lundi 30 janvier 2017

Se changer, changer le monde

Comment l’idée des chaussures est née

Un grand roi se plaignait que la dureté du sol lui blessait les pieds :
il ordonna donc qu’on recouvrît le pays tout entier d’un tapis en cuir de vache.
Le fou du palais se mit à rire, quand le roi lui fit savoir son ordre.
.« Quelle idée absolument incongrue, Majesté, s’écria-t-il.
Pourquoi toute cette dépense inutile ?
Découpez seulement deux petites pièces de cuir pour protéger vos pieds ! »
Ce que fit le roi.
Et c’est ainsi qu’est née l’idée des chaussures.

…Pour faire du monde un endroit sans douleur, il faut changer son cœur – pas le monde.

(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.194-195)

Dans les souks de Tripoli (Libye)
 

vendredi 27 janvier 2017

La méditation sur la respiration

La respiration, l'ancre de votre attention
 Il existe de nombreuses formes de méditation et toutes ne visent pas principalement à apaiser l'esprit et à développer l'attention. Pour celles dont c'est l'objectif, de multiples objets ont servi à focaliser l'attention au fil des siècles — par exemple, la flamme vacillante d'une bougie, un disque coloré, un galet, un son ou un mantra répété en silence. Dans le cadre du programme de MBSR, on commence par porter la conscience sur la respiration. On laisse simplement l'attention se poser sur les sensations qui accompagnent chaque inspiration et chaque expiration en suivant le souffle qui entre et qui sort. Quand l'esprit part ailleurs, ce qui arrive inévitablement, on note où il est allé, puis on le ramène sur la respiration avec douceur et bienveillance.
Il y a beaucoup d'avantages à se servir ainsi du souffle. Pour commencer, il est toujours là. Vous ne pouvez pas l'oublier à la maison le matin. C'est aussi une sorte de baromètre subtil qui vous permet d'évaluer votre état physique et émotionnel. Quand vous êtes tendu ou apeuré, vous avez tendance à retenir votre souffle. Quand vous êtes détendu et à l'aise, il circule plus librement. La conscience de la respiration peut générer une meilleure intégration de l'esprit, du corps et des émotions. En vous focalisant intentionnellement sur un objet unique, vous pouvez stabiliser votre esprit. Vous activez les réseaux cérébraux qui correspondent à l'objet de l'attention choisi et vous inhibez ceux qui correspondent aux demandes d'attention concurrentes — sans brusquer les choses.
C'est comme si le cerveau « éclairait » l'objet sélectionné tout en « assombrissant » celui qui ne l'est pas. Vous ne pouvez pas forcer l'esprit à se poser mais, pour profiter de sa capacité à se poser dans certaines conditions, vous devez bel et bien faire un effort. Vous devez revenir, encore et encore, à votre intention initiale de poser l'esprit sur l'objet choisi. Ce qui importe ici, c'est la qualité de l'intention que vous nourrissez. Elle doit être douce.
En braquant le projecteur de votre attention sur la respiration, vous constaterez probablement qu'elle se fixe quelques instants avant de se remettre à vagabonder. Si c'est le cas, vous la refocalisez en la ramenant encore et encore sur le solde chaque fois que vous notez qu'elle est partie ailleurs. La tendance de l'esprit à vagabonder n'est ni une erreur ni une faute. C'est sa nature — c'est ce qu'il fait —, et chaque fois que vous notez que le vôtre est parti ailleurs, vous le ramenez délicatement, encore et encore. Il ne s'agit en aucun cas de chercher à forcer l'esprit à se fixer quelque part — en chassant les pensées ou en dressant des barrières contre des émotions ou des sensations corporelles non désirées —, mais plutôt de fournir un effort doux, chaleureux et bienveillant. L’esprit part, et vous le ramenez. Il part, et vous le ramenez. S'il part une centaine de fois, vous le ramenez simplement une centaine de fois. Chaque fois que vous le ramenez, vous renforcez les réseaux neuronaux associés à l'attention soutenue.

