samedi 11 février 2012

Faire comme tout le monde

"Observez attentivement la figure ci-après. D'après vous, quelle ligne est la plus proche de la ligne de référence ?



Vous avez sans doute - à juste titre - répondu qu'il s'agissait de la ligne n°2. Cela vous paraît évident ? Pourtant, il n'est pas sûr que vous auriez répondu de la sorte si vous aviez été placé dans les conditions d'une très célèbre expérience de psychosociologie que nous allons vous décrire...
On avait demandé à des sujets volontaires d'évaluer la longueur des traits d'après le même schéma que celui que vous avez sous les yeux. Lorsqu'ils étaient seuls, moins de un sur mille se trompait ; l'immense majorité identifiait donc la ligne n°2 comme étant la bonne réponse. Par contre, si les sujets étaient mêlés à d'autres personnes (en fait, des comparses de l'expérimentation), les choses se compliquaient. Durant les deux premiers exercices, les comparses se comportaient normalement, c'est-à-dire qu'ils donnaient des réponses logiques et désignaient la bonne ligne. Au troisième exercice, les comparses - on s'arrangeait pour qu'ils donnent leur réponse avant le sujet - avaient pour consigne de tous choisir la ligne n°1 ou n°3 comme la plus proche de la ligne de référence, et de le faire avec la plus grande décontraction et le plus grand naturel. Les sujets montraient alors des signes de tension et de gêne assez intenses ; puis, un tiers d'entre eux se rangeaient à l'avis du groupe et choisissaient la mauvaise réponse.
La principale raison de ce conformisme est probablement la peur du rejet social… : c'est elle qui poussa nombre des participants à « faire comme tout le monde ». Cette peur est très liée à l'estime de soi. On a d'ailleurs pu montrer, en renouvelant cette expérience ultérieurement pour mieux en étudier certains variables, que notre conformisme social s'accroît d'autant plus que notre estime de soi est malmenée : plus les sujets étaient placés dans un environnement où ils se sentaient mal à l'aise ou incompétents (par exemple avec d'autres volontaires très sûrs d'eux, ou visiblement familiers du laboratoire de psychologie), ou plus ils admiraient le statut du groupe (par exemple si on leur présentait les autres personnes comme membres d'un groupe d'experts ou d'étudiants plus avancés qu'eux dans leurs études), plus ils choisissaient les mauvaises réponses.
Moralité ? Méfiez-vous de vos choix toutes les fois où vous êtes amené à prendre une décision au sein d'un groupe. Et ce, d'autant plus que le groupe vous intimide et vous fait douter de vous : en effet, plus votre estime de soi sera basse, plus vous vous montrerez grégaire - parfois aux dépens du simple bon sens..."

Christophe ANDRÉ, « Les états d’âme, un apprentissage de la sérénité », Éd. Odile Jacob, 2009 [2011 pour l’édition poche, n°295], p.177-178.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire