mercredi 12 décembre 2012

Comment ne plus rougir

Si j'avais eu l'imprudence d'aborder un tel sujet [« L’apprentissage de la pleine conscience »] à l'époque où j'étais encore interne, je me serais fait expulser du service instantanément ! Trente ans plus tard, cela ne pose plus aucun problème : nous avons de multiples études scientifiques ad hoc, des publications dans les revues les plus éminentes, des contrôles, des expertises... Bref, vous pouvez aujourd'hui sans souci ouvrir une consultation de méditation et d'entraînement attentionnel dans le cadre d'un CHU.
C'est ce qu'a fait par exemple Antoine Pelissolo, jeune professeur de psychiatrie à la Salpétrière, à Paris, où il applique la technique de l'entraînement attentionnel aux patients qui ont des phobies pathologiques du rougissement (1). Cette pathologie s'accompagnant d'un rétrécissement du focus, la personne est à 100% focalisée sur deux questions : « Est-ce que je rougis ou non ? » et « Est-ce que les autres ont vu que je suis si mal à l'aise que je deviens plus rouge qu'une tomate ? » Plus rien au monde ne compte. Évidemment, plus vous vous focalisez sur tout cela et vous rougissez, plus les autres le remarquent et vous vous trouvez pris dans un cercle vicieux angoissant. Antoine Pelissolo demande alors à ses patients d'apprendre à élargir leur focus attentionnel. Il place la personne face à un public qui la regarde en silence. Le rougissement ne tarde pas à survenir, provoquant un grave malaise. La personne devient écarlate et voudrait disparaître. Mon confrère lui dit alors ceci : « Voilà, vous êtes en focalisation maximale sur votre problème. Ne cherchez pas à le chasser. Prenez conscience du fait qu'effectivement vous êtes très rouge et qu'effectivement il y a des gens qui vous regardent et voient que vous êtes tout rouge. C'est comme ça et nous n'y pouvons momentanément rien. Par contre, tout en hébergeant ces sensations très désagréables, essayez d'écouter les bruits autour de vous. Sans chercher à remplacer votre malaise par ces bruits, prenez-en juste conscience. Observez aussi comment vous êtes en train de respirer. Regardez aussi tous les détails de la pièce où nous sommes. Observez votre interlocuteur : ses vêtements, ses gestes, écoutez ses propos. Tout cela sans fuir les émotions désagréables que vous ressentez, mais en invitant d'autres éléments à votre conscience. » Autrement dit, le flot émotionnel est toujours là, mais il va peu à peu s'écouler de manière différente. Au lieu de se focaliser exclusivement sur son problème, la personne va progressivement ouvrir en elle de nouvelles voies, grâce à cet entraînement attentionnel, qu'elle est ensuite chaudement invitée à pratiquer de façon régulière, même quand tout va très bien. Une telle méthode fait que beaucoup de gens que des années de thérapie introspective n'ont pas réussi à guérir s'en sortent enfin, souvent de manière spectaculaire.
(Christophe ANDRÉ, Pierre BUSTANY, Boris CYRULNIK, Thierry JANSSEN, Jean-Michel OUGHOURLIAN, Entretiens avec Patrice VAN EERSEL « Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » (2012), Éditions Albin MICHEL 2012, p.148-149)
(1) « Ne plus rougir et accepter le regard des autres » Antoine PELISSOLO, avec Stephane Roy, Odile Jacob, 2009.

Vitrail, par Folon (Église Saint-Etienne à Waha, Belgique)

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