vendredi 21 juin 2019

Les deux type de méditation bouddhiste

Toutes les sortes de méditations bouddhistes peuvent se ramener à deux techniques appelées shamatha et vipashyana en sanscrit et shiné et lhaktong en tibétain. Shi signifie « paix » ou « tranquillité » et aussi « calmer ». Né signifie « stabilité durable ». Donc shiné peut être traduit par « calme durable ». Lhak signifie « extraordinaire » et peut aussi signifier « clair et pénétrant » ou « sans aucune obstruction ». Thong signifie « voir ». Lhaktong signifie donc « voir clairement » ou « intuition particulière ». Shiné est le moyen de rendre l'esprit calme, stable et paisible tandis que lhaktong nous conduira à voir clairement la vérité, la vraie nature de toute chose. Toutes les méditations sont incluses dans ces deux-là. (p.63)
... Lhaktong c'est voir les choses de manière pénétrante, connaître la vérité, non seulement de manière intellectuelle, mais directement, sans aucune confusion. C'est ce qui tranche réellement à travers l'ignorance, la racine de tous nos problèmes. (p.74)

Lhakthong dans son véritable sens vient presque naturellement une fois que shiné s'est développé sur une base ferme. [...] Quand nous avons développé une méditation de shiné forte et inébranlable, notre esprit devient calme et clair. Si nous sommes alors capables de regarder, dans cet état de calme et de clarté, nous pouvons vraiment faire l'expérience de faire un avec tout ce qui nous entoure et en être conscient. Nous pouvons tout expérimenter tel que c'est sans élaboration et donc sans distorsion. Nous ne nous empêtrons pas dans le canevas de l'aversion et de l'attachement. C'est la libération. Notre nature se dévoile telle qu'elle est.
Quand nous pouvons regarder ..., et voir nos pensées se manifester en un défilement continu, libre de réflexion, auquel nous ne nous agrippons pas, au moment même où nous ne nous agrippons pas, nous ne sommes pas piégés dans le filet de la saisie. Alors naturellement l'ego n'est plus là, puisqu'il fonctionne à partir de concepts. C'est le plus puissant des concepts, mais peu importe sa force et sa puissance, ce n'est qu'un concept. À l'intérieur de l'expérience directe et non conceptuelle, il n'y a pas d'ego, donc nous n'avons pas la sensation d'un soi séparé. C'est assez subtil et profond. Ainsi, cette manière de voir n'est pas quelque chose que l'on peut simplement atteindre comme ça, mais il est dit aussi que cela peut être assez facile.
Quand nous pouvons demeurer sans concepts, nous pouvons être complètement libres et nous réjouir de tout sans pensée ni ego. Une fois libérés de cela, nous faisons l'expérience de l'état éveillé. Ce n'est pas quelque chose qui nous vient de l'extérieur. Cela vient de l'absence de complication. L'état samsarique de l'esprit est vu comme un filet que nous avons tissé autour de nous-mêmes. Nous sommes comme une chenille qui produit à partir de son propre corps quelque chose qui la ligote complètement. Elle est emprisonnée pour quelque temps, puis elle fait soudainement un trou dans son cocon, et devenue papillon elle s'en va en volant. C'est exactement ce qui est supposé se produire. Quand nous brisons la coquille que nous avons créée autour de nous-mêmes, nous pouvons devenir complètement libres et en harmonie avec les qualités de l'éveil.

RINGOU TULKOU Rinpoché, « En route vers l’éveil », Quatrième de couverture de Mathieu RICARD, TheBookEdition (2015), p. 63, 74 et 330-331)
Titre original : « Daring steps towards fearlessness [The Three Vehicles of Buddhism] », Traduit de l’anglais par Bodhicharya France


Chenille devenue papillon, Château de Hac  (Bretagne, France)

vendredi 17 mai 2019

Nous sommes connectés et moins limités que nous ne le pensons par le concept d'individualité

Certes, il existe un « moi » et un « toi » distincts qui opèrent dans nos rapports quotidiens au monde. Chacun de nous présente une enveloppe unique de qualités et de circonstances façonnées par une multitude de facteurs. C'est ce qu'on appelle le « soi ». Pourtant, il suffit d'observer attentivement notre vie pour constater que nous sommes constitués de milliers d'éléments de « non-soi », comme les appelle le maître vietnamien Thich Nhat Hanh, tels que la terre, l'eau, le feu, l'air, l'espace, le carbone, l'oxygène, les parents, les gènes communs à l'ensemble de l'humanité. Les mêmes constituants du soleil, des étoiles qui illuminent le ciel nocturne et des mers salées font partie de notre héritage commun, incarné.
Comme l'illustre l'histoire précédente, dans le feu de l'action on oublie aisément ce point. Afin de limiter cette habitude de séparation, deux pratiques me semblent particulièrement utiles. Premièrement, j'essaie d'être attentif au sentiment d'être différent ou distinct lorsqu'il survient en moi à l'occasion d'une rencontre en portant la conscience sur les sensations plus ou moins subtiles qui accompagnent ces instants. Si je suis conscient, je me focalise sur la sensation du souffle sans chercher à réprimer le besoin impulsif de me distinguer. Quand je suis capable de travailler ainsi sur moi, je suis souvent en meilleure position pour commencer à chercher consciemment ce que « nous » avons en commun. Au début, ce peut être simplement le fait que nous portions tous les deux du bleu ou que nous ayons à peu près la même taille. Très vite, l'humanité partagée, au-delà des théories ou des concepts, se manifeste de manière extrêmement tangible.
En définitive, la reconnaissance de notre humanité partagée qui opère derrière nos infinies différences nous ramène à la connexion. En ce sens, c'est une manière de s'accueillir chez soi, un accroissement plutôt qu'un rétrécissement du « moi ». L'objectif n'est ni de balayer les distinctions et la diversité, ni de réduire l'humanité à une masse informe. Mais plutôt de découvrir, au-delà de ce qui nous distingue, que nous sommes connectés et moins limités que nous ne le pensons par le concept d'individualité, qui rend souvent impénétrable le sentiment d'appartenance.
La prochaine fois que le réflexe de séparation ou de distinction apparaît en vous, essayez de dépasser la dimension verbale de votre rencontre avec autrui. L'attention au langage corporel de votre interlocuteur, à son regard, aux ridules au coin de ses lèvres, à la souplesse ou à la rigidité de sa posture, à sa « respiration », à son port de tête et d'épaules, au timbre de sa voix, mais également à votre propre ton, aux sensations qui émanent de votre plexus solaire ou de votre corps-cœur-esprit et à vos paroles peut favoriser la lente dissolution de l'esprit bâtisseur de frontières.

(SANTORELLI Saki, « Guéris-toi toi-même » (1999), Préface de Jon Kabat-Zinn, + CD de 9 méditations guidées avec la voix de Christophe ANDRÉ, Éditions des Arènes (2017), p.85-86)

Parc national des lacs de Plitvice (Croatie)

jeudi 25 avril 2019

Persévérer dans la méditation

Peu à peu, nous pouvons améliorer notre méditation. Notre connaissance n’est pas encore profonde, nous ne savons pas vraiment ce que nous faisons, mais nous pouvons progresser pas à pas. Peut-être même ne savons-nous pas que cette pratique nous fait du bien mais c’est le cas, peu à peu. […]
Les anciens d’ici vous diront qu’il y a du feu au cœur des bambous secs. Autrefois les allumettes étaient rares et pas toujours très efficaces. Quand les gens allaient dans la forêt, tout ce qu’ils trouvaient c’était du bois sec et ils savaient qu’il contenait du feu. Quand ils voulaient cuisiner, tout ce qu’ils avaient à faire était de frotter deux morceaux de bambou sec l’un contre l’autre pour faire du feu. Ils frottaient et frottaient. Au début le bois était froid mais, au bout d’un moment, il se réchauffait et, après un certain temps, de la fumée apparaissait. Mais il fallait du temps pour le réchauffer et encore plus de temps pour faire venir la fumée et, finalement, le feu.
Aujourd’hui, nous qui sommes les descendants de ces hommes et de ces femmes, nous n’avons pas beaucoup de patience. Si nous essayons de frotter deux morceaux de bambou l’un contre l’autre pour faire du feu, au bout de deux minutes nous allons nous impatienter. Nous en avons assez et nous posons les bâtons en disant : « Il est temps de faire une petite pause ! » Et puis, quand nous les reprenons en main, nous constatons qu’ils sont froids. Alors nous recommençons à les frotter mais en réalité nous repartons de zéro, de sorte qu’il va leur falloir encore du temps pour se réchauffer et, à nouveau, nous allons nous impatienter. De cette manière, nous pourrions continuer pendant une heure ou une journée entière sans voir apparaître la moindre flamme. Nous frottons et nous arrêtons, frottons et arrêtons. Et puis nous commençons à critiquer les anciens : « Ces vieux sont fous. Je ne sais pas ce qu’ils racontent. Ce sont sûrement des mensonges. Je frotte ces bouts de bois depuis tout ce temps et il n’y a toujours rien. »
Voilà ce qui se passe quand notre compréhension et notre engagement dans la pratique ne vont pas assez loin. Il n’y a pas assez de chaleur mais nous nous attendons à voir surgir des flammes. Les anciens sont passés par là et ils savent qu’il faut faire des efforts. Il faut continuer à frotter sans interruption ; si nous nous arrêtons nous n’aurons que des bâtons froids. C’est ce qui se passe pour ceux qui viennent ici apprendre la méditation. Ils écoutent quelques enseignements et veulent des résultats rapides. Ils veulent découvrir la méthode de méditation qui leur donnera les résultats les plus rapides. Je leur dis : « Si vous voulez le “plus rapide”, ça ne marchera pas. » Il se trouve qu’il existe une loi, la loi de cause à effet, selon laquelle les résultats naissent de causes adéquates. Les choses ne jaillissent pas en un instant en réponse à nos souhaits. « Le plus rapide » ! Le Bouddha lui-même serait époustouflé d’entendre cela !
Nous progresserons sur la voie grâce à des efforts continus, exactement de la même façon que la personne qui frotte des morceaux de bambou pour obtenir du feu. Si elle frotte sans s’arrêter, la chaleur augmente ; plus elle frotte, plus le bois chauffe. Quand la fumée apparaît, le feu n’est pas loin mais ce n’est pas pour autant qu’elle va faire une pause. Ce n’est pas un jeu. Elle sait qu’elle doit s’y tenir et c’est comme cela qu’elle obtiendra du feu.

