dimanche 23 octobre 2016

Ne pas communiquer sous le coup de la colère (2)

Certaines psychothérapies en vogue nous encouragent parfois à exprimer notre colère à travers le corps pour « l'expulser de nous-mêmes » en allant hurler dans un lieu retiré ou en frappant un objet, comme un oreiller par exemple.
Je ne trouve pas cette méthode efficace pour transformer les racines de la colère. Imaginez un poêle à bois : s'il y a un problème, vous pouvez ouvrir les fenêtres de la pièce pour que la fumée sorte, mais s'il est défectueux, la fumée continuera à envahir la pièce. Vous devez donc réparer le poêle à bois. Crier et frapper votre oreiller risque de ressasser et d'alimenter votre colère, sans la faire sortir de vous.
Vous devez entrer réellement en contact avec votre colère pour la guérir. En frappant votre oreiller, vous entrez en contact avec elle, mais pas d'une façon qui vous aide à avoir plus de compréhension. Vous n'êtes même pas en contact avec l'oreiller, parce que si vous l'étiez, vous sauriez que ce n'est rien de plus qu'un oreiller.
Réprimer la colère peut être dangereux. Elle finira par exploser si elle reste ignorée ; à l'instar de toutes les émotions fortes, la colère veut s'exprimer. Mais comment la gérer ? Le mieux est de revenir en nous-mêmes et de prendre soin d'elle. Rappelons-nous le premier mantra, être là pour nous-mêmes et prendre soin de notre colère. Revenons en nous et connectons notre esprit à notre corps. Revenez à votre pratique de la respiration consciente et de la marche en pleine conscience. Être présent signifie être en pleine conscience puis utiliser cette pleine conscience pour reconnaître, embrasser et regarder vos émotions fortes en profondeur.
En général, quand la colère se manifeste, nous voulons nous confronter à la personne que nous croyons être à la source de notre colère. Nous avons plus envie d'aller lui remonter les bretelles que de prendre soin du plus urgent, à savoir notre propre colère. Nous sommes comme quelqu'un dont la maison serait en feu et qui se mettrait à courir après l'incendiaire au lieu de se précipiter chez lui pour éteindre l'incendie. Pendant ce temps, la maison continue de brûler.
Vous pouvez vous exprimer de nombreuses manières pour parler de la souffrance que vous ressentez suite à l'acte d'une personne. Vous pouvez écrire un mot à cette dernière ou lui envoyer un e-mail. Mais, pratiquez avant tout la respiration consciente et prenez soin de votre colère. C'est le moment idéal pour utiliser le quatrième mantra : « Je souffre. Aide-moi, s'il te plaît. » Vous pouvez lui téléphoner une fois que vous avez calmé votre colère, mais seulement quand vous êtes capable de lui dire calmement que vous souffrez et que vous avez besoin de son aide. Vous pouvez lui faire savoir que vous faites de votre mieux pour prendre soin de votre souffrance. Encouragez-la à faire de même. Demander de l’aide quand on est en colère est très difficile, mais cela permet aux autres de voir votre souffrance et non pas juste votre colère. Ils verront que la souffrance est à l’origine de la colère ; vous serez alors sur la voie de la communication et de la guérison. (p.87-90)
(Thich Nhat Hanh, « L’art de communiquer en pleine conscience »(2013), Le courrier du Livre 2014, p.89-90)

Village des pruniers (France)

dimanche 16 octobre 2016

Ne pas communiquer sous le coup de la colère (1)

Beaucoup d'entre nous souffrent d'une communication difficile avec leur entourage. Au travail, par exemple, nous pensons souvent avoir tout essayé et croyons qu'il n'y a aucun moyen d'aborder nos collègues. C'est aussi souvent le cas avec la famille : nous avons l'impression que nos parents, nos frères et sœurs ou nos enfants sont trop cramponnés à leur mode de pensée. Nous croyons qu'aucune communication réelle n'est possible.
Il y a pourtant de nombreuses manières de se réconcilier et de créer des ouvertures pour une communication plus compatissante.

