samedi 31 mai 2014

La Nature : les liens avec la santé et le bonheur

Nature
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Le contact avec la nature nous rend heureux et nous fait un bien fou, à tel point qu'en médecine on commence à parler de « vitamine V » : V comme Vert. La nature représente pour l'espèce humaine une source vitale de santé mentale et corporelle, et pas seulement parce qu'elle nous fournit de la nourriture et des plantes médicinales. Sa simple présence est pour nous « thérapeutique ».
Les premiers travaux modernes dans ce domaine furent l'œuvre de l'architecte et chercheur Roger Ulrich, dont le premier grand article, publié en 1984 dans la prestigieuse revue Science, ouvrit la voie à de nombreuses recherches ultérieures : il y montrait comment le fait de bénéficier de chambres avec vue sur un parc entraînait une convalescence plus rapide chez les patients hospitalisés en chirurgie. Depuis, ce type de données a été très largement reproduit et confirmé : être en contact avec la nature entraîne des bénéfices cliniques (bien-être accru, diminution des symptômes liés au stress) et biologiques (baisse du cortisol sanguin, lié au stress, de la pression artérielle, du rythme cardiaque). Dans les villes, les habitants des quartiers proches des espaces verts (parcs et squares) bénéficient d'une meilleure santé que les autres. Les effets de la verdure sont perceptibles même lorsque la nature n'est incarnée que par des images ou des plantes vertes, mais ils sont plus amples encore en cas d'immersions répétées dans la « vraie » nature : de nombreuses études ont prouvé les conséquences favorables de ce que les Japonais nomment le « shinrin-yoku », qu'on peut traduire par bain de forêt (comme il existe des bains de soleil). Les balades en forêt entraînent ainsi des bénéfices biologiques et psychologiques multiples, comme une amélioration des réponses immunitaires dont l'effet persiste environ un mois après deux jours de balade. Un bon Week-end de marche en forêt pour se protéger quatre semaines durant des rhumes et autres refroidissements : intéressant, non ? Et ces effets ne sont pas seulement dus à la marche (qui elle aussi est bonne pour la santé, on le sait) : un temps de balade équivalent en milieu urbain n'a pas les mêmes effets qu'une marche en forêt. Il existe donc un bénéfice spécifique lié à la nature et la verdure, à propos duquel on ne peut que faire des hypothèses : est-ce tout simplement dû à un environnement calme et harmonieux et à l'absence d'agressions visuelles, olfactives ou sonores ? Différents travaux montrent enfin que le contact avec la nature facilite la récupération mentale après des tâches complexes et améliore les performances subséquentes, qu'il renforce la vigilance, l'attention, la mémoire, etc.
L'immersion dans la nature satisfait très certainement des besoins archaïques légués par l'évolution de notre espèce (les environnements verts sont depuis toujours des sources d'eau et de nourriture). Une preuve indirecte réside dans le fait que notre cerveau est sensible, sans que nous en soyons conscients, à la biodiversité : le mieux-être que nous ressentons dans la nature est proportionnel à la multiplicité des espèces de plantes et de chants d'oiseaux ! Là encore, c'est logique : nous avons gardé une mémoire ancestrale et inconsciente de ce qui est bon pour nous en termes de ressources, qu'il s'agisse de leur abondance mais aussi de leur variété. Bref, le « sequi naturam » (« suis la nature ») d'Aristote représente une véritable cure de bien-être, mesurable en laboratoire et in vivo !
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(ANDRÉ Christophe, « Et n’oublie pas d’être heureux », Éd. Odile Jacob, 2014, p.225-226 [extrait])


Parc de Biogradska Gora (Monténégro)
Ce parc protège l'une des dernières forêts primaires d'Europe

jeudi 29 mai 2014

Une conscience de tous les instants

Aucun apprenti du zen ne s'autoriserait à enseigner aux autres sans avoir d'abord vécu au moins dix ans en compagnie de son maître.
Tenno, après dix ans de vie en compagnie de son maître, se fit professeur. Il vint un jour rendre visite au maître Nan-in. Il pleuvait ; aussi, Tenno allait-il avec sabots de bois et parapluie.
Lorsque Tenno fit son entrée, Nan-in lui dit :
« Vous avez laissé vos sabots de bois et votre parapluie dans le portique, n'est-ce pas ? Dites-moi : avez-vous mis votre parapluie à droite de vos sabots ou à gauche ? »
Tenno ne sut que répondre et fut rempli de confusion. Il se rendit compte qu'il n'avait pas été capable de conserver une conscience de tous les instants. Alors, il se fit disciple de Nan-in et étudia dix autres années, afin d'obtenir une conscience de tous les instants.
Celui qui est conscient à chaque instant ; celui qui est totalement présent à chaque instant : voilà le maître !
(Anthony de Mello, s.j., « Comme un chant d’oiseau » [1982], Éd. Desclée de Brouwer/Bellarmin 1984, p.31)