(Ajahn CHAH, « Tout apparaît, tout disparaît » (2007), Éditions Sully 2009, p.134-135)

Bambous, Jardin Majorelle (Marrakech, Maroc)

mercredi 27 mars 2019

Notre bonheur individuel et notre bien-être collectif dépendent de l'intégration et de la collaboration de notre esprit et notre cœur.

Le cerveau a ses mystères, mais le cœur détient des secrets que j'étais bien décidé à percer. Ma quête, entamée dans le magasin de magie, m'avait mené vers un voyage intérieur qui n'était pas terminé. Je savais qu'il me fallait à présent me tourner vers l'extérieur. L'esprit cherche toujours à diviser et à nous différencier des autres. Il nous pousse à nous comparer, à nous distinguer, à prendre ce qui nous appartient dès que l’occasion se présente. Le cœur, en revanche, cherche à nous connecter aux autres et à partager avec eux. Il veut nous montrer que les différences n'existent pas et qu'au fond, nous sommes tous les mêmes. Le cœur possède sa propre intelligence et, si on l'écoute, on comprend que ce n'est qu'en donnant qu'on possède réellement. Si on veut être heureux, il faut rendre les autres heureux. Si on veut de l'amour, il faut en donner. Si on veut de la joie, il faut en semer autour de nous. Si on veut être pardonné, il faut pardonner nous-mêmes. Si on veut la paix, il faut la créer dans le monde qui nous entoure.
Si on veut panser nos plaies, il faut guérir celles des autres.
Il était temps pour moi de redevenir médecin.
Ce que Ruth appelait la boussole du cœur est une forme de communication qui existe bel et bien entre le cerveau et le cœur, grâce au nerf vague. Des études ont montré que le cœur envoie beaucoup plus de signaux au cerveau que l'inverse ; et même si le système cognitif et le système émotionnel sont tous les deux intelligents, les connexions neuronales sont beaucoup plus nombreuses dans le sens cœur-cerveau que dans l'autre sens. Nos pensées et nos sentiments peuvent être puissants, mais une émotion forte peut l'emporter sur la raison alors que l'inverse est plus rare. D'ailleurs, les plus fortes émotions déclenchent des pensées incessantes. Nous séparons le cœur et l'esprit, le premier étant relationnel et le second rationnel ; pourtant, au fond, ils font partie d'une même intelligence. Le réseau neuronal entourant le cœur est une composante essentielle de notre réflexion et de notre capacité de raisonnement. Notre bonheur individuel et notre bien-être collectif dépendent de l'intégration et de la collaboration de notre esprit et notre cœur. Les enseignements délivrés par Ruth auraient dû m'aider à réconcilier mon esprit et mon cœur. Or, pendant des dizaines d'années, j'avais négligé ce dernier. J'avais cru pouvoir utiliser mon esprit pour me sortir de la pauvreté, atteindre le succès et me donner une certaine valeur mais, en définitive, c'était mon cœur qui pouvait m’apporter la vraie richesse.
L'esprit connaît beaucoup de choses, mais il en connaît d'autant plus quand il se joint au cœur. La pleine conscience et la visualisation, noms courants des exercices auxquels Ruth m'avait initié, sont des techniques merveilleuses pour s'apaiser, éliminer les distractions et voyager à l'intérieur de soi-même. Elles peuvent augmenter la concentration et nous aider à prendre des décisions plus rapidement, mais sans sagesse et discernement (c'est-à-dire si on n'ouvre pas notre cœur), ces techniques peuvent engendrer le repli sur soi, le narcissisme et l'isolement. Notre voyage n'est pas censé être un trajet solitaire en nous-mêmes, mais un voyage extérieur, riche en échanges. Quand on plonge en soi et que notre coeur est ouvert, on renoue avec lui et il nous enjoint à sortir pour entrer en contact avec les autres. Notre voyage est une transcendance, pas une autoanalyse infinie. Ce n’est pas pour rien que les courtiers ont recours aux techniques de méditation : elles les aident à rester concentré mais aussi, malheureusement, à devenir insensibles. C'est contre ça que Ruth m'avait mis en garde avant de m'initier à la visualisation. Certes on peut voir nos souhaits se réaliser, mais seule l'intelligence du cœur nous dira ce qui vaut vraiment la peine d'être accompli.
La solitude, l'anxiété et la dépression sont de fléaux, particulièrement en Occident. Il y a un appauvrissement de l'interaction entre les gens. Des études ont montré que 25 % des Américains n'ont personne de suffisamment proche à qui confier ce qu'ils ressentent. Cela signifie qu'une personne sur quatre n'a personne à qui parler et ce manque d'échange affecte leur santé. On est faits pour communiquer (l'évolution nous a appris à coopérer et échanger) et, quand ce lien social est rompu, on tombe malades. La recherche a montré que plus notre vie sociale est riche, plus on vit longtemps et plus on est à même de se remettre d'une maladie. L'isolement et la solitude sont plus néfastes pour la santé que le tabac. Le lien social authentique a un effet réel sur notre équilibre psychologique ; pour notre équilibre physique, il est encore plus bénéfique que le sport ou une courbe de poids stable. Ça nous fait du bien. Les interactions avec autrui stimulent dans le cerveau les mêmes systèmes de récompense que ceux qui sont en action lorsqu'on prend de la drogue, qu'on boit de l'alcool ou qu'on mange du chocolat. En d'autres termes, seuls, on tombe malades ; ensemble, on va mieux.

