Champignon rouge... mais pas de colère ;-)   (Alsace)

mercredi 7 novembre 2012

L’ennui n’est pas dans le monde, mais dans la manière dont nous voyons le monde.

Tout, autour de nous, change sans cesse. Chaque jour, le soleil illumine un monde nouveau. Ce que nous appelons routine est rempli d’occasions nouvelles, mais nous ne savons pas voir que chaque jour est différent du précédent.
Aujourd’hui, quelque part, un trésor vous attend. Ce peut être un petit sourire, ce peut être une grande conquête, peu importe. La vie est faite de petits et de grands miracles. Rien n’est ennuyeux, car tout change constamment. L’ennui n’est pas dans le monde, mais dans la manière dont nous voyons le monde.
Comme l’a écrit le poète T. S. Eliot :
Parcourir les routes, rentrer à la maison,
et voir tout comme si c’était la première fois.
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p. 195 ; J'ai Lu n°9651, 2011, p.190)

Phare... sous un angle inhabituel (Bretagne, France)

lundi 5 novembre 2012

Vivons-nous notre vie ?

Le père d'« Aussi Connu que la Lune » (vieille histoire tibétaine)
 Un homme très pauvre, ayant durement travaillé, avait réussi à amasser tout un sac de grain. Il en était très fier et, quand il rentra chez lui, il accrocha le sac à une poutre de sa maison au moyen d'une corde, pour le mettre à l'abri des rats et des voleurs. Quand le sac fut suspendu, pour plus de sûreté, il s'installa dessous afin d'y passer la nuit. Allongé là, son esprit se mit à vagabonder : « Si je peux vendre ce grain par petites quantités, j'en tirerai un plus grand profit... Je pourrai alors en acheter d'autre et recommencer la même opération ; d'ici peu, je serai riche et je deviendrai quelqu'un dans la communauté. Toutes les filles s'intéresseront à moi. J'épouserai une belle femme et, bientôt, nous aurons un enfant... Ce sera un fils, évidemment... Comment pourrions-nous bien l'appeler ? » Laissant son regard errer dans la pièce, il aperçut, par la petite fenêtre, la lune qui se levait.
« Quel signe ! » pensa-t-il. « Voilà qui est de bon augure ! C'est un nom parfait, vraiment : je l'appellerai "Aussi Connu que la Lune"... » Mais, tandis qu'il spéculait de la sorte, un rat s'était frayé un chemin jusqu'au sac et en avait rongé la corde. A l'instant même où les mots « Aussi Connu que la Lune » sortirent de ses lèvres, le sac de grain tomba du plafond, le tuant sur le coup. « Aussi Connu que la Lune », cela va sans dire, ne vit jamais le jour.

Combien d'entre nous, comme l'homme de cette histoire, sommes pris dans le tourbillon de ce que j'appelle aujourd'hui une « paresse active » ? Il existe, naturellement, différentes sortes de paresse : il y a la paresse à l'orientale, et celle à l'occidentale. La paresse à l'orientale est pratiquée à la perfection en Inde. Elle consiste à flâner au soleil toute la journée, sans rien faire, à éviter toute forme de travail et toute activité utile, à écouter de la musique de film hindie à la radio et à discuter avec des amis tout en buvant force tasses de thé. La paresse à l'occidentale est tout à fait différente : elle consiste à remplir sa vie d'activités fébriles, si bien qu'il ne reste plus de temps pour affronter les vraies questions.
Si nous examinons notre vie, nous verrons clairement que nous accumulons, pour la remplir, un nombre considérable de tâches sans importance et quantité de prétendues « responsabilités ». Un maître compare cela à « faire le ménage en rêve ». Nous nous disons que nous voulons consacrer du temps aux choses importantes de la vie, mais ce temps, nous ne le trouvons jamais. Rien qu'en se levant le matin, il y a tant à faire : ouvrir la fenêtre, faire le lit, prendre une douche, se brosser les dents, donner à manger au chien ou au chat, faire la vaisselle de la veille au soir, s'apercevoir qu'on n'a plus de sucre, ou plus de café, aller en acheter, préparer le petit déjeuner – la liste est interminable. Puis, il y a les vêtements à trier, à choisir, à repasser et à replier. Enfin il faut se coiffer, se maquiller... Impuissants, nous voyons nos journées se remplir de coups de téléphone, de projets insignifiants ; nous avons tant de responsabilités... Ne devrions-nous pas dire plutôt d'« irresponsabilités » ?
C'est notre vie qui semble nous vivre, nous porter et posséder sa propre dynamique étrange. En fin de compte, tout choix et tout contrôle semblent nous échapper. Bien sûr, il nous arrive d'en ressentir un certain malaise, d'avoir des cauchemars et de nous réveiller en sueur. Nous nous demandons alors : « Que suis-je en train de faire de ma vie ? » Mais au petit déjeuner, nos peurs se sont dissipées ; nous reprenons l'attaché-case et... nous voici revenus au point de départ.
(Sogyal Rinpoché, « Le livre tibétain de la vie et de la mort », Éditions de la Table Ronde 2003,  p.45-47 ; Livre de Poche n°30 024, p.57-59)

Lune (Photo prise à proximité de l’observatoire de Byurakan, Arménie)

lundi 29 octobre 2012

Pourquoi changer ?

Les enfants, qui sont des individus très pragmatiques, ne font pas toujours ce que leur conseillent leurs parents, ils reproduisent plutôt ce que ces derniers font, estimant sans doute que la vérité d’un individu se retrouve plus dans ses actes que dans ses paroles…
(ANDRÉ Christophe et LELORD François, « Comment gérer les personnalités difficiles » [1996/2000], Éd. Odile Jacob poche, n°10, p.232)

Un des meilleurs moyens de faire changer les gens n’est pas de leur expliquer ce qu’ils doivent faire ou penser, mais de leur montrer l’exemple.
(ANDRÉ Christophe et LELORD François, « Comment gérer les personnalités difficiles » [1996/2000], Éd. Odile Jacob poche, n°10, p.241)

La liberté extérieure que nous atteindrons dépend du degré de liberté intérieure que nous aurons acquis. Si telle est la juste compréhension de la liberté, notre effort principal doit être consacré à accomplir un changement en nous-même.
(Mahatma Gandhi, cité par Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p.87 ; cette citation figure, avec un traduction légèrement différente, dans Gandhi  « Tous les hommes son frères », Folio essais n°130, 2005, p.248)
Nous devons être le changement que nous voulons dans le monde.
(attribué au Mahatma Gandhi, cité  par Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 347)

« Note bien, je crois que la pensée de Gandhi [« Nous devons être le changement que nous voulons voir dans le monde. »] dépassait les considérations individuelles, les attentes personnelles de changement. Je pense qu’il désignait surtout les évolutions que chacun aimerait voir dans la société d’une manière générale, et il voulait sans doute dire qu’il est beaucoup plus fort d’incarner soi-même la voie à suivre, et finalement d’être un modèle pour les autres, que de simplement dénoncer et critiquer.
(GOUNELLE Laurent, « Dieu voyage toujours incognito », éd. Anne Carrière, 2010, p. 120-121)

Chenille devenue papillon, Château de Hac  (Bretagne)



samedi 27 octobre 2012

L'amour romantique est aveugle

... Pourquoi devient-on amoureux ? Pourquoi tombe-t-on amoureux d’une personne plutôt que d’une autre ? Parce que nous sommes conditionnés. Il y a dans notre subconscient une image qui correspond au type de personne qui nous séduit, nous attire. En conséquence, lorsque nous rencontrons un être qui colle à cette image, nous en tombons éperdument amoureux. Mais avons-nous vraiment vu cette personne ? Non, nous ne la verrons qu’après l’avoir épousée. C’est alors que nous verrons clair ! Mais c’est peut-être à ce moment-là que le véritable amour pourra commencer. Tomber amoureux n’a rien à voit avec l’amour. Ce n’est pas l’amour, c’est du désir, un désir brûlant. Vous voulez, de tout votre cœur, que cette adorable créature ne cesse de vous répéter que vous lui plaisez. Cela vous donne une sensation extraordinaire. Et pendant ce temps-là, ceux qui vous entourent disent peut-être « Mais que peut-il bien lui trouver ? » C’est ça le conditionnement : vous ne voyez pas. On dit d’ailleurs que l’amour est aveugle. Croyez-moi, il n’y a rien de plus clairvoyant que le véritable amour. L’attachement inconditionnel est aveugle, la dépendance est aveugle. S’accrocher, avoir besoin, désirer quelqu’un signifie être aveugle. C’est le contraire du véritable amour. N’appelez pas cela amour. Bien sûr, le mot a perdu son sens sacré dans la plupart des langues modernes. Les gens parlent de « faire l’amour », de « tomber amoureux ». …
Alors que veut dire être amoureux ? La première chose est de clarifier notre perception. La raison pour laquelle nous ne voyons pas clairement la personne dont nous sommes tombés amoureux est évidente : nos émotions nous font obstacle, ainsi que notre conditionnement, nos préférences et nos dégoûts. Nous devons nous colleter avec ce fait. Mais nous devons nous colleter également avec des éléments plus fondamentaux : nos idées, nos convictions, nos concepts.
(Anthony de Mello, s.j., « Quand la conscience s’éveille » [1984], Éd. Albin Michel 2010, p.150-151)

Cadenas symbolisant un amour éternel, dans un parc de  Riga (Lettonie)

mercredi 24 octobre 2012

L’attention aux pensées

L’attention
Livré à soi-même, l’esprit est comparable à un oiseau frétillant qui volette de branche en branche, ou plonge d’un arbre jusqu’à terre pour se renvoler dans un autre arbre. Dans cette image, les branches, le sol et l’autre arbre représentent les exigences de nos cinq sens, de même que nos pensées et nos émotions. Toutes ces choses ont l’air très intéressant et sont puissamment attirantes. Et comme il est toujours en train de se passer quelque chose en nous et autour de nous, le pauvre oiseau frétillant a beaucoup de mal à se poser. Il n’est pas étonnant que je rencontre beaucoup de personnes qui se plaignent d’être stressées la plupart du temps ! Cette espèce de volettement perpétuel avec nos sens surchargés et nos pensées, comme nos émotions, qui exigent d’être reconnues, voilà ce qui nous empêche de rester détendus et concentrés. ...
(Yongey Mingyour Rinpotché, « Bonheur de la sagesse », préfacé par Matthieu Ricard, Le livre de poche n°32 372, 2011, p. 182)

Cinquième pas : l’attention aux pensées
Le travail sur l’activité des perceptions sensorielles est en quelque sorte une préparation au travail sur l’oiseau frétillant lui-même – la multitude des idées, des jugements et des concepts qui le poussent à sauter de branche en branche. Les pensées sont un peu plus insaisissables que les fleurs, les sons ou les sensations physiques. De prime abord, elles se précipitent comme l’eau qui dévale un escarpement. On ne peut pas vraiment les voir. Mais en y faisant attention, comme on prête attention aux sons ou aux objets visuels, on peut prendre conscience de leur passage. Ce faisant, on peut prendre conscience de l’esprit par lequel toutes ces pensées apparaissent et disparaissent. « La pensée, disait mon père, est l’activité naturelle de l’esprit, l’expression de son pouvoir de tout produire. »
On ne fait pas attention à ses pensées dans le but de les arrêter, mais seulement de les observer. De même que prendre son temps pour regarder une rose ou écouter un bruit, prendre le temps d’observer ses pensées ne signifie pas les analyser. Ici, l’accent porte plutôt sur l’acte d’observer, lequel a naturellement le pouvoir de calmer l’esprit qui observe et de le stabiliser. On peut utiliser ses pensées plutôt qu’être utilisé par elles. S’il y a cent pensées qui vous traversent l’esprit au cours d’une minute, vous avez cent supports de méditation. Si l’oiseau frétillant saute de branche en branche, c’est formidable. Il suffit de regarder l’oiseau voleter en tous sens. Chaque sautillement, chaque envol est un support de méditation.
Il n’est pas nécessaire de s’attacher à la conscience d’une pensée ni de se concentrer dessus assez d’intensité pour la faire partir. Les pensées vont et viennent, ainsi qu’un vieil adage bouddhiste le soutient, « comme des flocons de neige qui tombent sur une pierre chaude ». Quel que soit ce qui vous traverse l’esprit, regardez-le aller et venir, avec légèreté et sans attachement, de la même manière que vous vous exerciez doucement à poser votre attention sur les formes, les sons et les sensations physiques.
(Yongey Mingyour Rinpotché, « Bonheur de la sagesse », préfacé par Matthieu Ricard, Le livre de poche n°32 372, 2011, p. 202-203)