Barque, Lac Skadar (Monténégro)

mardi 27 mai 2014

Possédez des objets, mais n'en soyez pas possédés.

« L'esclavage intérieur ne vient pas seulement de nos pulsions et de nos émotions, mais aussi de l'attachement que nous portons aux objets qui nous entourent. La dépendance à l'égard des choses matérielles est un des esclavages le plus répandus de nos jours. Non seulement nous voulons toujours plus et toujours mieux, mais nous n'arrivons plus à nous passer de ces choses qui n'existaient pas la veille. La plupart des humains ont pu vivre heureux pendant des millénaires sans voiture et sans téléphone portable, sans électricité et sans Internet, sans tout à l'égout et sans télévision. Mais imaginons aujourd'hui quelqu'un qui partirait vivre dans un lieu sans rien de tout cela. On le prendrait pour un fou et nul n'aurait envie de le suivre, car nous nous sommes tant habitués à ce confort et à ces objets qu'ils nous semblent indispensables à notre équilibre, voire à notre survie. Il nous serait fort utile au contraire d'apprendre à nous en détacher. À en user librement, sans addiction, en sachant parfois nous en séparer volontairement.
Possédez des objets, mais n'en soyez pas possédés. Usez des biens matériels sans en être esclaves. Voilà un pas important vers la vraie liberté. »
(LENOIR Frédéric, « L’Âme du monde », NiL, 2012, p.97-98)


Col de Sedlo - Sedlo pass, Parc National du Durmitor  (Monténégro)

samedi 24 mai 2014

Attention ascendante et descendante

L'essentiel du câblage neuronal de ce système loge dans les régions inférieures du cerveau, parmi les circuits sous-corticaux, mais ses efforts jaillissent dans la conscience en présentant ses informations au néocortex, les couches supérieures du cerveau, depuis la base. À force de réflexion, Poincaré et Gauss ont puisé leur trouvaille dans les couches cérébrales inférieures.
« Approche ascendante » est l'expression consacrée des sciences cognitives pour désigner ce comportement de la mécanique neuronale du cerveau inférieure. De même, « approche descendante » désigne l'activité mentale, essentiellement située dans le néocortex, capable de surveiller et d'imposer ses objectifs à la mécanique sous-corticale. Tout se passe comme s'il y avait deux esprits au travail.
L'esprit ascendant est :
  • plus rapide en temps cérébral, il opère en millièmes de seconde ;
  • involontaire et automatique : toujours actif ;
  • intuitif, il fonctionne par réseaux d'associations ;
  • impulsif, conduit par les émotions ;
  • l'exécuteur de nos gestes routiniers et le guide de nos actes ;
  • le gestionnaire de nos représentations mentales du monde.
En comparaison, l'esprit descendant est :
  • plus lent ;
  • volontaire ;
  • soumis à l'effort ;
  • le siège de la maîtrise de soi, qui peut (parfois) s'imposer à des routines automatiques et faire taire des pulsions dues à l'émotion ;
  • capable d'apprendre de nouveaux modèles, de faire de nouveaux plans et de prendre en charge notre répertoire automatique — jusqu'à un certain point.
L'attention volontaire, la force de volonté et le choix délibéré sont des processus descendants ; l'attention instinctive, la pulsion et l'habitude par répétition sont des processus ascendants (de même que l'attention captivée par une tenue vestimentaire voyante ou une publicité ingénieuse). Quand on choisit de se laisser imprégner par la beauté d'un coucher de soleil, de se concentrer sur sa lecture ou d'avoir une conversation profonde avec quelqu'un, ça se passe de haut en bas. Notre conscience se livre à une danse perpétuelle entre l'attention captive induite par les stimuli et la focalisation volontairement orientée.
Le système ascendant fait plusieurs choses à la fois, il scanne en parallèle une foule de messages entrants, et même certains éléments de l'environnement qu'on n'a pas encore pleinement appréhendés ; il analyse tout ce que contient notre champ de perception avant de nous informer de ce qu'il a sélectionné comme étant pertinent pour nous. Notre esprit descendant passe plus de temps à délibérer au sujet de ce qui lui est soumis, élément par élément, et en y appliquant davantage d'analyse réfléchie.
Par une espèce d'illusion d'optique de l'esprit, on croit que notre conscience contient l'ensemble de nos opérations mentales. Mais celles-ci, dans l'immense majorité, surviennent dans les coulisses de l'esprit, dans le ronronnement des systèmes ascendants.
Une part importante (certains disent que c'est la totalité) de ce que l'esprit descendant croit librement choisir de prendre en considération d'analyser ou de faire a été en vérité dicté depuis le bas. S'il s'agissait d'un film, dit avec humour le psychologue Daniel Kahneman, l'esprit descendant serait « un second rôle qui se prend pour le personnage principal ».
(GOLEMAN Daniel, « Focus, Attention et concentration : les clefs de la réussite » (2013), Éditions Robert Laffont, p.34-35)