(DOTY James R., « Le magasin [La fabrique] des miracles (La quête d'un neurochirurgien pour percer les mystères du cerveau et les secrets du cœur) » (2016), préface de Matthieu RICARD pour les éditions canadienne et française, Éditions Flammarion (2017), ou J’ai Lu 2018 n°12 032, p.255-258)


Revue de presse [Extraits] :

"This book tells the remarkable story of a neurosurgeon's quest to unravel the mystery of the link between our brains and our hearts. From the moment in his childhood when a simple act of kindness changed the course of his own life to his founding a center to study compassion at Stanford University. Jim Doty's life illustrates how each of us can make a difference. We can make the world a more compassionate place. I’m sure many readers will be moved by this inspiring story to open their hearts and see what they too can do for others."
His Holiness the Dalai Lama

“In this profound and beautiful book, Dr. Doty teaches us with his life, and the lessons he imparts are some of the most important of all: that happiness cannot be without suffering, that compassion is born from understanding our own suffering and the suffering of those around us, and that only when we have compassion in our hearts can we be truly happy.”
Thich Nhat Hanh, author of Peace Is Every Step

“Jim Doty takes the reader on a journey from the limited realm of the head to the unlimited realm of the heart where true compassion dwells... May this book be an inspiration to all.”
Amma (Her Holiness Mata Amritanandamayi)

“Once in a generation, someone is able to articulate the compelling mystery within his or her life story in such a way that it captures the imagination of others and inspires them to align with what is deepest and best in themselves and allow it to manifest and flower. There is plenty of magic in this book, but the deepest magic of all is that Jim was openheartedly guided to start practicing that aligning when he was twelve, and trusted it enough to never lose the thread completely, even in the hardest of times. Behold what is emerging now.”
Jon Kabat-Zinn, PhD, author of Full Catastrophe Living

“Into the Magic Shop offers a gripping, well-told journey into the mysteries of the human mind and brain. Neurosurgeon James Doty has written a heartwarming tale of courage and compassion."
Daniel Goleman, Ph.D., author of Emotional Intelligence

Jardin de cactus (Lanzarote, Îles Canaries [Espagne])

jeudi 14 mars 2019

Mais pourquoi chercher à être plus attentif ?

