jeudi 29 novembre 2012

L'entraînement mental modifie physiquement le cerveau

Au cours des années 1990, Pascual-Leone, professeur de neurologie à la Harvard Medical School, mena une expérience qui, a posteriori, semble jeter une passerelle entre la découverte que les stimuli externes altèrent le cerveau et les travaux plus récents démontrant que les stimuli autogénérés — la pensée et la méditation — en sont également capables. Il enseigna à un groupe de sujets un exercice à cinq doigts sur le clavier d'un piano. Ils devaient jouer le morceau avec le plus de fluidité possible, sans faire de pause, en tentant de soutenir le rythme du métronome, soixante battements par minute. Les sujets s'exercèrent deux heures par jour, pendant cinq jours. Ils passèrent ensuite une épreuve où ils devaient jouer le morceau vingt fois tandis qu'un ordinateur dénombrait leurs erreurs. Au fil des cinq jours, les joueurs commettaient de moins en moins d'erreurs, et leur rythme s'améliorait si bien que les intervalles entre chaque note se rapprochaient peu à peu de ce qu'exigeait le métronome.
Les sujets subirent un autre test. Pendant quelques minutes chaque jour, ils s'installaient sous un ressort de métal émettant une brève impulsion magnétique dans le cortex moteur de leur cerveau. La Stimulation Magnétique Transcrânienne (SMT) invalide momentanément les neurones juste au-dessous du ressort ; elle permet ainsi aux scientifiques d'inférer quelle fonction ces neurones gèrent. Chez les pianistes, l'impulsion était dirigée vers le cortex moteur – plus spécifiquement, vers la bande qui contrôle la flexion et l'extension des doigts. Ainsi, les chercheurs étaient en mesure de cartographier les frontières de cette bande et de discerner la zone du cortex moteur consacrée aux mouvements des doigts requis pour l'exercice au piano. Les scientifiques constatèrent qu'après une semaine de pratique, la bande de cortex moteur gérant les mouvements de ces doigts avait usurpé les zones avoisinantes, comme des pissenlits sur une pelouse impeccable.
Ces résultats correspondaient tout à fait à l'afflux croissant de découvertes montrant que plus un muscle est utilisé, plus le cerveau lui consacrera d'immobilier cortical. Mais Pascual-Leone ne s'arrêta pas là. Il pria un autre groupe de sujets de simplement songer à l'exercice de piano. Ils jouaient le morceau simple dans leur tête, imaginant comment ils bougeraient les doigts pour produire les notes de la mélodie. Le résultat : la région du cortex moteur responsable des doigts exécutant le morceau s'étendit dans le cerveau des sujets qui ne faisaient qu’imaginer qu'ils jouaient, tout comme elle s'était développée chez ceux l'exécutaient concrètement. Les répétitions mentales activaient les mêmes circuits moteurs que les répétitions dans les gestes, avec les mêmes résultats : l'activation accrue entraînait une expansion de cette partie du cortex moteur.
Pascual-Leone et ses collègues écrivaient par la suite : « Une réorganisation similaire fut induite par la pratique mentale. » « L'exercice mental peut suffire à promouvoir la modulation plastique des circuits neuraux. » Et cette modulation plastique peut permettre aux gens d'acquérir une aptitude plus rapidement. Si ces résultats sont valables pour d'autres formes de mouvement (et il y a lieu de croire qu'ils le sont), alors s’exercer mentalement à un coup au golf, à une passe vers l'avant ou à la natation pourrait conduire à maîtriser le mouvement sans requérir autant de pratique physique. Plus globalement toutefois, cette découverte apportait encore une preuve venant étayer la capacité de l'entraînement mental de modifier physiquement le cerveau.
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p. 174-175)

Hauts-plateaux à proximité du col de Selim (Arménie)

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