lundi 24 décembre 2012

Les joies de l’altruisme

Qu'est-ce que l'altruisme a à voir avec le bonheur ? Des recherches ayant porté sur plusieurs centaines d'étudiants ont mis en évidence une corrélation indéniable entre l'altruisme et le bonheur. Elles ont montré que les personnes qui se déclarent les plus heureuses sont aussi les plus altruistes. Lorsqu'on est heureux, le sentiment de l'importance de soi diminue, on est plus ouvert aux autres. Il a par exemple été montré que les personnes qui avaient vécu un événement heureux dans l'heure précédente étaient plus enclines que les autres à venir en aide à des inconnus.
Il est par ailleurs connu que la dépression aiguë s'accompagne d'une difficulté à ressentir et à exprimer de l'amour pour les autres. « La dépression est une défaillance d'amour », écrit Andrew Solomon en préambule à son ouvrage intitulé Le Démon intérieur, anatomie de la dépression. Plus probant : ceux qui ont souffert de la dépression affirment que donner de l'amour aux autres et en recevoir est un important facteur de guérison. Cette affirmation concorde avec le point de vue du bouddhisme, qui tient l'égocentrisme pour cause principale du mal-être, et l'amour altruiste pour composante essentielle du bonheur véritable. L'interdépendance entre tous les phénomènes en général, et entre tous les êtres en particulier, est telle que notre propre bonheur est intimement lié à celui des autres. Ainsi que nous l'avons souligné dans le chapitre concernant les émotions, la compréhension de l'interdépendance est donc au cœur de soukha [L’expression « bien-être » serait le plus proche équivalent du concept de soukha, si ce mot n’avait perdu de sa force pour ne plus désigner qu’un confort extérieur et un sentiment de contentement assez superficiels. …Soukha est étroitement lié à la compréhension de la manière dont fonctionne notre esprit et dépend de notre façon d’interpréter le monde, car, s’il est difficile le changer ce dernier, il est en revanche possible de transformer la manière de le percevoir.], et notre bonheur passe nécessairement par celui des autres.
Les recherches de Martin Seligman, spécialiste américain de la dépression et pionnier de la « psychologie positive », montrent que la joie qui accompagne un acte de bonté désintéressé procure une satisfaction profonde. Afin de vérifier cette hypothèse, il a demandé à ses étudiants de se livrer d'une part à une activité récréative, de «prendre du bon temps », et d'autre part à une activité philanthropique, puis d'écrire un rapport pour le cours suivant.
Les résultats furent frappants : les satisfactions engendrées par une activité plaisante (sortir avec des amis, aller au cinéma, s'offrir une pêche Melba) étaient largement éclipsées par celles qu'apportait un acte de bonté. Lorsque cet acte était spontané et avait fait appel à des qualités humaines, la journée entière s'était mieux passée : les sujets ont remarqué qu'ils étaient, ce jour-là, plus à l'écoute, plus aimables, et aussi plus appréciés des autres. « Au contraire du plaisir, conclut Seligman, l'exercice de la bonté est gratifiant. » Gratifiant dans le sens d'une satisfaction durable et d'un sentiment d'adéquation avec sa nature profonde. Jean-Jacques Rousseau notait quant à lui : « Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter. »
On peut éprouver un certain plaisir en arrivant à ses fins au détriment d'autrui, mais cette satisfaction n'est que passagère et épidermique ; elle masque un sentiment de malaise qui ne tardera pas à faire surface. Une fois l'excitation passée, on est forcé d'admettre la présence d'un certain malaise. N'est-ce pas là un indice que la bienveillance est beaucoup plus proche de notre « nature véritable » que la malveillance ? Si tel est le cas, être en harmonie avec cette nature sustente la joie de vivre, tandis que s'en éloigner entraîne une insatisfaction chronique.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 201-202)

Fontaine, Yerevan (Arménie)

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