|...] Il peut être intéressant de soigner son attention même dans des situations faciles et sans enjeu… pour trois raisons.
D’abord, vous constaterez peut-être avec moi que lorsque nous laissons notre attention vraiment libre, elle se prend souvent dans toutes sortes de soucis, même en vacances : il y a les courses à faire, le petit à accompagner au cours de voile, et ceci, et cela, etc. Ces petites « Propositions d’Action iMmédiates » [petites sonnettes d’alarme qui nous donnent l’ordre d’interrompre ce que nous sommes en train de faire pour passer à autre chose. Elles créent un effet d’aspiration, ou de captivation, de l’attention.] viennent vite encombrer notre esprit en quête de détente et de liberté. En encapsulant ces minimissions dans des petites bulles, les minimoi (*) libèrent enfin de vraies plages de temps pendant lesquelles notre système exécutif nous laisse un peu en paix. Nous sommes, comme on dit parfois de l’homme du zen, « sans affaire ».
(*) Minimoi / maximoi : Nous pouvons alterner entre un « maximoi », définissant régulièrement la feuille de route à suivre et fixant des petites missions, et des « minimoi » exécutant ces dernières l’une après l’autre. D’une certaine façon, le maximoi programme le GPS, et le minimoi conduit en suivant ses consignes. Le grand avantage de ce dédoublement apparent de personnalité est de dissocier dans le temps les deux grands rôles du système exécutif : le mode stratégique, incarné par le maximoi, et le mode de pilotage rapide, incarné par le minimoi.
Ensuite, en apprivoisant votre attention en eaux calmes, vous acquérez progressivement l’expérience nécessaire pour maîtriser celle-ci quand le vent se lève et que la mer se forme. Voyez dans quelles conditions s’entraînent ceux qui pratiquent la méditation, dans le plus grand silence et sur le confort d’un coussin. Quelle situation demande moins d’attention ? Ensuite, un cerveau qui cherche désespérément à mener de front des activités qui ne sont pas compatibles sur le plan attentionnel est un cerveau qui souffre ; or une attention maîtrisée diminue ces conflits internes. Je suis donc prêt à défendre l’idée qu’elle constitue l’une des clefs du bonheur … même à la plage, où les soucis ne disparaissent pas tous par magie. Et je ne parle même pas de la sensation de facilité et de glissement qu’elle peut procurer dans des activités d’ordinaire difficiles et pénibles.
Mais au-delà de cet apaisement de la vie mentale, une attention maîtrisée change plus globalement notre rapport au monde. Pendant un temps, un mythe populaire propageait l’idée que nous n’utilisions que 10 % de notre cerveau, et faisait croire qu’en passant à 100 %, nous pourrions voler dans les airs ou communiquer par la pensée. Cette croyance est fausse, bien sûr ; mais nous impliquons davantage ces 100 % de « cerveau disponible » quand nous sommes attentifs. Un cerveau attentif se laisse envahir par son objet d’attention ; un cerveau inattentif ne le touche que du bout des lèvres. Le rapport au monde est donc totalement différent : à chaque instant, vous avez le choix entre effleurer la vie ou plonger dedans. Comme l’écrit on ne peut plus clairement Natalie Depraz en introduction d’un très bel ouvrage consacré à l’attention, « l’attention […] fait du monde dans lequel nous évoluons une réalité qui nous importe, qui compte pour nous, qui acquiert du sens à nos yeux  ».
Il est donc assez paradoxal que cette époque du zapping permanent soit si concernée par la recherche d’expériences sensorielles parfaites. Songez à la qualité des salles de cinéma, des écrans d’ordinateurs, des chaînes hi-fi de salon ou même des écouteurs ! À quoi sert une telle technologie quand les sons et les images viennent finalement s’échouer au seuil de cerveaux occupés à autre chose ? Si l’expérience sensorielle que vous attendez n’est pas au rendez-vous, attendez avant de rapprocher l’écran, d’augmenter le volume ou de sortir votre carte de crédit. Essayez d’abord d’ajuster un réglage intérieur, celui de l’attention. Les grands constructeurs continueront bien sûr à rivaliser d’ingéniosité pour enrichir encore à chaque Noël la qualité de l’expérience sensorielle du consommateur. Mais la prochaine frontière n’est pas technologique : le sel de l’expérience, le goût de la vie, c’est l’attention qui l’apporte.
Et cette richesse peut être échangée, partagée avec les autres. Les distractions sont maintenant si nombreuses que nous oublions de plus en plus souvent de réserver notre attention à nos proches. Lire ses SMS au lieu d’accorder toute notre attention à nos amis à table, c’est un peu comme leur servir un demi-verre de vin ou une demi-portion de frites. Même si vos poches sont vides, même si vous n’avez plus rien à donner, vous pouvez encore offrir aux autres votre attention… à condition d’en avoir la maîtrise. Est-ce la clef de l’altruisme ? Je vous laisse y réfléchir !

(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau funambule ; Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences » (2015), Éditions Odile Jacob, , p.261-262)

Péninsule de Jandía (Fuerteventura, Îles Canaries [Espagne])

dimanche 10 février 2019

Les mécanismes cérébraux de la dépendance

Matthieu RICARD : Être dépendant, c’est désirer malgré soi, ou continuer de désirer ce que l’on n’aime plus. Il y a quelques années, j’ai été très frappé par les découvertes d’un neuroscientifique, Kent Berridge, que j’ai rencontré à plusieurs reprises, notamment lors de l’une des conférences organisées par l’Institut Mind and Life. Nous avons passé cinq jours à discuter de la question du désir, du besoin et de l’addiction. Ses travaux montrent qu’il y a dans le cerveau des réseaux neuronaux différents pour ce que l’on aime et pour ce que l’on veut. Lorsque l’on aime ce qui procure du plaisir – une bonne douche chaude après une balade dans la neige ou des mets délicieux, par exemple –, ce ne sont pas les mêmes réseaux neuronaux qui sont activés que lorsque l’on veut cette chose. Or le plaisir que l’on éprouve à faire certaines expériences, souvent d’ordre sensoriel, est très volatile. Il peut très vite se transformer en indifférence, en dégoût voire en aversion. Un gâteau à la crème, c’est délicieux, cinq, ça donne la nausée.
Kent Berridge et d’autres chercheurs ont montré qu’à force de répéter des expériences plaisantes on renforce les réseaux cérébraux qui nous font désirer et vouloir ces expériences. Mais il arrive un moment où l’on n’éprouve plus de plaisir, que ce soit pour l’usage d’une drogue, un plaisir sensuel ou toute autre forme de sensation qui était à l’origine plaisante. Et pourtant, on continue à désirer cette expérience, encore et encore. Qui plus est, ce désir, cette soif, est beaucoup plus stable que les sensations plaisantes qui sont, par nature, éphémères. De ce fait, les plaisirs intenses sont plus rares que les désirs intenses. Lorsque le désir devient puissant et constant et que nous sommes hyper-sensibilisés à son objet, on peut parler de dépendance. En fin de compte, on se trouve dans la triste situation de ne pouvoir s’empêcher de désirer quelque chose qui ne nous procure quasiment plus aucun plaisir et qui peut même nous dégoûter.
Kent Berrigde décrit une situation extrême : il est possible d’induire un rat à désirer une chose qui non seulement ne lui a jamais procuré de plaisir mais qu’il avait jusqu’alors considérée comme repoussante. Si l’on active de manière répétitive les aires du cerveau liées au désir au moment où l’on donne au rat une eau aussi salée que celle de la mer Morte (qui est trois fois plus salée que les autres mers), on arrive rapidement à un point de conditionnement où, dès que l’on active l’aire du désir, le rat délaisse immédiatement le levier qui donne accès à une solution d’eau sucrée, pour aller activer celui qui donne de l’eau trop salée, alors qu’avant ce conditionnement il évitait systématiquement ce levier.
On voit à quel point la situation est vicieuse, car il ne suffit pas de dire à la personne en situation de dépendance « Vous n’avez qu’à considérer l’alcool, la drogue ou ’addiction au sexe comme quelque chose de répugnant », parce que, bien souvent, elle est déjà dégoûtée par l’objet de sa dépendance. Il ne suffit donc pas de considérer quelque chose comme indésirable pour ne plus le vouloir. Certains sujets affirment qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’aller vers l’objet de leur désir, tout en détestant leur addiction. Il me semble qu’il y a de grandes leçons à tirer de ces recherches.

(ANDRÉ Christophe – JOLIEN Alexandre – RICARD Matthieu, « À nous la liberté » (2019), Éditions L’iconoclaste / Allary 2019, p.52-54)

Jardin de cactus (Lanzarote, Îles Canaries [Espagne])

jeudi 31 janvier 2019

Pourquoi le plaisir s'étiole

Inutile d'être un grand savant pour expliquer pourquoi la capacité d'anticiper produit ce type de déformation. Il suffit d'être un biologiste évolutionniste ou tout simplement d'être prêt à prendre un peu de temps pour réfléchir aux conséquences de l'évolution sur notre comportement.
La logique fondamentale de l'évolution est simple. Nous avons été « conçus » par la sélection naturelle pour reproduire les actes qui ont permis à nos ancêtres de transmettre leurs gènes à la génération suivante : par exemple, manger, faire l'amour, obtenir l'estime des autres et l'emporter sur nos rivaux. J'ai écrit « conçus » entre guillemets parce que, là encore, la sélection naturelle n'est pas un créateur ni un concepteur conscient, intelligent, mais un processus inconscient. Elle crée pourtant des organismes qui donnent l'impression d'être le produit d'un concepteur conscient, qui les aurait bricolés jusqu'à ce qu'ils propagent effectivement ces gènes. Il est donc légitime, à titre d'hypothèse, de réfléchir à la sélection naturelle comme si c'était un « concepteur » et de se mettre à sa place en se demandant : si je concevais des organismes destinés à transmettre leurs gènes, comment ferais-je pour qu'ils se fixent des objectifs allant dans ce sens ?
Autrement dit, sachant que manger, faire l'amour, impressionner les siens et l'emporter sur ses rivaux a permis à nos ancêtres de transmettre leurs gènes, quel type de cerveau concevriez-vous pour qu'ils atteignent ces objectifs ? Ici, je mettrais en avant trois principes de conception qui font sens :
1. Atteindre ces objectifs doit procurer du plaisir puisque, les animaux, y compris les êtres humains, ont tendance rechercher des objets gratifiants.
2. Le plaisir ne doit pas durer éternellement. Si le plaisir ne disparaissait pas, nous n'en aurions plus besoin ; notre premier repas serait le dernier puisque la sensation de faim ne réapparaîtrait jamais. C'est aussi vrai pour le plaisir sexuel  il suffirait d'un rapport, suivi par une vie entière de bien-être. Ce n'est pas le meilleur moyen de transmettre des gènes à la génération suivante !
3. Le cerveau de l'animal doit-il plutôt se concentrer sur 1°) l'idée qu'atteindre ce but sera accompagné de plaisir ; ou 2°) que le plaisir se dissipera peu après ? Si vous avez en tête l’hypothèse 1°, vous serez immédiatement en quête de nourriture, de sexe ou de reconnaissance sociale, alors que si vous avez en tête l’hypothèse 2°, vous risquez d'être ambivalent. À quoi bon rechercher un plaisir avec opiniâtreté s'il s'évanouit aussitôt et crée un nouveau désir de plaisir ? Sans que vous le sachiez, vous serez en proie à l'ennui et vous regretterez de ne pas être philosophe.
Si vous prenez en compte ces trois principes de conception, vous n'aurez aucun mal à comprendre le malheur de l'homme tel que l'a diagnostiqué Bouddha. Oui, dit-il, le plaisir est éphémère, et, oui, il fait de nous des êtres toujours insatisfaits. Pourquoi ? Parce que le plaisir a été conçu par la sélection naturelle pour ne pas durer, afin que l'insatisfaction qui s'ensuit nous incite à rechercher plus de plaisir. La sélection naturelle ne « veut » pas que nous soyons heureux ; elle « veut » que nous soyons productifs, dans son sens à elle. Et le meilleur moyen de nous rendre productifs, c'est que l’anticipation du plaisir soit d'autant plus forte que le plaisir est de courte durée.