Maroc, Tessaout (Chaîne de l'Atlas)

vendredi 19 octobre 2012

Un verre à moitié plein ou à moitié vide ?

C’était la veille de Noël. Le voyageur et sa femme dînaient dans l’unique restaurant d’un village des Pyrénées, et ils faisaient le bilan de l’année sur le point de se terminer. Le voyageur se mit à déplorer un événement qui ne s’était pas déroulé comme il l’aurait souhaité.
Sa femme regardait fixement le sapin de Noël qui décorait le restaurant. Le voyageur songea qu’elle ne semblait guère intéressée par la conversation, et il changea de sujet :
« Les décorations de cet arbre sont très jolies », remarqua-t-il.
- « C’est vrai », répondit-elle. « Mais si tu observes bien, au milieu de ces dizaines d’ampoules, il y en a une de grillée. Il me semble que, au lieu de considérer les innombrables bénédictions qui ont illuminé l’année passée, tu fixes ton regard sur la seule ampoule qui n’a rien éclairé du tout. »
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p. 83 ; J'ai Lu n°9651, 2011, p.78)

Flamands roses, Walvis Bay (Namibie)

dimanche 14 octobre 2012

Nous ne voyons pas les gens et les choses comme ils sont, mais en fonction de nous.

Imaginez que vous soyez indisposé et d’humeur massacrante. Quelqu’un vous emmène en promenade à travers la campagne. Le paysage est magnifique, mais votre mauvaise humeur vous empêche de le voir. Quelques jours plus tard, vous repassez devant le même paysage et vous vous dites : « Dieu du ciel, mais où étais-je pour ne pas avoir vu tout cela ? » Tout devient plus beau lorsqu’on change. Ou bien imaginez que vous regardez des arbres et des montagnes à travers une fenêtre balayée par la tempête. Tout vous semble flou et informe. Vous voudriez sortir et changer ces arbres et ces montagnes. Mais attendez ! Examinez d’abord votre fenêtre. Lorsque la tempête est finie et que cesse la pluie, vous regardez à nouveau par cette fenêtre et vous vous dites : « Comme tout paraît différent ! » Nous ne voyons pas les gens et les choses comme ils sont, mais en fonction de nous. C’est la raison pour laquelle deux personnes regardant la même chose ou la même personne ont des réactions différentes. Nous ne voyons pas les choses et les gens comme ils sont, mais en fonction de ce que nous sommes.
(Anthony de Mello, s.j., « Quand la conscience s’éveille » [1984], Éd. Albin Michel 2010, p.112-113)

Khatchkar (stèle), Lac Sevan (Arménie)

lundi 8 octobre 2012

La méditation peut-elle être utile face aux peurs excessives ?

Les techniques de méditation, d’introduction récente dans le champ des troubles phobiques, connaissent une certaine vogue. Leurs bénéfices sur le bien-être psychologique global sont avérés(1). Dans le domaine des phobies et des troubles anxieux en général, il s’agit probablement d’un champ prometteur, mais à propos duquel on manque encore de certitudes quant à leur efficacité thérapeutique précise(2). La méditation, notamment sous sa forme de « pleine conscience » (en anglais : mindfullness), consiste à entraîner peu à peu sa conscience à rester dans un état d’acceptation tranquille de ce qui nous entoure (par exemple les bruits autour de nous) et de ce que nous ressentons (par exemple, nos pensées, émotions et sensations).
La tâche est donc doublement difficile pour les personnes phobiques, qui sont habituellement en état de vigilance et de lutte vis-à-vis de l’environnement, et de leurs pensées et sensations physiques. Pour elles, les bénéfices de la méditation pourraient se situer à trois niveaux.
Le premier serait celui d’un effet facilitant la relaxation : beaucoup d’anxieux ont du mal à se relaxer car ils sont trop réceptifs au moindre dérangement, à la moindre sollicitation de leur attention. Ils n’arrivent à se détendre qu’au calme, sans bruit autour d’eux… Or ces conditions sont rarement remplies au quotidien. Apprendre à se détendre malgré les bruits extérieurs (« Ah ! ces moteurs de motos ») ou les pensées parasites (« Quand je pense à tout ce que j’ai à faire après ma séance de relaxation… ») est donc précieux pour les phobiques.
Un deuxième bénéfice peut être retiré de ce travail quant à l’attention à la fois vigilante et dispersée des personnes phobiques. Nous avons déjà décrit à quel point les peurs phobiques étaient souvent associées à des troubles de l’attention, plus ou moins importants selon les personnes. La plupart des phobiques ont en général du mal à fixer leur attention : en effet, cette dernière est en général consacrée à la surveillance inquiète plutôt qu’à l’observation détendue. Les phobiques peinent pour abandonner leur réflexe de surveillance de l’environnement. Le paradoxe, c’est qu’en même temps, une fois que ce qui fait peur est dépisté, il leur devient au contraire très difficile de fixer leur attention sur l’objet de cette peur, par un réflexe d’évitement. Ce qui serait pourtant le seul moyen de s’y habituer peu à peu. Les séances de méditation peuvent donc représenter une sorte d’entraînement à mieux maîtriser ses processus attentionnels, dans le but de faciliter les confrontations aux images, pensées ou sensations inquiétantes.
Enfin, un dernier bénéfice psychologique peut être attendu, des méthodes de méditation : développer les capacités d’acceptation des états émotionnels négatifs. C’est par exemple l’un des buts de la méditation bouddhiste(3). D’où son utilisation par certains thérapeutes, notamment dans la prévention des rechutes dépressives(4), mais aussi, depuis peu, dans la prise en charge psychothérapique des différents problèmes de peurs et d’anxiété(5), Pour les personnes phobiques, les exercices consistent à laisser arriver, puis à accepter les sensations, pensées, émotions, images désagréables qui peuvent survenir, sans chercher sur le moment à les repousser ou à les discuter. Juste se dire : « Ce qui me fait peur peut arriver. Ce n’est pas arrivé, cela peut ne jamais arriver, mais cela peut aussi arriver. Je dois apprendre peu à peu à supporter ces images ou ces idées. Et à agir si nécessaire pour empêcher la survenue des catastrophes que je redoute. Mais mon inquiétude, elle, ne servira à rien. Elle ne modifiera pas le cours des choses. Ce sont mes actes qui modifieront le cours des choses… » Avec mes patients, nous utilisons souvent dans ces moments l’image du bouchon de liège qui flotte sur l’océan : les vagues de la peur le font monter, descendre, mais il continuera de flotter. Même si les vagues sont énormes. Il suffit de les laisser passer…
(Christophe ANDRÉ, « Psychologie de la peur, craintes, angoisses et phobies », Éd. Odile Jacob, 2004 [2005 pour l’édition poche, n°166], p. 129-130)

