jeudi 24 novembre 2016

Un conte sur l'altruisme

La légende des grandes cuillères

On raconte qu’un voyageur, après avoir parcouru la plupart des contrées de sa connaissance, se trouva un jour face à un embranchement inédit. Il prit la route de droite et se retrouva devant une porte qui n’avait pas de nom.
S’approchant, il entendit des cris de souffrance et d’horribles gémissements. Il ouvrit la porte et entra dans une vaste pièce où tout était préparé pour un extraordinaire festin. Au centre était dressée une grande table, et sur cette table, un plat contenait des mets délicieux dont les effluves le faisaient saliver. Cependant, les convives assis autour de la table hurlaient de faim : les cuillères, deux fois plus longues que leurs bras, étaient fixées à leurs mains de telle manière qu’ils pouvaient se servir mais qu’aucun n’arrivait à porter la nourriture à sa bouche.
Effrayé, le voyageur rebroussa chemin et choisit l’autre embranchement. Le lieu où il parvint semblait en tous points identiques, mais en s’approchant, il n’entendit résonner que des éclats de rire et de bonne humeur. Les convives étaient soumis au même défi, mais une seule chose avait changé : au lieu de tenter désespérément de porter la nourriture à leur bouche, ils se nourrissaient les uns les autres.

(Christophe ANDRÉ/Jon KABAT-ZINN/Pierre RABHI/Matthieu RICARD, « Se changer, changer le monde » (2013), Éd. J’ai Lu n°11074, 2015, p.159

 
À l'entrée du monastère de Geghard (Arménie)

samedi 19 novembre 2016

Pourquoi il est bon de s'imprégner de ce qui est bon

Compte tenu du penchant négatif du cerveau, intérioriser les expériences positives et se guérir de leurs pendants négatifs réclame un effort actif. En réalité, lorsque vous vous penchez vers ce qui est positif, vous rétablissez un déséquilibre neurologique. Et vous vous accordez aujourd’hui l'affection et les encouragements dont vous auriez dû bénéficier enfant, mais dont vous avez peut-être été en partie privé.
Se focaliser sur ce qui est sain puis s’en imprégner augmente naturellement les émotions positives qui traversent votre esprit chaque jour. Les émotions ont un effet global puisqu'elles organisent l’ensemble du cerveau. Par conséquent, les sentiments positifs ont des répercussions considérables, dont un système immunitaire renforcé et un système cardio-vasculaire moins réactif au stress. Ils améliorent l'humeur, favorisent l'optimisme, la résilience et l'ingéniosité, et contribuent à contrebalancer les effets des expériences douloureuses, y compris traumatiques. C'est un cercle vertueux : les sentiments agréables d'aujourd'hui accroissent les perspectives de sentiments agréables de demain.
Ces bienfaits s'appliquent aussi aux enfants. S'imprégner du positif est particulièrement intéressant pour les plus actifs ou les plus anxieux d'entre eux. En général, les enfants qui débordent d'énergie passent à autre chose avant que les sentiments positifs n'aient le temps de se consolider dans leur cerveau, alors que les plus anxieux ont tendance à ignorer ou à minimiser les bonnes nouvelles. (Et certains sont à la fois anxieux et pleins d'énergie.) Quel que soit leur tempérament, si vous avez des enfants autour de vous, encouragez-les à faire une pause à la fin de la journée (ou à tout autre moment qui semble naturel, comme une minute avant que ne retentisse la sonnerie de l'école). C’est un moyen pour eux de se rappeler ce qui s'est bien passé et de penser à des choses ou à des êtres qui les rendent heureux (par exemple un animal domestique, l’amour de leurs parents, un but marqué au football). Puis laissez-les s’imprégner de ces pensées et de ces sentiments positifs. Dans la pratique spirituelle, absorber le positif permet d'éclairer des états mentaux essentiels, telles la bienveillance et la paix intérieure, pour mieux retrouver leur chemin. C'est une attitude gratifiante car elle contribue à vous maintenir sur la voie de l'éveil, qui s'apparente parfois à une pente raide. Elle développe la foi et la conviction en vous montrant les résultats de vos efforts. Elle entretient la plénitude du cœur en valorisant les émotions positives et sincères – et, lorsqu'on a le cœur plein, on a davantage à offrir aux autres.
S'imprégner du positif ne consiste pas à afficher une mine réjouie en toutes circonstances, ni à se détourner des moments difficiles de la vie. Il s'agit d'entretenir le bien-être, la satisfaction et la paix intérieure, qui sont des refuges d'où l'on peut toujours partir et où l'on peut toujours revenir.

(HANSON Rick et MENDIUS Richard, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013, Préface de Christophe André, p.117-119)

 
Pyramide d'ours en peluche dans un magasin
(Cracovie, Pologne)

vendredi 11 novembre 2016

Toujours plus

LES SEPT BOCAUX REMPLIS D'OR

Un coiffeur passait sous un arbre hanté,
lorsqu'il entendit une voix qui lui dit :
« Aimeriez-vous avoir les sept bocaux remplis d'or ? »

Il regarda autour de lui et ne vit personne.
Mais son avidité fut éveillée et il s'écria avec impatience :
« Oh ! oui, certainement ! »
« Alors, retournez chez vous tout de suite, dit la voix : vous les trouverez là. »

Le coiffeur retourna chez lui en courant.
Effectivement, les sept bocaux était là — tous remplis d'or,
sauf un qui n'était rempli qu'à moitié.