(WRIGHT Robert, « Le Bouddhisme a raison, et c’est scientifiquement prouvé » (2017), Éditions Flammarion, 2017, p.19-20)

Salines de Janubio (Lanzarote, Îles Canaries [Espagne])

dimanche 27 janvier 2019

La notion de "conscience du tréfonds" dans le Bouddhisme

La feuille
 Un jour, quand j'étais enfant, je mis mon nez au-dessus de la grande jarre en argile qui se trouvait devant la maison et que nous utilisions pour récupérer l'eau, et j'y vis une très belle feuille tout au fond. Elle avait tellement de couleurs. Je voulus la prendre pour jouer avec, mais mon bras était trop court pour atteindre le fond. J'utilisai alors un bâton pour essayer de la sortir. C'était si difficile que je perdis patience. J'avais remué l'eau vingt fois, trente fois, mais la feuille ne remontait toujours pas à la surface. J'abandonnai donc et jetai le bâton.
Quand je revins quelques minutes plus tard, je découvris avec surprise que la feuille flottait à la surface de l'eau et je la pris dans mes mains. Après mon départ, l'eau avait continué de tourbillonner, ramenant la feuille à la surface. C'est ainsi que fonctionne notre inconscient. Quand nous avons un problème à résoudre ou quand nous voulons avoir une vision plus profonde de la situation, nous devons confier la tâche de trouver une solution au niveau le plus profond de notre conscience. Lutter avec notre mental ne nous aidera pas.
Avant d'aller vous coucher, vous pouvez vous dire par exemple : « Demain, je veux me réveiller à quatre heures et demie. » Et le lendemain matin, vous vous réveillez naturellement à quatre heures et demie. Notre inconscient, que nous appelons dans le bouddhisme notre « conscience du tréfonds », sait écouter. Il collabore avec la partie de notre esprit appelée le « mental », que nous utilisons beaucoup dans la vie quotidienne. Quand nous méditons, nous n'utilisons pas seulement notre conscience mentale ; nous avons besoin d'utiliser également notre conscience du tréfonds. Quand nous semons la graine d'une question ou d'un problème dans notre conscience du tréfonds, nous devons avoir confiance, notre méditation quotidienne fera émerger une vision profonde. Respirer profondément, regarder en profondeur et nous autoriser à être, tout simplement, aide notre conscience du tréfonds à offrir la meilleure vision profonde.

(Thich Nhat Hanh, « La terre est ma demeure » (2016), Éditions Pocket 2018 n° 17166, p.22-23)

Montaña Colorada (Lanzarote, Îles Canaries [Espagne])


mardi 22 janvier 2019

Les simulations produites par le cerveau sont source de souffrances

Selon le bouddhisme, la souffrance est la conséquence du désir irrépressible exprimé à travers Trois Poisons : l'avidité, la haine et l'illusion. Ces termes forts couvrent un vaste éventail de pensées, de mots et d'actes, y compris les plus fugaces et les plus subtils. L'avidité est l'attrait pour la carotte et la haine, une aversion pour le bâton. Tous deux impliquent le désir de connaître plus de plaisir et moins de douleur. L'illusion est l'ignorance de la réalité des choses - par exemple ne pas voir qu'elles sont connectées et changeantes.