Crocodile, Pays Kassena (Burkina Faso)

jeudi 4 octobre 2012

Le nuage et la dune

Un jeune nuage naquit au milieu d’une grande tempête en mer Méditerranée. Mais il n’eut pas le temps d’y grandir ; un vent puissant poussa tous les nuages vers l’Afrique.
À peine avaient-ils gagné le continent que le climat changea : un soleil généreux brillait dans le ciel, et au-dessous s’étendait le sable doré du désert du Sahara. Le vent continua de les pousser vers les forêts du Sud, vu que dans le désert il ne pleut pas, ou presque.
Cependant, ce qui arrive aux jeunes humains arrive aussi aux jeunes nuages : il décida de s’éloigner de ses parents et de ses amis plus âgés, pour connaître le monde.
« Que fais-tu ? protesta le vent. Le désert est le même partout ! Rejoins la formation, et allons jusqu’au centre de l’Afrique, où il y a des montagnes et des arbres extraordinaires ! »
Mais le jeune nuage, d’une nature rebelle, n’obéit pas ; peu à peu, il perdit de l’altitude, et il réussit à planer sur une brise douce, généreuse, près des sables dorés. Après une longue promenade, il s’aperçut qu’une dune lui souriait.
Il vit qu’elle aussi était jeune, formée récemment par le vent qui venait de passer. Il tomba amoureux sur-le-champ de sa chevelure dorée.
« Bonjour, dit-il. Comment est la vie en bas ?
- J’ai la compagnie des autres dunes, du soleil, du vent, et des caravanes qui de temps en temps passent par ici. Fi fait parfois très chaud, mais c’est supportable. Et comment est la vie là-haut ?
- Il y a aussi le vent et le soleil, mais l’avantage, c’est que je peux me promener dans le ciel et connaître beaucoup de choses.
- Pour moi la vie est courte, dit la dune. Quand le vent reviendra des forêts, je disparaîtrai.
- Et cela t’attriste ?
- Cela me donne l’impression de ne servir à rien.
- Je ressens la même chose. Dès que passera un vent nouveau, j’irai vers le sud et je me transformerai en pluie ; mais c’est mon destin. »
La dune hésita un peu, puis déclara :
- « Sais-tu qu’ici, dans le désert, nous appelons la pluie Paradis ?
- Je ne savais pas que je pouvais devenir si important, dit fièrement le nuage.
- J’ai entendu des légendes racontées par les vieilles dunes. Elles disent qu’après la pluie nous sommes couvertes d’herbes et de fleurs. Mais je ne saurai jamais ce que c’est, parce que dans le désert il pleut très rarement. »
À son tour le nuage hésita. Mais bien vite un large sourire lui revint.
- « Si tu veux, je peux te couvrir de pluie. Je viens d’arriver, mais je suis amoureux de toi, et j’aimerais rester ici pour toujours.
- Quand je t’ai vu pour la première fois dans le ciel, moi aussi je suis tombée amoureuse, dit la dune. Mais si tu transformes en pluie ta belle chevelure blanche, tu vas en mourir.
- L’amour ne meurt jamais, répliqua le nuage. Il se transforme ; et je veux te montrer le Paradis. »
« Et il commença à caresser la dune de petites gouttes ; ainsi ils demeurèrent ensemble très longtemps, jusqu’au moment où apparut un arc-en-ciel.
Le lendemain, la petite dune était couverte de fleurs.
D’autres nuages qui se dirigeaient vers l’Afrique, croyant que se trouvait là une partie de la forêt qu’ils cherchaient, déversèrent leur pluie. Vingt ans plus tard, la dune était devenue une oasis, et les voyageurs se rafraîchissaient à l’ombre de ses arbres.
Tout cela parce qu’un jour un nuage amoureux n’avait pas craint de donner sa vie par amour.
(Paulo COELHO, « Comme le fleuve qui coule », Flammarion, 2006, J’ai Lu n°8285, 2011, p.185-187)

Glace sur une dune,  Erg Mehedjebat (Algérie)

dimanche 30 septembre 2012

Je pense donc je suis ?

