mercredi 29 avril 2015

La méditation semble renforcer l'activité télomérase (et donc ralentir le vieillissement biologique)

Un récent rapport issu du projet Shamatha a mesuré l'activité télomérase consécutive à une retraite de trois mois consacrée à la pratique de la méditation shamatha(*), en comparaison avec un groupe témoin placé en liste d'attente. Les télomères sont des séquences répétitives d'ADN qui protègent l'information génétique essentielle au développement cellulaire lors de la réplication des chromosomes; la télomérase est l'enzyme qui permet l'allongement et/ou la restauration de ces séquences situées aux extrémités des chromosomes. L’activité télomérase est d'une importance majeure : une chute de son niveau d'activité associée à un raccourcissement des télomères coïncide en effet avec une accélération du taux de vieillissement biologique en présence d'un stress continu. Au terme de la retraite, l'activité télomérase était significativement plus forte parmi les pratiquants de la méditation shamatha, relativement au groupe témoin. Les chercheurs ont indiqué avoir également observé des relations complexes entre l'activité télomérase des groupes étudiés et les modifications constatées sur de nombreux traits de personnalité autoreportés (comme le névrosisme). Les pratiquants de cette retraite ayant manifesté après coup les plus nettes progressions en matière de contrôle perçu (perception de leur capacité à maîtriser une situation) et les plus fortes baisses du névrosisme présentaient également les hausses les plus marquées de l'activité télomérase.
(*) Samatha (pali), śamatha (शमथ, sanscrit), chiné (tibétain) désigne dans le bouddhisme la « tranquillité de l'esprit » ou « quiétude », et par extension l'ensemble des pratiques méditatives qui permettent de développer cet état. Cette étape est généralement suivie de la pratique de vipassanā, la « vision profonde ».
(KABAT-ZINN Jon et DAVIDSON Richard, « L’esprit est son propre médecin » (2011), Éditions Les Arènes 2014, p.313-314)

Plante fossilisée, Erg Mehedjebat (Algérie)

dimanche 26 avril 2015

La conscience de la mort donne de la douceur à la vie

La douceur de la fraise
Voici une parabole que le Bouddha racontait à ses disciples.
Un homme rencontra un tigre dans un champ. Le tigre chargea et l’homme s’enfuit. Il arriva au bord d’un précipice, trébucha et tomba. Par chance, il réussit à stopper sa chute en s’accrochant à une branche.
Il resta accroché là quelques minutes, suspendu entre le tigre affamé en haut et le profond canyon en bas, où il trouverait probablement la mort.
Tout à coup, il aperçut, à sa portée, des touffes de fraisiers sauvages qui croissaient sur la paroi du précipice, avec une savoureuse fraise encore sur la plante. Avec sa main libre, il cueillit la fraise et la mit dans sa bouche. Jamais, de toute sa vie, une fraise n’avait eu si bon goût !
… La conscience de la mort donne de la douceur à la vie.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.198)

Erg Mehedjebat, après la pluie (Algérie)

jeudi 23 avril 2015

Étonnante neuroplasticité...