Réalité virtuelle
Parfois, ces poisons sont évidents. Toutefois, la plupart du temps, ils opèrent à l'arrière-plan de la conscience, déchargeant et se raccordant discrètement. Ils y parviennent en se servant de la capacité extraordinaire du cerveau à représenter aussi bien l'expérience intérieure que le monde extérieur. Par exemple, les angles morts de vos champs de vision gauche et droit ne ressemblent pas à des trous dans la réalité. C'est le cerveau qui les remplit, tout comme en photographie on retouche les yeux rouges des gens qui regardent vers le flash. En fait, une grande partie de ce que vous voyez « à l'extérieur » est en réalité fabriquée « à l'intérieur » par votre cerveau, comme des images de synthèse dans un film. Seule une petite fraction des données transmises au lobe occipital parvient directement du monde extérieur. Le reste provient des réserves de la mémoire interne et des modules de traitement perceptifs. Votre cerveau simule le monde – chacun de nous vit dans une réalité virtuelle suffisamment proche du réel pour que nous ne nous cognions pas aux meubles.
Dans ce simulateur – dont le substrat neuronal semble centré dans la partie supéro-médiane (supérieure-médiane) de votre cortex préfrontal –, des minifilms passent en permanence. Ces petits clips sont les éléments de base d'une grande partie de l'activité mentale consciente. Pour nos ancêtres, ces simulations d'événements passés augmentaient les chances de survie car elles facilitaient l'apprentissage de comportements efficaces en reproduisant leurs schémas de décharge neuronale. Simuler des événements futurs favorisait également la survie en permettant à nos ancêtres de comparer de possibles conséquences - afin de choisir la meilleure approche - et de mobiliser des séquences sensori-motrices potentielles. Au cours des trois millions d'années écoulées, le cerveau a triplé de taille. Une grande partie de cette croissance a permis d'améliorer les capacités du simulateur, ce qui laisse entrevoir son importance pour la survie.

Les simulations sont la source de souffrances
Aujourd'hui, le cerveau continue à produire des simulations, y compris lorsqu'elles n'ont rien à voir avec la survie. Dès que vous rêvassez ou que vous repensez à un problème relationnel, ces clips se mettent en marche - de petits paquets d'expériences simulées, qui ne durent en général pas plus de quelques secondes. En les observant de près, plusieurs points troublants vous apparaîtront :
  • De par sa nature même, le simulateur vous extrait du moment présent. Vous écoutez un exposé au bureau, vous faites une course ou vous méditez, et soudain votre esprit se retrouve à un millier de kilomètres de là, absorbé dans un minifilm. Pourtant, le bonheur, l'amour et la sagesse authentiques ne sont que dans l'instant présent.
  • Dans le simulateur, les plaisirs semblent généralement extraordinaires, que vous songiez à une seconde part de gâteau ou imaginiez l'accueil qui sera fait à votre rapport au travail. Mais que ressentez-vous réellement quand vous jouez le minifilm dans la réalité ? Les promesses de l'écran sont-elles tenues ? Le plus souvent, non. En vérité, la plupart des gratifications quotidiennes sont moins intenses que celles produites dans le simulateur.
  • Dans le simulateur, les clips débordent de convictions : Bien sûr qu'il dira ceci si je dis cela ... Ils m'ont laissé tomber, c'est évident. Parfois, elles sont verbalisées de manière explicite, mais le plus souvent elles restent implicites, intégrées dans le scénario. En réalité, les convictions explicites et implicites de vos simulations sont-elles vraies ? Parfois oui, mais souvent non. Les minifilms vous bloquent en proposant une vision simpliste du passé et en niant de vraies possibilités d'avenir, comme de nouvelles façons de communiquer avec les autres ou de grands rêves. Leurs convictions sont les barreaux d'une cage invisible qui vous retiennent prisonnier d'une vie plus étroite que celle que vous pourriez avoir en réalité – comme un animal de zoo qui reste recroquevillé dans son vieil enclos bien qu'il ait été libéré dans un grand parc.
  • Dans le simulateur, les événements contrariants du passé passent en boucle, renforçant les associations neuronales entre les faits et les sentiments douloureux qu'ils ont provoqués. Le simulateur vous met également en garde contre des situations à venir dangereuses. Mais, en réalité, la plupart de ses prédictions inquiétantes ne se réalisent jamais. Et, dans le cas contraire, la gêne que vous éprouvez est souvent moins forte et plus brève que prévu. Par exemple, imaginez que vous ayez envie de laisser parler votre cœur : un minifilm pourrait vous faire craindre d'être rejeté et de vous sentir mal. Alors qu'en réalité, lorsqu'on laisse parler son coeur, les choses ne se passent-elles pas correctement, et ne finit-on pas par se sentir bien ?
En résumé, le simulateur vous coupe du moment présent et vous pousse à poursuivre une carotte, qui est moins extraordinaire que vous ne le pensez, tout en vous dissimulant des récompenses plus importantes (comme la satisfaction et la paix intérieure). Ses minifilms débordent de croyances qui réduisent le réel. En plus de renforcer les émotions douloureuses, ils vous conduisent à esquiver des bâtons qui ne vous menacent pas réellement ou qui ne sont pas si dangereux que cela. Et le simulateur fonctionne jour après jour, heure après heure, y compris la nuit, dans vos rêves – et ne cesse de bâtir des structures neuronales qui, très souvent, ne font qu'augmenter votre souffrance.

(HANSON Rick et MENDIUS Richard, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013, Préface de Christophe André, p. 76-80)

Cueva de Los Verdes (Lanzarote, Îles Canaries [Espagne])