samedi 31 août 2013

Le bon niveau d'attention : juste assez, mais pas trop

Mais le processus d'autoévaluation de l'attention nous met fatalement en situation de double tâche, puisqu'il faut à la fois se concentrer sur son activité principale et surveiller que l'on est bien concentré. C'est une situation apparemment paradoxale, une fois de plus, puisque, être concentré, c'est en principe s'immerger totalement dans ce que l'on fait. Avec l'expérience pourtant, les méditants dits experts semblent y parvenir. Une étude publiée en 2009 par Antoine Lutz et l'équipe de Richard Davidson à Madison dans le prestigieux Journal of Neuroscience l'a montré. Après trois mois de méditation intensive, centrée sur l'attention à la respiration, la stabilité attentionnelle des sujets de l'étude, mesurée dans une tâche d'attention auditive classique, avait nettement augmenté .
Mais comment font-ils ? Personne ne sait exactement qui se passe dans le cerveau d'un maître zen, mais nous pouvons tout de même avancer plusieurs hypothèses. La première, c'est que ces pratiquants experts sont dans une situation de double tâche, avec leur attention à la fois portée sur l'activité en cours... et sur leur attention. Dans ce cas, leur attention ne serait pas uniquement concentrée sur l'activité du moment, mais est-ce grave ? La plupart de nos actions étant de simples automatismes s'enchaînant les uns après les autres, pourquoi ne pas les laisser se dérouler « toutes seules », en leur accordant simplement une attention légère mais soutenue, juste pour vérifier que tout se passe comme prévu ? Dans ce petit modèle, spéculatif je le répète, l'attention de l'expert serait par exemple en permanence à 80 % sur sa tâche principale, et à 20 % portée sur l'attention elle-même, dans une sorte d'attention à l'attention. En revanche, l'attention d'une personne non entraînée serait parfois crispée à 90 % sur la tâche, et parfois à 10 voire 0 %, sans jamais se surveiller elle-même. En d'autres termes, l'expert serait concentré tout en évitant le piège de l'hyperfocalisation : il garderait des ressources attentionnelles disponibles pour veiller à ce que l'attention qu'il porte à la tâche, même si elle ne constitue pas 100 % de ses capacités, soit au moins continue. On retrouve cette idée dans une autre étude du groupe de Madison, réalisée à nouveau chez des sujets sortant de trois mois de méditation intensive . L'activité cérébrale des sujets était enregistrée à l'aide de l'EEG pendant le protocole de clignement attentionnel, qui, vous vous en souvenez peut-être, révèle d'habitude l'incapacité du cortex préfrontal à traiter avec la même attention deux images présentées rapidement l'une après l'autre. L'étude de Madison montrait qu'étonnamment, les sujets avant suivi trois mois d’entraînement de l'attention parvenaient mieux à détecter la deuxième image que des sujets sans entraînement. L’analyse des mesures EEG en révéla la raison : la réponse du cerveau à la première image était moins forte chez les sujets entraînés, comme si leur cortex préfrontal s'impliquait moins dans son traitement. Pourtant, leur capacité à détecter cette première image était tout à fait normale. Il faut donc en conclure que ces sujets accordaient juste le bon niveau d'attention au premier stimulus, sans en faire trop, et sans compromettre leurs chances de détecter le second stimulus. Au contraire, les sujets non entraînés s’engageaient trop dans l'analyse de la première image, bien au-delà du strict nécessaire pour l'identifier. Comme emporté dans son élan, leur cortex préfrontal était ensuite incapable de traiter la seconde image. La conclusion de cette étude était que le type d'entraînement dont avaient bénéficié ces experts en méditation leur permettait de doser leur attention d'une façon optimale, ni trop crispée ni trop distante, le reste des ressources pouvant servir pour une forme d'autosurveillance de leur propre attention.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.307-309)

