lundi 27 juin 2011

Dialogue avec le Dalaï-Lama sur les émotions

"Dalaï-lama : ... Quand on étudie les émotions et qu’on essaie de comprendre celles qui sont destructrices (afflictives) et celles qui ne le sont pas, il ne s’agit pas tant de la nature des émotions elles-mêmes, mais plutôt de savoir dans quelle mesure ces émotions sont réalistes et appropriées aux conditions données, et dans quelle mesure elles sont irréalistes. Quand une émotion devient irréaliste, elle tend à être afflictive, ce qui est destructeur.
Paul Ekman : Je conviens tout à fait que chaque émotion peut être exprimée de manière constructive ou destructrice.
Pour avoir un choix sur la manière d’exprimer une émotion, il faut être conscient de l’émotion au moment où elle monte, de «l’étincelle avant la flamme », ou, en termes occidentaux, de l’impulsion avant l’action. Alors, si vous êtes pleinement conscient qu’une émotion est en train de naître, vous devriez être capable d’ajuster votre réaction tant dans son ampleur que dans le mode de réponse.
Dalaï-lama : (Traduit du tibétain) C’est très vrai, parce qu’on trouve dans les textes de méditation le rôle des deux principales facultés qui sont appliquées en permanence – la première est la pleine conscience et l’autre est ce qu’Alan Wallace appelle la « méta-attention », une forme de conscience de soi.
Le rôle de la conscience de soi, cette méta-attention, est de former le pratiquant pour qu’il arrive à un point où il est capable de détecter, avant même que l’émotion réelle ne se développe, une tendance vers cette émotion. Plus vous êtes entraîné, plus vous êtes capable de déceler tôt le potentiel de naissance de cette émotion.
Paul Ekman : Nous sommes d’accord sur le fait que les émotions peuvent être afflictives ou non afflictives. Si elles sont afflictives, il y a distorsion ; elles ne sont pas en phase avec la réalité. Vous êtes d’accord ?
Dalaï-lama : Oui.
Paul Ekman : Et si elles sont non afflictives, elles sont adaptées à la réalité ; pas de distorsion.
Dalaï-lama : Oui. C’est ça.
Paul Ekman : Qu’est-ce qui fait que l’émotion se présente comme afflictive ou non ? Ce que je propose est qu’à la première apparition d’une émotion, un étrécissement de l’attention survient, et des informations vitales qui ne semblent pas être en rapport avec l’émotion qui a surgi sont écartées de la perception de la personne. Chez quelqu’un de très compétent émotionnellement, cet étrécissement de l’attention ne dure que quelques fractions de seconde. Chez la plupart des gens, il perdure tout au long de l’émotion, de sorte qu’ils ressentent une émotion déformée, afflictive.
Vous agissez sur la base d’informations insuffisantes, seulement une partie de ce qui se passe. La clé, en termes occidentaux, est la « conscience active », être conscient de ce dont vous avez conscience".



Dalaï-lama, entretien avec Paul Ekman, « La voie des émotions », City Poche, 2008, p. 73-75

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire