mercredi 24 janvier 2018

La stabilité de l'attention

Les contacts sensoriels sont le moyen d'évaluer la stabilité ou la fragilité de notre attention. La plupart du temps, ils sont perturbants. Dès qu'un contact s'établit par les yeux ou les oreilles, les kilesa* [Voir définition ci-dessous] sont ravivés. Dès lors, comment garder le contrôle de la situation ? Comment allons-nous garder le contrôle de nos yeux, de nos oreilles, de notre nez, de notre langue, de notre corps et de notre mental ? Comment faire pour qu'ils soient sous la garde de l'attention et du discernement ? C'est purement et simplement une question de pratique et c'est notre tâche : nous devons nous mettre à l'épreuve pour voir pourquoi les kilesa s'enflamment aussi vite quand un contact sensoriel se produit.
Imaginons, par exemple, que vous entendiez quelqu'un critiquer quelqu'un d'autre : vous l'écoutez sans être perturbé mais, si vous réalisez soudain que c'est de vous qu'il s'agit, un fort sentiment de « moi » s'éveille et vous êtes aussitôt fâché, furieux ou indigné. Ce simple fait devrait nous permettre d'observer que, dès que le « moi » est concerné, nous souffrons. C'est ainsi que cela se passe. Quand nous entendons critiquer les autres, nous pouvons très bien rester indifférents mais, dès que nous pensons qu'il s'agit de nous, le « moi » apparaît, il s'investit totalement... et nous nous enflammons aussitôt sous l'effet des kilesa. Pourquoi ?
Nous devons étudier cela de près ; voir que, dès que le « moi » s'éveille, la souffrance apparaît instantanément. La même chose se produit avec une simple pensée : le « moi » que vous réveillez par la pensée se diffuse dans toutes sortes de problèmes. S'il y a très peu d'attention et de discernement pour veiller sur l'esprit, il se laisse entraîner dans toutes les directions par le désir et les kilesa.
Et pourtant, nous ne voyons rien. Nous croyons que nous allons très bien. Y a-t-il quelqu'un parmi nous qui réalise que c'est effectivement ce qui se passe ? Nous sommes trop alourdis par le poids de notre compréhension erronée de la réalité. Notre esprit a beau être tourmenté par le poison de l'ignorance, nous ne le voyons pas car ce poison nous rend sourds et aveugles...
Il n'y a pas d'outils matériels pour détecter ou soigner cette maladie des kilesa parce qu'elle n'apparaît qu'avec le contact sensoriel. Elle n'a pas de substance réelle. C'est comme une allumette dans une boîte. Tant qu'elle n'est pas frottée sur le côté de la boîte, elle ne s'enflamme pas. Mais dès qu'on la frotte, elle prend feu. Si elle s'éteint tout de suite, tout ce qui aura brûlé sera la pointe de l'allumette. Si la flamme ne s'arrête pas à la pointe, elle brûlera toute l'allumette. Si elle ne s'arrête pas à l'allumette et qu'elle entre en contact avec quelque chose d'inflammable, elle peut créer un énorme incendie.
De même, quand une pollution apparaît dans l'esprit, elle commence au plus léger contact — c'est comme frotter l'allumette. Si nous parvenons à l'arrêter tout de suite, elle s'enflamme une seconde et puis s'éteint — le kilesa peut se dissiper ici même. Mais, si nous ne l'éteignons pas à l'instant même où il apparaît et que nous le laissons échafauder des problèmes, c'est comme jeter l'allumette sur du pétrole.
Il faut que nous observions les maladies que causent les kilesa dans notre esprit pour en connaître les symptômes et voir pourquoi ils s'enflamment aussi vite. Ils ne supportent pas d'être échauffés. Dès l'instant où nous les chauffons, ils s'enflamment. Dans ce cas, que pouvons-nous faire pour nous y préparer ? Comment emmagasiner de l'attention avant que les contacts sensoriels ne frappent ?
Pour emmagasiner de l'attention, il faut pratiquer la méditation, comme lorsque nous sommes attentifs à la respiration. C'est ce qui développe notre attention et nous permet d'avoir une longueur d'avance sur les kilesa, d'éviter qu'ils apparaissent. Notre sujet de méditation est la protection intérieure de l'esprit.
La protection extérieure de l'esprit, c'est le corps composé d'éléments physiques, mais sa protection intérieure, c'est le sujet de méditation que nous utilisons pour entraîner l'attention à être concentrée et présente. Quel que soit notre sujet de méditation, c'est lui qui protège l'esprit, qui lui évite de vagabonder, de fabriquer des pensées et des fantasmes. C'est pourquoi nous avons besoin d'un sujet de méditation. Ne laissez pas l’esprit courir après ses préoccupations comme le font les gens qui ne méditent pas. Une fois que nous avons un sujet de méditation pour piéger cet esprit vagabond et le rendre de moins en moins obstiné au fil des jours, il se calme jusqu'à pouvoir rester stable, pendant des temps plus ou moins longs, selon l'intensité de notre entraînement et de notre observation.

*Kilesa : Parasites du mental qui obscurcissent la clarté de l’esprit. On les classe en trois catégories : désir, haine et ignorance, mais celles-ci se subdivisent en de nombreuses autres formes.

(Kee Nanayon (Upasika), « Pure et simple » (2005), Éditions Sully pour la traduction française (2013), p. 70-71)
Kee Nanayon (1901-1978), est considérée comme l'un des plus grand maîtres de méditation de Thaïlande. Son style d'enseignement, terre-à-terre et direct, rappelle celui de Ajahn Chah.


Cascade Pericnik (Slovénie, Parc national du Triglav)

jeudi 11 janvier 2018

Le moment présent n’est jamais insupportable, si on le vit pleinement.

Le bonheur d’un rescapé
Durant la Deuxième Guerre mondiale, un homme dériva sur un radeau pendant vingt et un jours avant d’être rescapé.
Comme on lui demandait s’il avait tiré quelque enseignement de l’expérience, il répondit : « Oui. Si je peux avoir seulement de la nourriture en abondance pour manger et de l’eau en quantité pour boire, je serai fabuleusement heureux le reste de ma vie. »

Un vieil homme prétend qu’il ne s’est plaint qu’une fois dans sa vie : c’est alors qu’il était nu-pieds et n’avait pas d’argent pour acheter des chaussures… jusqu’au moment où il aperçut un homme heureux qui n’avait pas de pieds. Il ne s’est plus jamais plaint.

Le moment présent n’est jamais insupportable, si on le vit pleinement. Ce qui est insupportable, c’est d’avoir son corps ici à dix heures et son esprit à dix-huit heures, son corps à Bombay et son esprit à San Francisco.

(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p. 196-197

A proximité du Roque Nublo (Grande Canarie, Espagne)