Ruches décorées (Slovénie)


mercredi 28 août 2013

Le maître perd un critique

Il y avait une fois un maître que sa communauté révérait comme un homme de Dieu. Pas un jour ne se passait sans qu’une foule de gens ne se tiennent à sa porte pour demander qui un conseil, qui une guérison, qui la bénédiction du saint homme. Et chaque fois qu’il ouvrait la bouche, les gens étaient suspendus à ses lèvres, buvant chacune de ses paroles.
Il y avait, tout de même, dans la foule, un bonhomme acariâtre qui ne ratait jamais une occasion de contredire le maître. Il observait les faiblesses du sage et se moquait de ses défauts, à la consternation des disciples, qui se mirent à le considérer comme une incarnation du démon.
Or, un jour, le « démon » tomba malade et mourut. Tout le monde lâcha un soupir de soulagement. Extérieurement, ils avaient une attitude solennelle de convenance, mais dans leurs cœurs ils se réjouissaient, car plus jamais les discours inspirants du maître ne seraient interrompus, ni son comportement critiqué par cet hérétique irrespectueux.
Mais la foule s’étonna de voir le maître plongé dans un chagrin véritable, au cours des funérailles. Lorsque, plus tard, un disciple lui demanda s’il avait pleuré sur le sort éternel du défunt, il dit : « Non, non. Pourquoi aurais-je pleuré sur notre ami qui est maintenant au Ciel ? C’est sur moi-même que je pleurais. Cet homme était le seul ami que j’avais. Ici, je suis entouré de gens qui me vénèrent. Lui était le seul qui me mit au défi. J’ai bien peur que, maintenant qu’il est parti, je vais cesser de croître. » Et disant cela, le maître fondit en larmes.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.60-61)



dimanche 25 août 2013

Les pouvoirs de transformation du cerveau

Quand l’esprit change, le cerveau change aussi. Pour reprendre le concept du psychologue Donald Hebb : quand des neurones s’activent ensemble, ils se raccordent ensemble. Autrement dit, l’activité mentale crée de nouvelles structures neuronales. Par conséquent, même les pensées et les sentiments fugaces peuvent laisser des traces durables dans le cerveau, comme une giboulée de printemps peut creuser de petits sillons sur le flanc d’une colline.
Par exemple, les chauffeurs de taxi de Londres – qui doivent mémoriser un véritable dédale de rues – ont un hippocampe plus volumineux que la moyenne car ils exercent davantage cette zone du cerveau essentielle pour la mémoire visuospatiale. De même, lorsqu’on est plus heureux, la région frontale gauche du cerveau est plus active.
Tout ce qui traverse l’esprit sculpte le cerveau. On peut donc utiliser son esprit pour améliorer son cerveau – au profit de tout son être et de tous ceux dont on touche la vie.
(HANSON Rick et MENDIUS Richard, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013, Préface de Christophe André, p.29-30)

Dune sculptée par le vent
Sosuvlei, Désert du Namib (Namibie)

mercredi 21 août 2013

De l'importance du silence...

Le mathématicien Roger Penrose se promenait avec des amis en bavardant allégrement. Ils ne se turent qu’un moment pour traverser la rue.
« Je me souviens que, tandis que je traversais, une idée incroyable m’est venue, dit Penrose. Pourtant, dès que nous eûmes traversé, nous avons repris notre discussion, et je n’ai pas réussi à retrouver l’idée que j’avais eue quelques secondes plus tôt. »
À la fin de l’après-midi, Penrose commença à se sentir euphorique, sans comprendre pourquoi. « J’avais la sensation qu’une chose importante m’avait été révélée », dit-il. Il décida de récapituler chaque minute de la journée et, lorsqu’il se rappela l’instant où il avait traversé la chaussée, l’idée lui revint en mémoire. Cette fois il décida de l’écrire.
Il s’agissait de la théorie des trous noirs, une véritable révolution dans la physique moderne. Et l’idée avait resurgi parce que Penrose avait pu se souvenir que l’on garde toujours le silence lorsqu’on traverse la rue.
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p.45  ; J'ai Lu n°9651, 2011, p.40)

... Voir Silence et méditation du 19 juillet 2013


Cairns, col de Vršič (Slovénie)

dimanche 18 août 2013

Apprendre à voir le changement comme une part intégrante de la vie

Le concept de stress suggère que, d’une façon ou d’une autre, nous faisons continuellement face à la nécessité de nous adapter à toutes les différentes pressions que nous rencontrons dans la vie. Fondamentalement, cela signifie s’adapter au changement. Si nous pouvons apprendre à voir le changement comme une part intégrante de la vie et non pas comme une menace pour notre bien-être, nous serons en bien meilleure position pour faire face efficacement au stress. La pratique méditative elle-même nous met face à l’expérience indéniable du changement continuel à l’intérieur de notre mental et de notre corps, pendant que nous observons nos pensées, nos sentiments, nos sensations, nos perceptions et nos impulsions en constant changement. Ceci seul devrait suffire à nous démontrer que nous vivons immergés dans une mer de changements, que ce que nous choisissons pour nous centrer, quoi que ce soit, change d’un moment à l’autre, s’en va et s’en vient.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p.423)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.

Jet d'eau et conifère, jardin à Madrid (Espagne)



jeudi 15 août 2013

Que faisons-nous de nos 86 400 secondes quotidiennes ?

Imagine que tu as gagné un concours dont le prix serait le suivant. Chaque matin une banque t’ouvrirait un compte créditeur de 86 400 euros. Mais, tout jeu ayant ses règles, celui-ci en aurait deux :
- La première règle est que tout ce que tu n’as pas dépensé dans la journée t’est enlevé le soir, tu ne peux pas tricher, tu ne peux pas virer cet argent un autre compte, tu ne peux que le dépenser, mais chaque matin au réveil, la banque te rouvre un nouveau compte, avec de nouveau 86400 euros pour la journée.
- Deuxième règle : la banque peut interrompre ce petit jeu sans préavis ; à n’importe quel moment elle peut te dire que c’est fini, qu’elle ferme le compte et qu’il n’y en aura pas d’autre. Qu’est ce que tu ferais ?
« Cette banque magique nous l’avons tous, c’est le temps ! La corne d’abondance des secondes qui s’égrènent ! »
Chaque matin, au réveil, nous sommes crédités de 86 400 secondes de vie pour la journée, et lorsque nous nous endormons le soir il n’y a pas de report à nouveau, ce qui n’a pas été vécu dans la journée est perdu, hier vient de passer. Chaque matin cette magie recommence, nous sommes recrédités de 86 400 secondes de vie, et nous jouons avec cette règle incontournable : la banque peut fermer notre compte à n’importe quel moment, sans aucun préavis : à tout moment, la vie peut s’arrêter. Alors qu’en faisons-nous de nos 86 400 secondes quotidiennes ? « Cela n’est-il pas plus important que des euros, des secondes de vie ? »
(Marc Lévy, « Et si c’était vrai ? » (2000), Pocket n°11 063, 2008, p.227-228)

Tassili N'Ajjer, près de Djanet (Algérie)


lundi 12 août 2013

Vingt-quatre heures toutes neuves

Chaque matin, quand nous nous réveillons, nous avons vingt-quatre heures toutes neuves à vivre. Quel cadeau précieux ! Nous pouvons vivre de façon à ce que ces vingt-quatre heures nous apportent la paix, la joie et le bonheur, à nous-mêmes et aux autres.
La paix est présente ici et maintenant, en nous-mêmes et dans tout ce que nous faisons et voyons. La question est de savoir si nous sommes en contact avec elle. Pas la peine de voyager très loin pour profiter du ciel bleu. Inutile de quitter la ville, ni même notre quartier, pour admirer les yeux d'un enfant. Même l'air que l'on respire peut être source de joie.
Nous pouvons sourire, respirer, marcher et manger nos repas d'une façon qui nous permette d'être en contact avec tout ce bonheur disponible.
(Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant », préface du XIVème Dalaï-lama, J’ai Lu n°8863, 2009, p.19)

Monts Hombori (Mali)



vendredi 9 août 2013

Être pleinement présent aux autres

… Il arrive parfois que notre critique des autres s’exprime de façon plus subtile. Il n’y a pas longtemps, un de mes élèves m’a raconté l’histoire d’une femme qu’il connaissait, et qui avait été très affectée par la mort d’un proche. Elle avait reçu les condoléances téléphoniques d’un ami qui venait de perdre son frère, si bien que, en parlant avec lui, elle avait laissé libre cours à son chagrin. Pendant qu’ils parlaient, elle entendit un cliquetis de touches en bruit de fond et comprit que son correspondant était en train de relever son courrier électronique et d’y répondre. Elle eut l’impression, pour le dire comme elle, de « prendre un coup de poing dans le ventre ». Son ami ne l’écoutait pas vraiment. Ses intérêts personnels primaient sur sa capacité à être pleinement présent à la douleur de cette femme, et il n’était même pas conscient de l’effet dévastateur que ce manque de sensibilité avait sur son amie comme sur lui-même : il l’avait non seulement privée de la compassion dont elle avait si grand besoin, mais il s’était aussi isolé lui-même.
(Yongey Mingyour Rinpotché, « Bonheur de la sagesse », préfacé par Matthieu Ricard, Le livre de poche n°32 372, 2011, p. 269-270)


Une splendeur de la nature :
Source de la rivière Soča (Slovénie)


mardi 6 août 2013

Permettre à la conscience de reprendre le gouvernail (II)