L’expérience en simple aveugle

Pascual-Leone et ses collègues décidèrent ainsi de voir ce qui se passerait si les adultes voyants perdaient soudainement la vue. Ils recrutèrent des gens doués de vision normale et leur bandèrent les yeux. Ce n’était toutefois pas une blague de courte durée. Les sujets portèrent leur bandeau sur les yeux du lundi matin jusqu'au vendredi soir, nuit et jour. Un morceau de papier photographique était collé à l'intérieur du bandeau pour signaler les tricheurs, s'il était exposé à la fin de l'étude. Même s'ils ne tentèrent pas de naviguer dans le métro de Boston affligés de leur invalidité éphémère, les sujets réussirent tout de même à se déplacer dans leurs chambres au centre médical Beth Israel Deaconess à Boston, grâce au toucher et au son, sans trop d'ecchymoses. Ils passaient leurs journées à apprendre le braille et l'on scannait leur cerveau à l'IRMf tandis qu'ils effectuaient diverses tâches tactiles ou auditives : ils entendaient une série de tons et précisaient si chaque ton avait la même hauteur que le précédent, ou alors ils touchaient des paires de cellules de braille pour déterminer si elles étaient identiques ou pas.
Avant la fin de leur période de cécité imposée, le cortex visuel des sujets s'était comporté comme le prédisaient les manuels classiques : il s'activait lorsqu'ils regardaient quelque chose. Quand ils écoutaient, tâtaient un objet ou pensaient à des mots, il se taisait, tel que prévu. Leur cerveau se comportait ainsi que la nature l'avait voulu. Pendant la période où les sujets portaient le bandeau néanmoins, le cortex visuel se tournait les pouces, car aucun signal ne lui parvenait des yeux. Même s'il avait passé des décennies à gérer l'information visuelle, et uniquement cette information, après cinq petites journées de chômage contraint, il décrocha un nouveau boulot. Les IRMf révélaient qu'il traitait désormais des informations tactiles et auditives : si les sujets écoutaient des tons pour déterminer leur hauteur, s'ils effleuraient des reliefs du braille, leur cortex « visuel » s'activait. Par ailleurs, au fil des jours, leur cortex somato-sensoriel devenait de plus en plus silencieux quand ils touchaient les cellules de braille, et leur cortex visuel était de plus en plus actif. Le cerveau « qui voit » dorénavant sentait et entendait. Comme les furets recâblés de Mriganka Sur qui « entendaient l'éclair et voyaient le tonnerre », l’une des aires les plus fondamentales du cerveau des sujets aux yeux bandés avait subi des changements. Et il s'agissait d'adultes qui avaient, depuis vingt ans ou davantage, utilisé leur cortex visuel pour voir, et exclusivement à cette fin.
Il est fort peu probable que le cortex visuel ait établi des connexions toutes neuves vers les neurones auditifs ou tactiles. Cinq jours ne pourraient y suffire. Pascual-Leone précise plutôt que « quelques connexions rudimentaires somato-sensorielles et auditives vers le cortex visuel devaient être déjà présentes », connexions résiduelles du développement cérébral lorsque les neurones des yeux, des oreilles et des doigts se raccordent à de nombreuses aires dans le cortex, au lieu de se restreindre à celles où elles sont censées se concentrer. Ces connexions n'étaient pas utilisées quand le cortex visuel recevait des stimuli de la rétine, mais quand ces stimuli cessent, en raison du bandeau, alors d'autres relais sensoriels apparemment se dévoilaient ou se désinhibaient ; ces raccords revenaient en ligne après une vie entière où ils avaient été submergés par le volume de signaux trop important charrié par les neurones visuels vers le cortex du même nom. Le potentiel du cortex visuel d'entendre et de sentir a toujours été présent, probablement depuis avant la naissance, au moment où le cerveau tissait des réseaux un peu partout. L'expérience du bandeau indique que même les raccords silencieux depuis des décennies peuvent être ressuscités en cas de besoin. Si les connexions nouvelles sont utilisées à maintes reprises – si les bandeaux étaient restés en place des années au lieu de quelques jours – ces altérations rudimentaires se seraient peut-être établies plus fermement, modifiant le zonage cérébral de base chez l'adulte, comme elles l'ont fait dans le cerveau de très jeunes enfants.
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p.132-133)

Erg Mehedjebat (Algérie)

lundi 20 avril 2015

Le vagabondage de l'esprit : la plus puissante des distractions

« La faculté de ramener volontairement une attention vagabonde, encore et encore, est à la source même du jugement, du caractère et de la volonté », a observé le père fondateur de la psychologie américaine, William James [1842-1910].
Mais, on l'a vu, si on demande aux gens : « Êtes-vous en train de penser à autre chose que ce que vous faites ? », on a une chance sur deux de tomber sur un esprit qui vagabondait.
Cette probabilité varie considérablement selon la nature précise de l'activité concernée. Une enquête aléatoire réalisée auprès de plusieurs milliers de sujets a constaté de façon prévisible qu'ils n'accédaient jamais autant à l'ici et maintenant que lorsqu'ils étaient en train de faire l'amour (même s'ils ont reçu à ce moment précis l'appel importun de l'application pour smartphone des enquêteurs). En deuxième position, loin derrière, venait l'exercice physique, puis une bonne conversation et enfin le jeu. À l'opposé, le vagabondage de l'esprit était plus fréquent au travail (employeurs, notez-le bien), devant l'ordinateur domestique ou dans les transports.
En moyenne, l'humeur des sujets pendant le vagabondage avait généralement une tonalité désagréable ; même les pensées apparemment neutres étaient imprégnées d'une teinte émotionnelle négative. Bien souvent, l'errance de l'esprit semblait constituer en elle-même une source d'infélicité.
Où donc s'égarent nos pensées quand on ne réfléchit à rien de particulier ? Le plus souvent, il n'y est question que de « moi ». Le « moi », selon William James, tisse la notion de soi en racontant notre histoire – en assemblant des fragments de vie aléatoires sous forme de narration cohérente. Ce récit dont on est le personnage principal tisse un sentiment de continuité derrière le perpétuel passage d'un moment au suivant qui constitue notre expérience.
« Moi » est l'activité de la région par défaut, cet agitateur d'un esprit qui se perd dans les lacets de pensées qui n'ont que peu de rapport, voire aucun, avec la situation présente et beaucoup avec... moi. Cette habitude mentale prend le dessus aussitôt qu'on accorde à l'esprit un moment de repos après une activité focalisée.
Quand il ne procède pas à des associations créatives, le vagabondage de l'esprit tend à se centrer sur moi et mes préoccupations : toutes les choses que j’ai à faire aujourd'hui ; ce que je n’aurais pas dû dire à untel ; ce que j’aurais bien fait de dire à la place. Il arrive à l'esprit de se perdre dans des pensées ou des fantaisies plaisantes, mais il gravite quand même plus souvent autour de la rumination et de l'inquiétude.
Lorsque le dialogue intérieur et la rumination génèrent un fond d'anxiété de basse intensité, le cortex préfrontal médian s'active. Mais lorsqu'on est pleinement concentré, une région voisine, le cortex préfrontal latéral, inhibe cette région médiane. L'attention sélective désélectionne ces circuits de la préoccupation émotionnelle, qui constituent la plus puissante des distractions. La réaction aux événements qui surviennent, ou tout type de focalisation active, éteint le « moi », alors que la focalisation passive nous ramène au bourbier confortable de la rumination.
La plus puissante des distractions n'est pas la conversation des voisins de table, mais celle qui se tient dans notre esprit. La vraie concentration exige d'imposer le silence à ces voix intérieures. Entreprenez de retrancher de sept en sept à partir de cent et, si vous restez concentré sur la tâche, votre zone de bavardage va finir par se taire.
(GOLEMAN Daniel, « Focus, Attention et concentration : les clefs de la réussite » (2013), Éditions Robert Laffont, p.58-60)


Peintures rupestres, Erg Mehedjebat (Algérie)

vendredi 17 avril 2015

La prison du nombrilisme

Le nombrilisme, parce qu'il nous fige, clôt notre identité à quelques descriptions limitées de nous-même, nous enferme, nous coupe des apprentissages que nous pourrions vivre et nous prive des expériences qui entreraient en contradiction avec cette conceptualisation. Cela revient à nous accrocher à l'histoire que nous nous racontons sur nous, envers et contre tout. Nous nous chosifions, nous collons à ce masque, ce costume que l'on (nous) a fait endosser au fil des années. C'est ce à quoi fait référence Lorenzaccio dans la pièce éponyme de Musset, piégé par le rôle qu'il s'est donné : « Le vice a été pour moi un vêtement ; maintenant il est collé à ma peau... ».
Que cette histoire soit liée au groupe auquel nous nous identifions, à notre caractère ou à notre personnalité, elle finit de toute manière par nous emprisonner. Cette identification nous fait aussi perdre de vue que nous sommes liés aux autres et à la nature. Elle nous fait croire à une entité stable, autonome, séparée du reste du monde. Cette perception nourrit nos comportements égoïstes et compétitifs qui en fin de compte se retournent contre nous. « Quand le bonheur égoïste est le seul but de la vie, la vie est bientôt sans but », écrivait avec sagesse Romain Rolland.
(KOTSOU Ilios, « Éloge de la lucidité », Éditions Robert Laffont, 2014, Préface de Christophe ANDRÉ, Postface de Matthieu RICARD, p.119-120)

Exposition Folon, parc de La Hulpe [2008] (Belgique)

mercredi 15 avril 2015

Aider les autres pour se sentir bien

Dans une autre étude, on a demandé à des personnes de poser, pendant une semaine, cinq gestes de gentillesse et de bienveillance. Ils pouvaient effectuer ces cinq actes de gentillesse sur différents jours de la semaine, soit les concentrer dans la même journée. L’exercice s'est poursuivi pendant un mois, puis on a évalué le niveau de bien-être des participants. On s'est aperçu que faire les cinq gestes dans la même journée engendrait de beaucoup plus grandes satisfactions à long terme. Il semble donc que si l'on n'accomplit qu'un seul acte par jour, finalement, il va être dilué dans le reste de nos activités, tandis que faire cinq gestes de bienveillance dans la même journée change notre attitude d'une manière plus durable. Cela fait donc non seulement du bien aux autres, ce qui est le but principal, mais nous confère également un plus grand sentiment de plénitude.
Par ailleurs, dans une autre expérience, Barbara Fredrickson, l'une des pionnières des études scientifiques sur la psychologie positive, demandait aux participants de cultiver la bienveillance, l'amour altruiste et la compassion pendant huit semaines à raison de 20 minutes de méditation par jour. Les résultats furent très clairs : ce groupe, qui n'était constitué pourtant que de novices en matière de méditation, avait appris à calmer son esprit et, plus encore, à développer remarquablement sa capacité d'amour et de bienveillance. Comparés aux personnes du groupe témoin (à qui l'on offrit de participer au même entraînement une fois l'expérience terminée), les sujets qui avaient pratiqué la méditation éprouvaient davantage d'amour, d’engagement dans leurs activités quotidiennes, de sérénité, de joie, et d'autres émotions bienfaisantes.
Au cours de l'entraînement, Fredrickson remarqua également que les effets positifs de la méditation sur l’amour altruiste persistaient durant la journée, en dehors de la séance de méditation, et que, jour après jour, l’on observait un effet cumulatif. Les mesures de la condition physique des participants montrèrent aussi que leur état de santé s'était nettement amélioré. Même leur tonus vagal avait augmenté.
(Christophe ANDRÉ/Jon KABAT-ZINN/Pierre RABHI/Matthieu RICARD, « Se changer, changer le monde » [2013], Éd. J’ai Lu, 2015, Matthieu RICARD p.94-98)

Calao (Mali)

dimanche 12 avril 2015

Apprendre à relativiser les choses...

Le serviteur dans la tempête
Un maharaja naviguait au large lorsque survint une grosse tempête. Un de ses serviteurs qui étaient à bord se mit à pleurer et à geindre de peur, car il ne s’était jamais trouvé sur un bateau auparavant. Il pleurait si fort et il le fit si longtemps que tout le monde sur le bateau commença à être ennuyé, et le maharaja émit l’avis qu’il fallait l’assommer. Mais son principal conseiller, qui était un homme sage, lui dit : « Non, laissez-moi m’occuper de cet homme : je pense que je peux le guérir. »
Là-dessus, il ordonna à quelques-uns des matelots de lancer l’homme à la mer. À l’instant où il se retrouva dans la mer, le pauvre serviteur se mit à crier de peur et à se débattre follement. Quelques secondes après, le sage ordonna qu’on le ramenât à bord.
De retour sur le bateau, le serviteur se tint dans un coin, dans un silence absolu. Au maharaja qui demandait à son conseiller la raison de cette nouvelle attitude, celui-ci dit : « On ne se rend pas compte de son bonheur, tant que la situation n’empire pas. »
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.195-196)