Ne pas communiquer sous le coup de la colère
Une des raisons pour lesquelles nous avons du mal à communiquer est que nous essayons souvent de le faire quand nous sommes en colère. Nous souffrons et ne voulons pas rester seuls avec toute cette souffrance. Nous croyons que notre colère est de la faute des autres et nous voulons qu'ils le sachent. Il y a de l'urgence dans la colère. Nous voulons qu'ils sachent tout de suite quel est notre problème avec eux.
Pourtant, quand nous sommes sous l'emprise de la colère, nous manquons singulièrement de lucidité. Agir sous le coup de la colère peut engendrer beaucoup de souffrance et envenimer les choses. Cela ne veut pas dire que nous devrions supprimer notre colère. Ne faisons pas comme si tout allait bien quand ce n'est pas le cas. Ressentir de la colère tout en agissant d'une façon saine et avec compassion est possible. Quand la colère est là, gérons-la avec tendresse, parce qu'elle est nous-mêmes. Lui faire violence reviendrait à nous faire violence à nous-mêmes.
La respiration consciente nous aide à reconnaître la colère et à prendre soin d'elle tendrement. L'énergie de pleine conscience embrasse l'énergie de colère. La colère est une énergie forte, nous aurons peut-être besoin de nous asseoir avec elle pendant quelque temps. Quand vous faites cuire des pommes de terre, vous devez maintenir le feu sous la casserole pendant au moins quinze à vingt minutes. Il en est de même avec la pratique de la pleine conscience lorsqu'elle embrasse la colère : cela prendra du temps parce que la colère met du temps à cuire.
Après être resté assis en pleine conscience et avoir calmé votre colère, vous pouvez la regarder en profondeur pour découvrir sa nature et les circonstances qui l'ont provoquée. Quelle est la racine de cette colère ? La colère peut venir d’une perception erronée ou être une réponse habituelle à certains évènements ne reflétant pas nos valeurs les plus profondes.

(Thich Nhat Hanh, « L’art de communiquer en pleine conscience »(2013), Le courrier du Livre 2014, p.87-89)

Feu de camp (Akakus, Libye)

vendredi 7 octobre 2016

La pleine conscience commence par la conscience

En un sens, cette capacité humaine nous est familière depuis toujours. Mais le mode « faire » l'a éclipsée. La conscience ne procède pas par analyse critique, mais par connaissance directe. On l'appelle le mode « être ».
Avant d'être pensées, les choses sont expérimentées directement par nos sens. Nous sommes capables de sentir et de réagir directement à des choses comme une tulipe, des voitures, un vent glacial. Et d'en être conscient. Nous avons des intuitions. Nous appréhendons les choses non seulement par l'intellect, mais par le cœur et les sens. Et nous pouvons être conscients du fait que nous pensons. Le mode « être » est un mode de connaissance entièrement différent du mode « faire »et des pensées qui l'accompagnent. Pas meilleur, simplement différent. Mais ce mode nous ouvre à une toute autre façon de vivre notre vie et d'entrer relation avec nos émotions, nos tensions, nos idées et notre corps. Et cette capacité, nous la possédons déjà. Elle est simplement un peu négligée et sous-développée.
Le mode « être » est l'antidote aux problèmes que crée le mode « faire ». En cultivant le mode « être », on peut :
  • Sortir de sa tête et apprendre à expérimenter directement le monde, débarrassé du perpétuel commentaire de la pensée. On peut tout simplement s'ouvrir aux possibilités infinies de bonheur qu'offre la vie.
  • Voir les pensées comme des événements mentaux qui vont et viennent dans l'esprit comme les nuages dans le ciel. L'idée que l'on est sans valeur, indigne d'amour et bon à rien peut enfin être vue pour ce qu'elle est – une idée – et pas comme la vérité, ce qui va la rendre plus facile à rejeter.
  • Commencer à vivre ici et maintenant, dans l'instant présent. Quand on cesse de s'appesantir sur le passé et de se projeter dans l'avenir, on s'ouvre à de riches sources d'informations jusque-là négligées – des informations qui peuvent nous permettre d'éviter la spirale de la dépression et d'enrichir notre vie.
  • Débrancher le pilote automatique qui est dans notre tête. Une meilleure conscience de nous-même – par  nos sens, nos émotions, notre esprit – peut nous aider à diriger nos actes dans la direction que nous souhaitons et résoudre nos problèmes.
  • Éviter la cascade d’évènements mentaux qui nous tire vers la dépression. En développant notre conscience, nous devenons capables de reconnaître très vite les moments où nous risquons de glisser dans la dépression et nous apprenons à ne pas nous laisser entraîner plus bas.
  • Cesser de vouloir changer la vie, sous prétexte qu'elle n'est pas agréable en ce moment. Nous comprendrons alors que vouloir que les choses soient différentes de ce qu'elles sont, c'est le début de la rumination.
(WILLIAMS Mark, TEASDALE John, SEGAL Zindel, et KABAT-ZINN Jon, « Méditer pour ne plus déprimer » (2007), préface de Christophe ANDRÉ, Éditions Odile Jacob, 2009, p.71-73)

Vallée du Dadès (Maroc)