Entraînement de l’esprit
Durant mes études de médecine, puis de psychiatrie, je n’avais jamais entendu parler de la possibilité d’agir « de manière délibérée sur ses capacités mentales. Cela concernait éventuellement la neurologie, où j’avais vu à l’œuvre des rééducations de personnes devenues aphasiques (ayant perdu leurs capacités de langage) après l’un accident vasculaire cérébral. Mais rien pour la psychiatrie ou la psychologie. Je n’avais jamais lu non plus d’articles ni d’ouvrages à ce propos. Bref, tout se passait comme si le cerveau était une boîte noire aussi hermétique que celle des avions. Bien sûr, on nous avait appris à soigner les esprits malades, mais il s’agissait plutôt de chimie : les médicaments, ou de psychanalyse : une sorte de voyage initiatique dans lequel il fallait s’embarquer pour des années sans même savoir où l’on aboutirait ; cela pouvait avoir du charme et de l’intérêt, mais ne ressemblait en rien à un entraînement régulier et délibéré.
Un des premiers qui me parla ouvertement et de façon convaincante de l’entraînement de l’esprit fut Matthieu Ricard, moine bouddhiste et ambassadeur de la cause tibétaine : il m’expliqua qu’il pouvait exister un mind-training comme il existe un body-building. Mais le premier est malheureusement moins connu et moins pratiqué que le second. On peut se demander pourquoi. Car, dans bien des domaines de notre vie, et pas seulement pour gonfler nos muscles, nous développons beaucoup d’énergie : apprendre un métier, un sport, un art ; mais aussi faire les soldes ou le ménage. En revanche, cette même énergie, cette même persévérance nous manque lorsqu’il s’agit de développer en nous des aptitudes que pourtant nous aimerions avoir : sagesse, altruisme, sérénité.
( Préface de Christophe ANDRÉ p. 12-15 pour le livre de Rick HANSON et Richard MENDIUS, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013)

 
Osteospermum

samedi 3 août 2013

Permettre à la conscience de reprendre le gouvernail (I)

Régner sans gouverner
Paul Valéry écrivait, dans ses « Mauvaises Pensées » : « La conscience règne et ne gouverne pas. » Nous sommes tous pareils, grands et petits : nous aimerions que notre cerveau nous obéisse, comme ça, sans efforts autres que lui donner des ordres, comme nous en donnons à notre petit doigt. Nous nous étonnons naïvement ment, que notre ego ne contrôle pas totalement notre cerveau. Et puis nous laissons tomber, et nous passons à autre chose …
Pourquoi renoncer si vite ? Sans doute à cause d’un curieux mélange de naïveté, de fatalisme et d’ignorance …
Naïveté : nous pensons trop souvent que notre cerveau est à nos ordres, qu’il est « nous ». Il est vrai que, lorsque nous lui disons « marche », il fait marcher nos jambes ; lorsque nous lui disons « regarde », « lis », « chante », « prends ta douche », l’efficacité est foudroyante et tout s’accomplit. Par contre, cela se passe moins bien lorsque nous lui disons « dors », « calme-toi », « cesse de t’inquiéter », « prends la vie du bon côté » ; cela se passe moins bien lorsque nous essayons de le pousser à d’autres choses encore, un peu plus compliquées (« fais preuve de sagesse ») ou même un peu plus simples (« sors-toi cette mélodie stupide de la tête »).
Fatalisme : constatant cela, nous risquons de nous dire que, « puisque je n’y arrive pas, c’est que ce sont des domaines que l’on ne peut pas contrôler … » Croyance erronée, bien sûr, certitude simpliste et mensongère, adoptée par dépit et par paresse. Si, on peut les contrôler ! On peut faciliter son endormissement, et son bonheur, et bien d’autres choses encore. Mais seulement de manière progressive, et partielle, et à condition de le travailler régulièrement. Mais comment ?
Ignorance, car, une fois cette prise de conscience faite, nous butons alors en général sur un troisième obstacle : « Comment m’y prendre ? » Si nous renonçons si souvent, c’est que nous ne savons pas comment faire, ni par quel bout aborder le problème. Nous manquons de méthodes, de repères, de modèles. Mais il faut avouer que nous avons des excuses…
(Préface de Christophe ANDRÉ p. 12-15 pour le livre de Rick HANSON et Richard MENDIUS, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013)


Lac de Bohinj (Slovénie)