… Je vais procéder aussi lentement que possible car les conséquences de cette connaissance sont dévastatrices. Extraordinaires ou extraordinairement terrifiantes, tout dépend du point de vue.
Commençons par ceci : suis-je mes pensées, suis-je les pensées qui sont dans ma tête ? Non. Les pensées apparaissent et disparaissent ; je ne suis pas mes pensées. Suis-je mon corps ? On nous dit que des millions de cellules se transforment ou se renouvellent constamment dans notre organisme, et que sept années suffisent à les changer entièrement. Nous n’avons plus, à l’issue de ce processus de changement, une seule cellule qui ait été présente dans notre corps sept ans plus tôt. Les cellules apparaissent et disparaissent. Les cellules naissent et meurent. Mais il semble que « je » survive. Suis-je mon corps ? Non.
« Je » est à la fois différent et plus important que le corps. On pourrait dire que le corps est une partie de ce « je », une partie qui change. Il ne cesse de bouger, de se transformer. Nous avons toujours le même mot pour le nommer mais il ne cesse de changer. Comme nous avons le même mot pour nommer les chutes du Niagara, constituées par des eaux qui ne cessent de bouger. Nous utilisons le même mot pour une réalité essentiellement changeante.
(Anthony de Mello, s.j., « Quand la conscience s’éveille » [1984], Éd. Albin Michel 2010, p.64-65)

Dans notre vie quotidienne, comme dans la pratique formelle, il est extrêmement bon de savoir que nous ne sommes pas nos pensées (y compris nos idées, nos opinions et même nos positions bien arrêtées) et qu’elles ne sont pas nécessairement vraies, ou seulement vraies dans une certaine mesure, et souvent peu utiles de toute façon. C’est lorsque nous ne les connaissons pas comme telles, lorsque nous n’avons pas conscience de leur flux même, des bulles individuelles, des courants et des tourbillons de pensée au sein du flux, que nous n’avons aucun moyen d’œuvrer à nous affranchir de leurs énergies incroyablement puissantes et persistantes, mais souvent trompeuses.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « L’éveil des sens : vivre l’instant présent grâce à la pleine conscience », 2005, Pocket n°14 424, 2011, Préface de Matthieu Ricard, p. 289)

Pour la plupart d’entre nous, les pensées sont apparemment très solides, très vraies. Nous nous y attachons, ou bien nous en avons peur. Dans un sens comme dans l’autre, nous leur accordons tout pouvoir sur nous. Plus nous les croyons solides et vraies, plus nous leur accordons de pouvoir. Mais dès que nous les observons, leur pouvoir commence à faiblir.
Parfois, quand on observe ses pensées, on remarque qu’elles apparaissent et disparaissent plutôt vite en laissant des petits blancs entre elles. Au début, l’espace entre une pensée et la suivante peut ne pas être très long. Mais avec la pratique, cet espace s’étire, et l’esprit se pose avec plus d’ouverture et de paix dans une attention sans objet. Parfois, la simple pratique d’observer ses pensées ressemble au fait de regarder la télévision ou un film. Sur l’écran, il peut se passer des tas de choses, mais en fait, on n’est pas dans le film ou à la télé. Il y a un peu d’espace entre celui qui regarde et ce qu’il regarde. Alors, tandis que vous pratiquez l’observation des pensées, vous pouvez faire l’expérience de ce petit espace entre vous-même et vos pensées. Cet espace, ce n’est pas réellement vous qui le créez ; il a toujours été là. Vous ne faites que le remarquer.
(Yongey Mingyour Rinpotché, « Bonheur de la sagesse », préfacé par Matthieu Ricard, Le livre de poche n°32 372, 2011, p. 202-203)

Papillon, Château de Hac  (Bretagne)