Désert de Libye

jeudi 9 avril 2015

Les dangers de la pression du temps

L'énorme pression du temps que notre mode de vie nous impose est un sujet peut-être plus troublant encore. La pléthore des choses à faire pendant les week-ends, les vacances, durant nos heures de loisirs, nous submerge. ...
Une étude expérimentale déjà assez ancienne montre comment un petit détail comme le sentiment d'urgence peut bousculer nos valeurs et modifier nos comportements. Cette observation portait sur des étudiants en théologie au profil identique. Les chercheurs leur demandaient de préparer une homélie sur la parabole du Bon Samaritain. Cette parabole, tirée du Nouveau Testament, raconte comment un voyageur passant dans une région un peu dangereuse est attaqué par des brigands qui le frappent, le dévalisent puis le laissent pour mort au bord du chemin. Un premier voyageur passe, puis un autre, mais ils ne s'arrêtent pas, probablement parce qu'ils ont peur. …
On donne aux étudiants la consigne suivante : « Vous allez étudier ce texte avec attention et préparer un sermon que vous enregistrerez dans un studio situé dans le quartier voisin. » Une fois les étudiants sensibilisés, grâce au texte, à l'altruisme et à l'aide à apporter aux inconnus, ils sont envoyés pour enregistrer leur homélie dans un studio proche. À la moitié de ces étudiants on dit : « Vous avez le temps, ne trainez pas trop en route, mais ça va aller... » Et à l’autre moitié : « Dépêchez-vous, vous êtes en retard, allez-y vite sinon votre tour va passer et vous ne pourrez plus enregistrer !» Sur le chemin, un comparse a pour mission de s'allonger par terre et de geindre, comme le voyageur qui a été agressé. Les chercheurs voulaient voir si les traits de caractère, de personnalité, la qualité du texte qu'ils avaient étudié avaient une influence sur l'aide apportée. La pression du temps que l'on avait fait peser sur les épaules des étudiants s'avéra être la variable la plus influente. Les deux tiers des étudiants sur lesquels on n'avait pas fait peser la pression du temps s'arrêtaient pour aider la personne qu'il fallait secourir, et seulement un tiers ne s'arrêtait pas (ils devaient être stressés par la perspective de leur enregistrement !). En revanche, la pression du temps exercée sur l'autre groupe faisait qu'ils n'étaient plus que 10 % à s'arrêter ! Un sur dix ! Alors que ces étudiants en théologie venaient de travailler sur une parabole parlant d'altruisme !
Cela encore doit nous inciter à beaucoup de modestie. La facilité avec laquelle nos bonnes intentions et nos valeurs peuvent être bousculées par un simple sentiment de fausse urgence est déconcertante, vexante, humiliante, déprimante... mais bien réelle ! Nos dispositions naturelles ou nos valeurs sont constamment entravées par de petits détails comme ceux-ci. Il faut débusquer inlassablement les façons dont, dans nos vies, l'impression d'être bousculé par le temps, par la masse des choses à taire, peut progressivement dénaturer nos capacités à être de bons humains.
(Christophe ANDRÉ/Jon KABAT-ZINN/Pierre RABHI/Matthieu RICARD, « Se changer, changer le monde » [2013], Éd. J’ai Lu, 2015, Christophe ANDRÉ p.50-53)

Goutte de rosée

lundi 6 avril 2015

L'importance de la pratique de la pleine conscience pour les patients... et les instructeurs

Les participants au programme MBSR apprennent de deux manières : par leur propre pratique et lorsque l'instructeur lui-même peut la vivre dans la manière d'aborder les questions soulevées pendant la classe. C’était différent de notre première conception de la pleine conscience comme technique à laquelle les patients peuvent être entraînés par un thérapeute qui n'était pas nécessairement conscient lui-même. Si les thérapeutes eux-mêmes ne sont pas conscients lorsqu'ils enseignent, les participants pourront acquérir cette pleine conscience de manière limitée. Comme en escalade, ceux qui apprennent doivent sentir que l'instructeur a l'habileté et l'expérience pour aborder les situations difficiles qui vont se présenter. De la même manière, l'entraînement à la « pleine conscience » implique que l'instructeur participe aux côtés des patients, et ne se contente pas de donner des instructions comme s'il restait au pied du rocher. Le défi pour nous, cliniciens et scientifiques, était de participer à cette pratique et de l'expérimenter de l'intérieur. Nous nous sommes engagés à développer une pratique régulière de méditation de pleine conscience.
S'engager à faire quelque chose est une chose ; le faire en est une autre. Nous avons rencontré beaucoup de résistances à faire cette « simple » chose que nous avions demandé de faire à nos patients. Trouver le temps dans un programme chargé, ou peut-être se lever trois quarts d'heure plus tôt que d'habitude, était difficile. Nous avons découvert l'incroyable éventail d'excuses imaginables pour interrompre un jour la pratique quotidienne. Venait ensuite la question de savoir combien de ceci nous pouvions dévoiler à nos collègues (en fait une question sans importance, nous le verrions plus tard ; nous sommes constamment surpris de découvrir le nombre de nos collègues qui pratiquent la méditation sans en avoir parlé). Nous nous souvenions de ce que nous avions entendu dire par les instructeurs MBSR à leurs patients : qu'il est stressant de suivre une classe de réduction du stress. Nous savions maintenant ce qu'ils voulaient dire. Sans parler du reste, nous trouvions que notre respect pour nos patients grandissait fortement ; plus encore peut être pour ceux dont le combat se rejouait de semaine en semaine devant la classe.
Au fil du temps, nous avons pu intégrer l'expérience d'une pratique de pleine conscience avec nos lectures supplémentaires, nos discussions et les rencontres avec les enseignants de la Clinique de Réduction du Stress lors de nos visites subséquentes. Notre difficulté à mettre en œuvre l'entraînement au contrôle attentionnel nous avait appris quelque chose de très important. Nous avions réalisé que l'approche que nous avions développée pour réduire les rechutes chez les patients dépressifs devait être révisée et nous nous sentions maintenant prêts à la retravailler en ce sens. Nous avions radicalement changé d'avis sur ce que les patients devaient apprendre en classe et au cours de leurs travaux à domicile. Nous étions plus confiants dans le fait que les patients portaient déjà en eux les ressources nécessaires pour avancer dans la gestion de leurs problèmes. Nous nous demandions comment leur permettre de faire cela au mieux, et ceci allait nous demander de modifier à la fois notre théorie et notre pratique.
(SEGAL Zindel, WILLIAMS Mark, TEASDALE John, « La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression : Une nouvelle approche pour prévenir la rechute », Éditions De Boeck 2006, p.79-81)

Paysage impressioniste du Lac Skadar (Monténégro)

vendredi 3 avril 2015

Tout ce que nous consommons agit sur nous

La nourriture essentielle
Rien ne peut survivre sans nourriture. Tout ce que nous consommons agit sur nous, soit en nous guérissant, soit en nous empoisonnant. Nous avons tendance à penser que la nourriture se limite à ce que nous ingérons par la bouche, mais ce que nous consommons avec nos yeux, nos oreilles, notre nez, notre langue et notre corps est aussi de la nourriture. Les conversations qui ont lieu autour de nous, comme celles auxquelles nous participons, sont aussi de la nourriture. Confectionnons-nous et absorbons-nous le type de nourriture qui est sain pour notre corps et notre esprit, celui qui nous aide à grandir et à nous épanouir ?
Quand nous prononçons des paroles qui nous enrichissent et qui aident notre entourage à mieux vivre, nous nourrissons l'amour et la compassion. Quand, au contraire, nos paroles et nos actes apportent tension et colère, nous alimentons la violence et la souffrance.
Nous absorbons souvent des informations toxiques provenant de ceux qui nous entourent, tout comme de ce que nous regardons et lisons. Est-ce que ce que nous consommons cultive la compréhension et la compassion en nous ? Si tel est le cas, il s'agit de bonne nourriture. Souvent, nous consommons des communications qui provoquent en nous un sentiment de mal-être, d'insécurité ou qui nous amènent à juger ou à nous sentir supérieurs aux autres. C'est la raison pour laquelle nous devons penser à toute communication en termes de nourriture et de consommation. lnternet, par exemple, est un bien de consommation plein de nutriments qui peuvent aussi bien être toxiques que salutaires. Quelques minutes en ligne suffisent pour nous fournir le pire et le meilleur. Cela ne veut pas dire que nous devons supprimer lnternet de notre vie, mais que nous devons être pleinement conscients de ce que nous lisons ou regardons. Autrement dit, de ce que nous laissons entrer en nous.
Quand vous travaillez sur l'ordinateur pendant trois ou quatre heures d'affilée, vous vous perdez complètement. C'est comme manger des frites: vous ne devriez pas manger des frites toute la journée, tout comme vous ne devriez pas être sur l'ordinateur toute la journée. Quelques frites, et quelques heures devant l'écran, sont sans doute la limite maximale de ce dont nous avons besoin.
Ce que vous lisez et écrivez peut vous aider à guérir, alors soyez attentif à votre consommation. Quand vous écrivez une lettre ou un e-mail plein de compréhension et de compassion, vous vous nourrissez vous-même tout en l'écrivant. Même s'il ne s'agit que d'un petit mot, tout ce que vous écrivez peut vous nourrir et nourrir celui à qui vous l'écrivez.
(Thich Nhat Hanh, « L’art de communiquer en pleine conscience »(2013), Le courrier du Livre 2014, p.9-10)

Fritillaire pintade (Lot-et-Garonne, France)