vendredi 17 mai 2019

Nous sommes connectés et moins limités que nous ne le pensons par le concept d'individualité

Certes, il existe un « moi » et un « toi » distincts qui opèrent dans nos rapports quotidiens au monde. Chacun de nous présente une enveloppe unique de qualités et de circonstances façonnées par une multitude de facteurs. C'est ce qu'on appelle le « soi ». Pourtant, il suffit d'observer attentivement notre vie pour constater que nous sommes constitués de milliers d'éléments de « non-soi », comme les appelle le maître vietnamien Thich Nhat Hanh, tels que la terre, l'eau, le feu, l'air, l'espace, le carbone, l'oxygène, les parents, les gènes communs à l'ensemble de l'humanité. Les mêmes constituants du soleil, des étoiles qui illuminent le ciel nocturne et des mers salées font partie de notre héritage commun, incarné.
Comme l'illustre l'histoire précédente, dans le feu de l'action on oublie aisément ce point. Afin de limiter cette habitude de séparation, deux pratiques me semblent particulièrement utiles. Premièrement, j'essaie d'être attentif au sentiment d'être différent ou distinct lorsqu'il survient en moi à l'occasion d'une rencontre en portant la conscience sur les sensations plus ou moins subtiles qui accompagnent ces instants. Si je suis conscient, je me focalise sur la sensation du souffle sans chercher à réprimer le besoin impulsif de me distinguer. Quand je suis capable de travailler ainsi sur moi, je suis souvent en meilleure position pour commencer à chercher consciemment ce que « nous » avons en commun. Au début, ce peut être simplement le fait que nous portions tous les deux du bleu ou que nous ayons à peu près la même taille. Très vite, l'humanité partagée, au-delà des théories ou des concepts, se manifeste de manière extrêmement tangible.
En définitive, la reconnaissance de notre humanité partagée qui opère derrière nos infinies différences nous ramène à la connexion. En ce sens, c'est une manière de s'accueillir chez soi, un accroissement plutôt qu'un rétrécissement du « moi ». L'objectif n'est ni de balayer les distinctions et la diversité, ni de réduire l'humanité à une masse informe. Mais plutôt de découvrir, au-delà de ce qui nous distingue, que nous sommes connectés et moins limités que nous ne le pensons par le concept d'individualité, qui rend souvent impénétrable le sentiment d'appartenance.
La prochaine fois que le réflexe de séparation ou de distinction apparaît en vous, essayez de dépasser la dimension verbale de votre rencontre avec autrui. L'attention au langage corporel de votre interlocuteur, à son regard, aux ridules au coin de ses lèvres, à la souplesse ou à la rigidité de sa posture, à sa « respiration », à son port de tête et d'épaules, au timbre de sa voix, mais également à votre propre ton, aux sensations qui émanent de votre plexus solaire ou de votre corps-cœur-esprit et à vos paroles peut favoriser la lente dissolution de l'esprit bâtisseur de frontières.

(SANTORELLI Saki, « Guéris-toi toi-même » (1999), Préface de Jon Kabat-Zinn, + CD de 9 méditations guidées avec la voix de Christophe ANDRÉ, Éditions des Arènes (2017), p.85-86)

Parc national des lacs de Plitvice (Croatie)