mercredi 27 mars 2019

Notre bonheur individuel et notre bien-être collectif dépendent de l'intégration et de la collaboration de notre esprit et notre cœur.

Le cerveau a ses mystères, mais le cœur détient des secrets que j'étais bien décidé à percer. Ma quête, entamée dans le magasin de magie, m'avait mené vers un voyage intérieur qui n'était pas terminé. Je savais qu'il me fallait à présent me tourner vers l'extérieur. L'esprit cherche toujours à diviser et à nous différencier des autres. Il nous pousse à nous comparer, à nous distinguer, à prendre ce qui nous appartient dès que l’occasion se présente. Le cœur, en revanche, cherche à nous connecter aux autres et à partager avec eux. Il veut nous montrer que les différences n'existent pas et qu'au fond, nous sommes tous les mêmes. Le cœur possède sa propre intelligence et, si on l'écoute, on comprend que ce n'est qu'en donnant qu'on possède réellement. Si on veut être heureux, il faut rendre les autres heureux. Si on veut de l'amour, il faut en donner. Si on veut de la joie, il faut en semer autour de nous. Si on veut être pardonné, il faut pardonner nous-mêmes. Si on veut la paix, il faut la créer dans le monde qui nous entoure.
Si on veut panser nos plaies, il faut guérir celles des autres.
Il était temps pour moi de redevenir médecin.
Ce que Ruth appelait la boussole du cœur est une forme de communication qui existe bel et bien entre le cerveau et le cœur, grâce au nerf vague. Des études ont montré que le cœur envoie beaucoup plus de signaux au cerveau que l'inverse ; et même si le système cognitif et le système émotionnel sont tous les deux intelligents, les connexions neuronales sont beaucoup plus nombreuses dans le sens cœur-cerveau que dans l'autre sens. Nos pensées et nos sentiments peuvent être puissants, mais une émotion forte peut l'emporter sur la raison alors que l'inverse est plus rare. D'ailleurs, les plus fortes émotions déclenchent des pensées incessantes. Nous séparons le cœur et l'esprit, le premier étant relationnel et le second rationnel ; pourtant, au fond, ils font partie d'une même intelligence. Le réseau neuronal entourant le cœur est une composante essentielle de notre réflexion et de notre capacité de raisonnement. Notre bonheur individuel et notre bien-être collectif dépendent de l'intégration et de la collaboration de notre esprit et notre cœur. Les enseignements délivrés par Ruth auraient dû m'aider à réconcilier mon esprit et mon cœur. Or, pendant des dizaines d'années, j'avais négligé ce dernier. J'avais cru pouvoir utiliser mon esprit pour me sortir de la pauvreté, atteindre le succès et me donner une certaine valeur mais, en définitive, c'était mon cœur qui pouvait m’apporter la vraie richesse.
L'esprit connaît beaucoup de choses, mais il en connaît d'autant plus quand il se joint au cœur. La pleine conscience et la visualisation, noms courants des exercices auxquels Ruth m'avait initié, sont des techniques merveilleuses pour s'apaiser, éliminer les distractions et voyager à l'intérieur de soi-même. Elles peuvent augmenter la concentration et nous aider à prendre des décisions plus rapidement, mais sans sagesse et discernement (c'est-à-dire si on n'ouvre pas notre cœur), ces techniques peuvent engendrer le repli sur soi, le narcissisme et l'isolement. Notre voyage n'est pas censé être un trajet solitaire en nous-mêmes, mais un voyage extérieur, riche en échanges. Quand on plonge en soi et que notre coeur est ouvert, on renoue avec lui et il nous enjoint à sortir pour entrer en contact avec les autres. Notre voyage est une transcendance, pas une autoanalyse infinie. Ce n’est pas pour rien que les courtiers ont recours aux techniques de méditation : elles les aident à rester concentré mais aussi, malheureusement, à devenir insensibles. C'est contre ça que Ruth m'avait mis en garde avant de m'initier à la visualisation. Certes on peut voir nos souhaits se réaliser, mais seule l'intelligence du cœur nous dira ce qui vaut vraiment la peine d'être accompli.
La solitude, l'anxiété et la dépression sont de fléaux, particulièrement en Occident. Il y a un appauvrissement de l'interaction entre les gens. Des études ont montré que 25 % des Américains n'ont personne de suffisamment proche à qui confier ce qu'ils ressentent. Cela signifie qu'une personne sur quatre n'a personne à qui parler et ce manque d'échange affecte leur santé. On est faits pour communiquer (l'évolution nous a appris à coopérer et échanger) et, quand ce lien social est rompu, on tombe malades. La recherche a montré que plus notre vie sociale est riche, plus on vit longtemps et plus on est à même de se remettre d'une maladie. L'isolement et la solitude sont plus néfastes pour la santé que le tabac. Le lien social authentique a un effet réel sur notre équilibre psychologique ; pour notre équilibre physique, il est encore plus bénéfique que le sport ou une courbe de poids stable. Ça nous fait du bien. Les interactions avec autrui stimulent dans le cerveau les mêmes systèmes de récompense que ceux qui sont en action lorsqu'on prend de la drogue, qu'on boit de l'alcool ou qu'on mange du chocolat. En d'autres termes, seuls, on tombe malades ; ensemble, on va mieux.