Alors, le coiffeur n'accepta pas l'idée d'avoir un bocal à moitié rempli ;
il ressentit un besoin impérieux de le remplir, sinon, il ne serait pas heureux.
Il fit fondre et transformer en pièces d'or tous les bijoux de sa famille
et les déposa dans le bocal à moitié plein.
Mais le bocal demeura à moitié plein, tout comme auparavant. C'était exaspérant !
Il épargna, lésina sur tout, se priva et priva sa famille de nourriture, mais en vain :
quelle que fût la quantité d'or qu'il déposât dans le bocal,
celui-ci demeurait toujours à moitié plein.
Alors, un jour, il demanda au roi une augmentation de salaire : on le doubla.
Et la bataille reprit pour remplir le bocal.
L'homme se mit même à mendier.
Mais le bocal dévorait la moindre pièce d'or qu'on lui confiait
et demeurait obstinément à moitié rempli.

Le roi, alors, remarqua l'apparence de misérable et de crève-la-faim qui était celle du coiffeur.
« Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il ;
vous étiez si heureux et si satisfait, quand votre salaire était moindre.
On l'a maintenant doublé et vous êtes tellement usé et abattu.
Serait-ce que vous auriez les sept bocaux d'or chez vous ? »

Le coiffeur s'étonna :
« Qui vous a dit cela, Majesté ? »
Le roi se mit à rire :
« Mais vos symptômes sont manifestement
ceux de la personne à qui le fantôme offre les sept bocaux.
Il me les a offerts à moi, un jour.
J'ai demandé si cet argent pouvait être dépensé ou devait être simplement entassé,
et le fantôme disparut sans mot dire.

Cet argent ne peut être dépensé :
il apporte seulement avec lui
le besoin impérieux de l'entasser.
Allez tout de suite le rendre au fantôme et vous retrouverez le bonheur. »


(Anthony de Mello, s.j., « Comme un chant d’oiseau » [1982], Éd. Desclée de Brouwer/Bellarmin 1984, p.147-148)

Boulier à Murano (Italie)

vendredi 4 novembre 2016

Soigner un trouble obsessionnel compulsif (TOC) grâce à la pleine conscience (II)

La neuroplasticité, le fait que la structure physique et cellulaire du cerveau puisse changer, signifie que notre cerveau s'adapte en réponse au vécu interne et externe. La neuroplasticité autodirigée, formule conçue par le Dr Jeffrey Schwartz, chercheur et psychiatre à UCLA, est le processus par lequel nous pouvons délibérément provoquer ces adaptations en utilisant notre esprit pour changer notre cerveau. Scientifique et clinicien, Schwartz pratique également la pleine conscience et étudie les textes contemplatifs classiques depuis plus de trente ans.
Schwartz est l'un des premiers à avoir appliqué la pleine conscience dans un contexte clinique, de manière authentique et cohérente avec la pratique classique. Partant de la formation initialement destinée aux moines, il a traduit la pleine conscience en un traitement efficace pour les personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Son travail de pionnier a aidé d'innombrables victimes des TOC. Les TOC sont causés par un déséquilibre biochimique du cerveau, qui suscite constamment des pensées douloureuses et pousse les patients à adopter des comportements répétitifs et compulsifs pour éviter une catastrophe imaginaire. Ils sont souvent préoccupés par des tâches répétitives (laver, nettoyer, compter, vérifier) qui finissent par perturber leur existence. Grâce à une formation à la pleine conscience, les personnes atteintes de TOC reconnaissent que les messages traitement qui inondent leur esprit peuvent être mensongers, et le traitement de Schwartz leur fournit des outils spécifiques pour mieux gérer ces pensées dérangeantes.
Dans la recherche menée sur le programme de Schwartz, l'imagerie cérébrale a constaté les améliorations signalées par les patients. De plus, Schwartz et ses collègues ont appris par la scintigraphie cérébrale que non seulement le cerveau change en relation avec les améliorations survenues dans le fonctionnement de ses patients, mais aussi qu'une attention soutenue, accordée à quoi que ce soit, crée un état qui déclenche la neuroplasticité autodirigée, pas seulement pour les victimes de TOC mais aussi pour tout adulte. Son travail a montré qu'un effort de volonté peut transformer physiquement le cerveau. L'étude de Schwartz fut la première d'un corpus de recherche aujourd'hui en plein essor qui relie l'intentionnalité aux modifications du fonctionnement et de la structure du cerveau. Mettant l'accent sur l'effort délibéré et non sur le résultat, cette recherche pourrait avoir des applications essentielles pour les enfants, surtout ceux qui souffrent d'un déficit d'attention. Il est important d'initier en douceur les enfants à la pleine conscience, mais imaginez s'il était possible d'aider un enfant à acquérir une faculté stable d'attention rien qu'en l'encourageant, de manière amusante et ludique, à essayer de prêter attention encore et encore.
On peut concevoir le cerveau comme un jeu tridimensionnel de points à relier, chaque point étant un neurone (une cellule du cerveau) et les lignes reliant les points étant une voie neuronale. Les lignes unissant les neurones entre eux sont forgées et renforcées par le vécu. On peut aussi imaginer les voies neuronales comme des muscles et le vécu comme un exercice physique. Tout comme les muscles deviennent plus forts quand on soulève des poids, l'exercice fortifie les voies neuronales.
(GREENLAND Susan, « Un cœur tranquille et sage » (The Mindfull Child, 2010), Éditions Les Arènes (2014), p.129-131)

Pour plus d'informations sur ce sujet, voir le livre « Brain Lock : Free Yourself from Obsessive-Compulsive Behavior » de Jeffrey M. Schwartz. Cet ouvrage n'a malheureusement pas été traduit en français.

A proximité d'Essendilène (Algérie)