(CHASKALSON Michael, « Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité » (2011), Préface de Christophe ANDRÉ (2013), CD audio d’exercices conçus et lus par Christophe ANDRÉ (2013), Éditions des Arènes 2013, p.61-63)

Basilique Saint-Nazaire, Carcassonne (France)

lundi 16 janvier 2017

La nature de la réalité : l’interdépendance des phénomènes

On trouve dans les textes bouddhiques l'histoire de deux aveugles qui voulaient qu'on leur explique les couleurs. À l'un d'eux on répondit : « Le blanc, c'est la couleur de la neige. » L'aveugle prit une poignée de neige et conclut que le blanc était « froid ». A l'autre on raconta que le blanc était la couleur des cygnes, et il écouta le bruissement des ailes d'un cygne qui volait, pour conclure que le blanc faisait « frou-frou »...
Lorsque nous percevons un phénomène, nous sommes conscients que nombre de ses attributs sont liés à la perception que nous en avons, car le même objet ou la même personne peuvent être perçus comme étant agréables ou désagréables, beaux ou laids. Nous pensons néanmoins que certains caractères spécifiques de l'objet existent en eux-mêmes et définissent sa vraie nature, telle qu'elle existe derrière le voile auquel s'arrêtent nos sens. Or, aucun de ces caractères ne résiste à une analyse critique ni ne permet de définir la réalité ultime d'un phénomène.
L'électron, par exemple, peut être considéré comme une onde ou comme une particule, deux entités parfaitement antinomiques. On peut aussi le décrire par des quantités chiffrées fournies par des appareils de détection ou des calculs mathématiques sa masse, sa charge, sa vitesse, son spin, etc. De ces différents caractères ou paramètres, on ne peut raisonnablement en considérer aucun comme décrivant la nature ultime de ce qu'on appelle « électron ». Ces caractères ne se révèlent qu'en dépendance avec d'autres facteurs, tels que les méthodes et les instruments d'observation, sans parler de l'observateur lui-même. La nature ultime de la réalité, si tant est que cette abstraction existe, nous est, pour reprendre Henri Poincaré, « à jamais inaccessible ». Les lois mathématiques ne peuvent que définir des propriétés dépendant elles-mêmes des postulats sur lesquels reposent ces lois.
Il n'est pas question de nier la réalité observable telle que nous la voyons, ni de prétendre qu'elle n'existe pas en dehors de l'esprit. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il n'y a pas de réalité « en soi ». S'il est un mot clé pour décrire la réalité, c'est bien celui d'interdépendance. Les phénomènes existent uniquement en dépendance avec d'autres phénomènes. Cela est vrai des particules atomiques comme des instants de conscience. La « vacuité » du bouddhisme, qui fit reculer les beaux esprits du siècle dernier saisis par la crainte du néant, n'est pas l'absence ou l'inexistence des phénomènes, mais les phénomènes eux-mêmes. Ce dont ils sont vides, ce n'est pas d'une réalité relative, conventionnelle, mais d'une existence propre, permanente et autonome.

(WALLACE Alan B., « Science et Bouddhisme » (1989), Éditions Calmann-Lévy (1998), Préface de Matthieu RICARD, p. 11-12)

Dans la chaîne de l'Akakus (Libye)

mercredi 11 janvier 2017

L'énergie de la pleine conscience

Pratiquer la méditation sert à nous guérir et à nous transformer. La méditation telle qu'elle est conçue dans la tradition bouddhiste qui est la mienne, nous aide à ne faire qu'un, à regarder en nous-mêmes et autour de nous afin de nous rendre compte de ce qui est vraiment là. L'énergie utilisée en méditation est la pleine conscience ; regarder profondément, c'est utiliser la pleine conscience pour éclairer les recoins de notre esprit, ou pour regarder au cœur des choses afin d'en voir leur nature véritable. Quand la pleine conscience est présente, la méditation est présente. La pleine conscience nous aide à comprendre l'essence véritable de l'objet de notre méditation (que ce soit une perception, une émotion, une action, une réaction, la présence d'une personne ou d'un objet).
En regardant profondément, celui qui pratique la méditation obtient une compréhension intime qu'on appelle prajna ou sagesse. Cette compréhension a le pouvoir de nous libérer de notre propre souffrance et de notre asservissement. Au cours de la méditation, les entraves se défont, les amas intérieurs de souffrance que sont la peur, la colère, le désespoir ou la haine se transforment, les relations avec les autres et avec la nature deviennent plus faciles, la liberté et la joie nous pénètrent. Nous prenons conscience de ce qu'il y a en nous et autour de nous ; nous nous sentons rafraîchis, plus vivants dans notre quotidien. Comme nous devenons de plus en plus libres et heureux, nous cessons de nous comporter de telle sorte que les autres en souffrent, nous sommes capables d'amener le changement autour de nous et d'aider les autres à se libérer.
L'énergie de la pleine conscience est sans arrêt produite, nourrie et renforcée pendant la méditation. Celui qui pratique la méditation est comme une fleur de lotus en train de s'épanouir.

(Thich Nhat Hanh, « Un lotus s'épanouit » (« The Blooming of a Lotus », 1993), Éditions Dzambala, 1998, p. 5)

vendredi 6 janvier 2017

Accepterais-je de rester assis(e), debout ou couché(e), sans rien faire ?

La première des quatre Nobles Vérités du bouddhisme est celle de l’universalité de la souffrance : tout être humain connaîtra nécessairement la souffrance au cours de sa vie. En entendant cela, bien des habitants des pays industrialisés se disent : « Cette vérité sur la souffrance ne me concerne pas. Je ne vis pas dans un pays en guerre, je ne connais ni la torture ni la faim. » Mais la souffrance dont parlait Bouddha est souvent beaucoup plus subtile qu’une douleur franche. C’est un sentiment d’insatisfaction, une impression persistante que les choses ne sont pas comme elles devraient être. C’est une sensation désagréable et irritante qui nous pousse à bouger, à faire n’importe quoi pour nous distraire, à manger ou à boire quelque chose, à nous empiffrer ou à vomir; tout pour faire disparaître ce sentiment de mal-être.
Le fait de bouger ou de se distraire ne soulage que momentanément cette impression que quelque chose ne va pas. Or cette impression se fonde sur une vérité, une vérité à laquelle il faut prêter attention. Manger, boire, prendre de la drogue ou de l’alcool, jouer avec le danger ou accumuler les conquêtes amoureuses, voilà tous les remèdes « en vente libre» que nous utilisons pour soulager temporairement ce mal-être fondamental, cette intuition que les choses ne vont pas comme elles pourraient ou devraient aller. Mais, comme la véritable source de cette insatisfaction est spirituelle, son seul vrai remède ne peut être que spirituel.
La question qui se pose maintenant est donc : « Accepterais-je de me sentir vide sur le plan spirituel ? » Tout d’abord, il faut admettre qu’effectivement nous sommes vides, que nous le voulions ou non. Chaque atome de notre corps se compose avant tout de vide (à plus de quatre-vingt-dix-neuf pour cent), un vide parcouru par d’infimes particules d’énergie fulgurante (qui comptent pour moins de un pour cent). Mis à part ce vide bien physique qui nous habite, nous sommes aussi vides d’une autre manière: nous sommes vides d’une existence autonome. Nous ne pourrions exister sans l’existence de tous les autres êtres. Certes, il nous arrive parfois d’être submergés par la multitude de tous ces « autres » et de souhaiter que tout le reste de l’univers disparaisse, mais, si cela devait se produire, nous disparaîtrions nous aussi. Fondamentalement, nous ne sommes rien d’autre que nos interactions avec tous les autres êtres. Chacun de nous est comme une bulle de savon au milieu d’un immense amas de bulles de savon. Nous ne sommes que du vide, avec des liens et des interactions avec les autres êtres, qui sont vides, eux aussi.
Accepter de se sentir vide signifie donc intégrer une vérité fondamentale de notre existence.
En regardant les choses un peu autrement, nous pourrions reformuler ainsi la question sur le vide : « Accepterais-je de ne rien faire ? Accepterais-je de rester assis(e), debout ou couché(e), sans rien faire ? »

(CHOZEN BAYS Jan Dr, « Manger en pleine conscience : La méthode des sensations et des émotions » (2009), Postface de Jon Kabat-Zinn, Éditions Les Arènes, 2013, p.231-233)

Bougies (Monastère de Guéghard, Arménie)