(DOTY James R., « Le magasin [La fabrique] des miracles (La quête d'un neurochirurgien pour percer les mystères du cerveau et les secrets du cœur) » (2016), préface de Matthieu RICARD pour les éditions canadienne et française, Éditions Flammarion (2017), ou J’ai Lu 2018 n°12 032, p.255-258)


Revue de presse [Extraits] :

"This book tells the remarkable story of a neurosurgeon's quest to unravel the mystery of the link between our brains and our hearts. From the moment in his childhood when a simple act of kindness changed the course of his own life to his founding a center to study compassion at Stanford University. Jim Doty's life illustrates how each of us can make a difference. We can make the world a more compassionate place. I’m sure many readers will be moved by this inspiring story to open their hearts and see what they too can do for others."
His Holiness the Dalai Lama

“In this profound and beautiful book, Dr. Doty teaches us with his life, and the lessons he imparts are some of the most important of all: that happiness cannot be without suffering, that compassion is born from understanding our own suffering and the suffering of those around us, and that only when we have compassion in our hearts can we be truly happy.”
Thich Nhat Hanh, author of Peace Is Every Step

“Jim Doty takes the reader on a journey from the limited realm of the head to the unlimited realm of the heart where true compassion dwells... May this book be an inspiration to all.”
Amma (Her Holiness Mata Amritanandamayi)

“Once in a generation, someone is able to articulate the compelling mystery within his or her life story in such a way that it captures the imagination of others and inspires them to align with what is deepest and best in themselves and allow it to manifest and flower. There is plenty of magic in this book, but the deepest magic of all is that Jim was openheartedly guided to start practicing that aligning when he was twelve, and trusted it enough to never lose the thread completely, even in the hardest of times. Behold what is emerging now.”
Jon Kabat-Zinn, PhD, author of Full Catastrophe Living

“Into the Magic Shop offers a gripping, well-told journey into the mysteries of the human mind and brain. Neurosurgeon James Doty has written a heartwarming tale of courage and compassion."
Daniel Goleman, Ph.D., author of Emotional Intelligence

Jardin de cactus (Lanzarote, Îles Canaries [Espagne])

jeudi 14 mars 2019

Mais pourquoi chercher à être plus attentif ?