Mer de dunes, Moudjéria (Mauritanie)

mercredi 21 mai 2014

Apaiser, équilibrer et remplacer les expériences négatives

Se guérir de la douleur
On peut également se servir des expériences positives pour apaiser, équilibrer et même remplacer les expériences négatives. Lorsque deux éléments sont appréhendés en même temps par l'esprit, ils se connectent entre eux. C'est une des raisons pour lesquelles il peut être curatif d'évoquer des moments difficiles avec une personne qui vous soutient : les sentiments et les souvenirs douloureux s'imprègnent du bien-être, des encouragements et de l'intimité partagés.
Recourir aux mécanismes de la mémoire
Ces entrelacements mentaux dépendent de mécanismes neuronaux de la mémoire. Lorsqu'un souvenir – implicite ou explicite – est fabriqué, seules ses caractéristiques essentielles sont stockées. Autrement, votre cerveau déborderait tellement d'informations qu'il ne disposerait plus de place suffisante pour intégrer de nouvelles données. Par exemple, rappelez-vous une expérience, même récente, et notez combien le souvenir que vous en avez est schématique : les traits principaux sont présents, mais il manque de nombreux détails.
Lorsque votre cerveau retrouve un souvenir, il ne procède pas comme les ordinateurs, qui rappellent un dossier complet sur le disque dur (des documents, une photo ou encore une chanson). Votre cerveau reconstruit des souvenirs implicites et explicites à partir de leurs éléments clés et fait appel à ses capacités de simulation pour combler les détails manquants. Bien que ce procédé exige plus de travail, il permet également une gestion plus efficace de l'espace neuronal – puisqu'il est inutile de stocker des dossiers complets. De plus, votre cerveau est tellement rapide que la reconstruction de chaque souvenir passe inaperçue.
Ce processus vous donne la possibilité, au sein même des microcircuits du cerveau, de modifier petit à petit les teintes émotionnelles de votre paysage intérieur. Lorsqu'un souvenir est activé, un vaste assemblage neuronal et synaptique fait émerger un schéma. Si vous avez d'autres pensées à l'esprit au même moment – en particulier si elles sont profondément agréables ou désagréables –, l'amygdale et l'hippocampe les associeront automatiquement à ce schéma neuronal. Puis, lorsque le souvenir quittera la conscience, il sera amalgamé à ces autres associations dans la mémoire.
Plus tard, lorsque le souvenir sera réactivé, ces associations tendront à l'accompagner. Ainsi, si vous invoquez de manière répétitive des pensées et des sentiments négatifs alors qu'un souvenir est actif, ce dernier sera de plus en plus teinté négativement. Par exemple, si vous vous rappelez un échec ancien tout en vous fustigeant, cette expérience vous paraîtra de plus en plus atroce. En revanche, si vous songez à des émotions et à des perspectives positives alors que des souvenirs implicites ou explicites sont actifs, ces influences bénéfiques se mêleront lentement à la trame de ces souvenirs.
Chaque fois que vous agissez ainsi – chaque fois que vous imprégnez des états mentaux douloureux et contraignants d'opinions et de sentiments positifs –, vous bâtissez une petite portion de structure neuronale. Avec le temps, l'impact cumulé de cette matière positive changera littéralement votre cerveau, synapse après synapse.
(HANSON Rick et MENDIUS Richard, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013, Préface de Christophe André, p.111-112)


Magnolia en fleur

dimanche 18 mai 2014

Pleine conscience et réduction du stress

... Lorsqu'ils apprennent à prêter attention de cette manière — délibérément, dans l'instant présent et sans jugement —, les participants des ateliers de pleine conscience expérimentent peu à peu un changement de perspective. Ils apprennent à ne plus s'identifier au contenu de leur conscience — leurs pensées, leurs émotions et leurs sensations corporelles — et à voir leur expérience moment après moment avec plus de clarté et d'objectivité.
Cette aptitude à changer de perspective a été décrite comme une forme de reperception. Au lieu d'être submergés par le drame de leurs récits personnels et des histoires de leur vie, les participants des programmes de MBSR [Mindfulness Based Stress Reduction] apprennent à prendre un peu de recul et à être témoins de ce qui leur arrive. Ils comprennent que les phénomènes qui apparaissent au cours de pratiques telles que la méditation sont distincts de l'esprit qui les contemple. Cette faculté de « reperception » entraîne une rotation subtile dans la conscience, où ce qui était précédemment « sujet » devient « objet ».

La reperception est différente du détachement. Il ne s'agit pas de prendre du recul par rapport à notre expérience au point de devenir apathique ou engourdi.
L'expérience de la reperception en pleine conscience engendre plutôt une connaissance profonde : une plus grande intimité avec tout ce qui se présente à nous moment après moment. La pleine conscience permet de prendre une certaine distance avec notre expérience au sens où celle-ci devient plus claire. Mais ce phénomène ne se traduit pas par une déconnexion ou une dissociation. Il nous permet d’éprouver le flux changeant de nos expériences mentales et physiques sans nous identifier ni nous accrocher à elles. Au bout du compte, il génère une vision profonde, pénétrante, non conceptuelle, de la nature de l'esprit et du monde. Au lieu de mener à un froid détachement, il nous permet de nous connecter de manière plus intime à notre expérience moment après moment, en la laissant s'élever, retomber et changer de manière naturelle. Nous faisons alors l'expérience de ce qui est et non d'un commentaire ou d'une histoire sur ce qui est. Loin d'éprouver de l'apathie ou de l'indifférence, nous accédons à une richesse, à une texture et à une profondeur accrues – moment après moment.
(CHASKALSON Michael, « Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité » (2011), Préface de Christophe ANDRÉ (2013), CD audio d’exercices conçus et lus par Christophe ANDRÉ (2013), Éditions des Arènes 2013, p. 48-51)

Tessaout, Atlas (Maroc)

vendredi 16 mai 2014

Les choses sont tout aussi grandes ou tout aussi petites que votre esprit choisit de les faire

Des dents d’alligator pour des perles
Une touriste, venue de l’Occident, était en train d’admirer le collier d’un aborigène. « De quoi est-il fait ? demanda-t-elle.
– De dents d’alligator, madame, dit l’aborigène.
– Oh ! je vois. Je suppose qu’elles ont pour vous la même valeur que pour nous les perles ?
– Pas tout à fait : tout le monde peut ouvrir une huître. »

…Un diamant n’est qu’une pierre, jusqu’à ce que l’esprit humain lui accorde une valeur. Les choses sont tout aussi grandes ou tout aussi petites que votre esprit choisit de les faire.
 
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.218-219)


Crocodile (Pays Kassena, Burkina-Faso)

mardi 13 mai 2014

Cultivez les émotions positives : elles sont contagieuses !

La nature contagieuse des émotions est reconnue depuis un certain temps déjà. Elle repose sur des recherches qui ont pu révéler que le simple fait de voir les autres exprimer certaines émotions nous amène à les ressentir à notre tour. En investiguant les mécanismes du cerveau responsables de ce phénomène, certains neuroscientifiques en sont venus à considérer qu'ici, des « neurones miroirs » pourraient entrer en action. Un neurone miroir est une cellule cérébrale qui s'active quand on exécute l'action ou quand on observe la même action exécutée par l'un de nos semblables. On pense que ces neurones nous aident à nous mettre à l'écoute des autres et en résonance avec leurs états émotionnels, et qu'ils joueraient un rôle dans l'empathie.
Dans une étude stupéfiante publiée par le British Medical Journal (en janvier 2009), des chercheurs de l'université de Californie-San Diego et de Harvard ont découvert que la nature contagieuse du bonheur, en se propageant dans les réseaux sociaux [non virtuels] à la façon d'un virus, se révèle en réalité beaucoup plus profonde, étendue et durable que nous ne l'aurions imaginé. Ils se sont aperçus que l'individu qui fréquente des gens heureux au sein de son réseau social augmente radicalement ses chances de l'être lui-même.
Si vous êtes heureux, vous accroissez de 34 % les chances que votre voisin de palier le soit aussi et de 24 % celles de tel ou tel de vos amis — pour peu qu'il vive à moins de mille cinq cents mètres de chez vous ! Et le degré de contagion dépend du type de relation et de la distance géographique qui vous sépare. En moyenne, les auteurs soulignent que toute personne heureuse, au sein d'un réseau social, augmente de 9 % vos chances d'être heureux. Cela fonctionne dans les deux sens : avoir une famille ou des amis heureux dans son réseau personnel accroît les chances d'être heureux soi-même. Chose remarquable, ces universitaires ont aussi compris que le bonheur se propage dans le réseau social de la personne « jusqu'à trois degrés de séparation ». Votre bonheur affectera non seulement votre ami, mais aussi un ami de votre ami, voire un ami de votre ami de votre ami — que vous ne rencontrerez peut-être jamais, et dont vous n'entendrez peut-être jamais parler. Outre la portée étendue de cet effet transmissible, sa durabilité est plus marquée qu'on ne l'avait cru de prime abord. En fait, les chercheurs estiment que les effets de ce bonheur que l'on « attrape » grâce aux autres peuvent durer jusqu'à un an ! À mesure que le bonheur et les émotions positives se propagent dans les réseaux sociaux, les collectivités et les sociétés, leurs avantages collectifs se répandent et s'enracinent dans une société en même temps que leurs bienfaits personnels.
Le rôle du bonheur et des émotions positives dans la valorisation du changement social et l'édification d'un monde meilleur va au-delà des questions débattues ici. Par exemple, Ronald Inglehart, professeur au Centre d'études politiques de l'université du Michigan, a effectué des études soulignant que l'accroissement du bonheur au sein d'une population entraînera un renforcement des libertés et de la démocratie dans ce pays. Il semblerait en effet que les bienfaits du bonheur et des émotions positives soient sans pareils. Au lieu de percevoir la poursuite d'un plus grand bonheur personnel comme le luxe égoïste de ceux qui ne se refusent rien, on pourrait avancer que si vous êtes vraiment soucieux du bien-être des autres et de la construction d'un monde meilleur, il est de votre devoir d'être heureux, ou de faire ce que vous pouvez pour l'être plus encore.
(DALAÏ-LAMA et CUTLER Howard, « L’art du bonheur dans un monde incertain » (2009), Éditions Robert Laffont, 2011, p. 408-410)


La Gomera (Îles Canaries, Espagne)

dimanche 4 mai 2014

Physique quantique et vacuité bouddhiste (II)