|...] Il peut être intéressant de soigner son attention même dans des situations faciles et sans enjeu… pour trois raisons.
D’abord, vous constaterez peut-être avec moi que lorsque nous laissons notre attention vraiment libre, elle se prend souvent dans toutes sortes de soucis, même en vacances : il y a les courses à faire, le petit à accompagner au cours de voile, et ceci, et cela, etc. Ces petites « Propositions d’Action iMmédiates » [petites sonnettes d’alarme qui nous donnent l’ordre d’interrompre ce que nous sommes en train de faire pour passer à autre chose. Elles créent un effet d’aspiration, ou de captivation, de l’attention.] viennent vite encombrer notre esprit en quête de détente et de liberté. En encapsulant ces minimissions dans des petites bulles, les minimoi (*) libèrent enfin de vraies plages de temps pendant lesquelles notre système exécutif nous laisse un peu en paix. Nous sommes, comme on dit parfois de l’homme du zen, « sans affaire ».
(*) Minimoi / maximoi : Nous pouvons alterner entre un « maximoi », définissant régulièrement la feuille de route à suivre et fixant des petites missions, et des « minimoi » exécutant ces dernières l’une après l’autre. D’une certaine façon, le maximoi programme le GPS, et le minimoi conduit en suivant ses consignes. Le grand avantage de ce dédoublement apparent de personnalité est de dissocier dans le temps les deux grands rôles du système exécutif : le mode stratégique, incarné par le maximoi, et le mode de pilotage rapide, incarné par le minimoi.
Ensuite, en apprivoisant votre attention en eaux calmes, vous acquérez progressivement l’expérience nécessaire pour maîtriser celle-ci quand le vent se lève et que la mer se forme. Voyez dans quelles conditions s’entraînent ceux qui pratiquent la méditation, dans le plus grand silence et sur le confort d’un coussin. Quelle situation demande moins d’attention ? Ensuite, un cerveau qui cherche désespérément à mener de front des activités qui ne sont pas compatibles sur le plan attentionnel est un cerveau qui souffre ; or une attention maîtrisée diminue ces conflits internes. Je suis donc prêt à défendre l’idée qu’elle constitue l’une des clefs du bonheur … même à la plage, où les soucis ne disparaissent pas tous par magie. Et je ne parle même pas de la sensation de facilité et de glissement qu’elle peut procurer dans des activités d’ordinaire difficiles et pénibles.
Mais au-delà de cet apaisement de la vie mentale, une attention maîtrisée change plus globalement notre rapport au monde. Pendant un temps, un mythe populaire propageait l’idée que nous n’utilisions que 10 % de notre cerveau, et faisait croire qu’en passant à 100 %, nous pourrions voler dans les airs ou communiquer par la pensée. Cette croyance est fausse, bien sûr ; mais nous impliquons davantage ces 100 % de « cerveau disponible » quand nous sommes attentifs. Un cerveau attentif se laisse envahir par son objet d’attention ; un cerveau inattentif ne le touche que du bout des lèvres. Le rapport au monde est donc totalement différent : à chaque instant, vous avez le choix entre effleurer la vie ou plonger dedans. Comme l’écrit on ne peut plus clairement Natalie Depraz en introduction d’un très bel ouvrage consacré à l’attention, « l’attention […] fait du monde dans lequel nous évoluons une réalité qui nous importe, qui compte pour nous, qui acquiert du sens à nos yeux  ».
Il est donc assez paradoxal que cette époque du zapping permanent soit si concernée par la recherche d’expériences sensorielles parfaites. Songez à la qualité des salles de cinéma, des écrans d’ordinateurs, des chaînes hi-fi de salon ou même des écouteurs ! À quoi sert une telle technologie quand les sons et les images viennent finalement s’échouer au seuil de cerveaux occupés à autre chose ? Si l’expérience sensorielle que vous attendez n’est pas au rendez-vous, attendez avant de rapprocher l’écran, d’augmenter le volume ou de sortir votre carte de crédit. Essayez d’abord d’ajuster un réglage intérieur, celui de l’attention. Les grands constructeurs continueront bien sûr à rivaliser d’ingéniosité pour enrichir encore à chaque Noël la qualité de l’expérience sensorielle du consommateur. Mais la prochaine frontière n’est pas technologique : le sel de l’expérience, le goût de la vie, c’est l’attention qui l’apporte.
Et cette richesse peut être échangée, partagée avec les autres. Les distractions sont maintenant si nombreuses que nous oublions de plus en plus souvent de réserver notre attention à nos proches. Lire ses SMS au lieu d’accorder toute notre attention à nos amis à table, c’est un peu comme leur servir un demi-verre de vin ou une demi-portion de frites. Même si vos poches sont vides, même si vous n’avez plus rien à donner, vous pouvez encore offrir aux autres votre attention… à condition d’en avoir la maîtrise. Est-ce la clef de l’altruisme ? Je vous laisse y réfléchir !

(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau funambule ; Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences » (2015), Éditions Odile Jacob, , p.261-262)

Péninsule de Jandía (Fuerteventura, Îles Canaries [Espagne])