L'une des plus importantes idées philosophiques du bouddhisme est issue de ce qui est connu comme la théorie de la vacuité. Au cœur de cette notion réside la reconnaissance profonde qu'il existe une disparité fondamentale entre notre manière de percevoir le monde, y compris notre propre existence en son sein, et la manière dont les choses sont véritablement. Dans notre expérience quotidienne, nous avons tendance à nous relier au monde et à nous-mêmes comme si ces entités possédaient une réalité close, définissable, distincte et durable. Par exemple, si nous examinons notre propre conception du soi, nous découvrons que nous avons tendance à croire que notre être possède un noyau essentiel qui donne à notre individualité et à notre identité le caractère d'un ego distinct, indépendant des éléments physiques et mentaux qui constituent notre existence. La philosophie de la vacuité révèle que c'est non seulement une erreur fondamentale, mais également la base de l'attachement, du besoin d'appropriation et du développement de nos nombreux préjugés.
Selon la théorie de la vacuité, toute croyance en une réalité objective fondée sur l'hypothèse d'une existence intrinsèque, indépendante, est fausse. Toutes les choses et tous les événements, qu'ils soient des concepts matériels, mentaux ou même abstraits, tel le temps, sont dénués d'existence objective, indépendante. Posséder ainsi une existence indépendante, intrinsèque impliquerait que les choses et les événements sont en quelque sorte « complets » et par conséquent entièrement indépendants. Cela signifierait qu'ils ne peuvent pas interagir et que rien n'a d'influence sur eux. Or nous savons qu'il y a cause et effet – tournez une clé dans un démarreur, les bougies s'allument, le moteur tourne et l'essence et l'huile brûlent. Dans un univers de choses indépendantes existant en soi, ces événements n'arriveraient jamais. Je ne pourrais pas écrire sur du papier et vous ne pourriez pas lire les mots sur la page. Donc nous interagissons et nous modifions mutuellement il nous faut supposer que nous ne sommes pas indépendants — quelle que soit notre impression ou notre intuition du contraire.
Effectivement, la notion d'existence intrinsèque, indépendante est incompatible avec la causalité. La causalité implique la contingence et la dépendance. Quoi que ce soit possédant une existence indépendante serait immuable et clos. Tout est composé d' événements interdépendants, de phénomènes en interaction continuelle sans essence fixe ou immuable, entretenant des relations dynamiques constamment changeantes. Les choses et événements sont « vides » en ce qu'ils ne possèdent pas d'essence immuable, de réalité intrinsèque ou d’« être » absolu conférant l'indépendance. Les textes bouddhiques nomment cette vérité fondamentale sur « la manière dont les choses sont réellement » « vacuité », ou shunyata en sanscrit.
(Dalaï-lama, « Tout l’univers dans un atome, Science et bouddhisme, une invitation au dialogue », Robert Laffont, 2006, p.56-58 ; Pocket n°13 348, 2009, p.50-52)


Arc-en-ciel, Vosges (France)

vendredi 2 mai 2014

Physique quantique et vacuité bouddhiste (I)

... Au cours de notre siècle, se sont produites des transformations profondes dans les fondements de la physique de l'atome qui nous éloignent de la conception réaliste de la philosophie atomiste antique. On espérait que ces particules élémentaires représenteraient la réalité objective : c'était une simplification trop grossière des faits réels et elle devait céder la place à des conceptions beaucoup plus abstraites. Car, si nous voulons nous faire une image de la nature de ces particules élémentaires, nous ne pouvons plus faire abstraction du principe de l’existence de processus physiques qui nous en informent. Lorsque nous observons des objets de notre vie quotidienne, le processus physique qui rend possible cette observation ne joue qu'un rôle secondaire. Mais chaque processus d'observation provoque des perturbations considérables dans les particules élémentaires de la matière. On ne peut plus du tout parler du comportement de la particule sans tenir compte du processus d'observation. En conséquence, les lois naturelles que, dans la théorie des quanta, nous formulons mathématiquement, ne concernent plus les particules élémentaires proprement dites, mais la connaissance que nous en avons. La question de savoir si ces particules existent « en elles-mêmes » dans l'espace et dans le temps ne peut donc plus être posée sous cette forme ; en effet, nous ne pouvons parler que des évènements qui se déroulent lorsque, par l'action réciproque de la particule et de n'importe quel autre système physique, par exemple des instruments de mesure, on tente de connaître le comportement de la particule. La conception de la réalité objective des particules élémentaires s'est donc étrangement dissoute, non pas dans le brouillard d'une nouvelle conception de la réalité obscure ou mal comprise, mais dans la clarté transparente d'une mathématique qui ne représente plus le comportement de la particule élémentaire mais la connaissance que nous en possédons. Les tenants de l'atomisme ont dû se rendre à cette évidence que leur science n'est qu'un maillon de la chaîne infinie des dialogues entre l'homme et la nature et qu'elle ne peut plus parler simplement d'une nature « en soi ». Les sciences de la nature présupposent toujours l'homme, et, comme l'a dit Niels Bohr, nous devons nous rendre compte que nous ne sommes pas spectateurs mais acteurs dans le théâtre de la vie.
(HEISENBERG Werner [un des fondateurs de la mécanique quantique], « La nature dans la physique contemporaine » (1953), Gallimard 1962, p.17-19)


Reflets, Jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)