lundi 19 septembre 2011

Transformer les sentiments [émotions]

"La première étape de la transformation des sentiments consiste à les identifier au fur et à mesure qu’ils apparaissent. C’est la vigilance qui permet cela. Dans le cas de la peur, par exemple, votre vigilance va regarder la peur, la reconnaître comme telle. Vous savez que la peur vient de vous, tout comme la vigilance vient également de vous. L’une et l’autre sont en vous – mais l’une prend soin de l’autre.
La deuxième étape, c’est de ne faire qu’un avec le sentiment. Mieux vaut ne pas dire : « Va-t’en, la peur ! Je ne t’aime pas. Tu n’es pas moi. » Il est beaucoup plus efficace de dire : « Salut, la peur ! Comment ça va aujourd’hui ? » Vous pouvez alors inviter les deux aspects de vous-mêmes, la vigilance et la peur, à se serrer la main et à s’unifier. Faire cela peut être effrayant. Mais comme vous savez que vous êtes davantage que seulement votre peur, vous n’avez pas à être effrayé. Tant que la vigilance sera là, elle va chaperonner votre peur. La pratique fondamentale consiste à nourrir votre vigilance en respirant consciemment, afin de la garder là, vivante et forte. Même si la vigilance n’est pas très solide au début, si vous la nourrissez, elle va se renforcer. Tant que la vigilance est présente, vous ne vous noierez pas dans votre peur. En réalité, vous commencerez à la transformer dès l’instant où vous ferez émerger la vigilance en er la vigilance en vous.
La troisième étape consiste à calmer le sentiment. La vigilance prend soin de votre peur – et vous commencez à vous calmer. « J’inspire, je calme l’activité de mon corps et de mon esprit. » Vous calmez votre sentiment rien qu’en étant avec lui, comme une mère tiendrait tendrement son bébé qui pleure. Au contact de la tendresse de sa mère, le bébé se calme et cesse de pleurer. La mère, c’est votre vigilance, née dans le tréfonds de votre conscience – et elle va prendre soin de la douleur. Une mère qui tient son bébé ne fait qu’un avec son bébé. Si la maman pense à autre chose, le bébé ne se calmera pas. La mère doit mettre de côté tout le reste et simplement tenir son bébé. Alors n’évitez pas vos sentiments. Ne dites pas : « Tu n’es pas important, tu n’es qu’un sentiment. » Venez et ne faites qu’un avec lui. Vous pouvez dire : « J’expire, je calme ma peur. »
La quatrième étape consiste à lâcher son sentiment, à le laisser partir. Grâce à votre calme, vous vous sentez bien, même au milieu de la peur et vous savez que votre peur ne va pas se mettre à grandir et vous submerger. Quand vous réalisez que vous êtes capable de prendre soin de votre peur, celle-ci est déjà réduite au minimum, devenant plus douce et un peu moins désagréable. Maintenant, vous pouvez sourire et la laisser partir – mais s’il vous plaît, ne la faites pas encore complètement disparaître. Apaisement et lâcher-prise ne font que traiter les symptômes. Vous avez maintenant l’opportunité d’aller plus loin et de travailler à transformer la source de votre peur.
La cinquième étape consiste en l’approfondissement. Vous regardez pleinement votre bébé - votre sentiment de peur – pour voir ce qui ne va pas. Faites-le, même une fois que le bébé a cessé de pleurer, une fois que la peur est partie. Vous ne pourrez pas tenir votre bébé tout le temps : vous devez donc bien le regarder pour savoir ce qui ne va pas. En regardant, vous découvrirez comment transformer le sentiment. Vous réaliserez par exemple que la souffrance de la peur a bien des causes, en vous et hors de vous. C’est la même chose avec l’enfant. Si quelque chose ne va pas dans son environnement, vous y remédiez avec sollicitude pour qu’il se sente mieux. En regardant bien votre bébé, vous distinguez les éléments qui le font pleurer : ainsi, vous savez quoi faire et ne pas faire. Et de même avec vos sentiments : vous pouvez les transformer et vous en affranchir.
C’est un processus similaire à la psychothérapie. Au côté de son patient, un thérapeute cherche la nature de la souffrance. Souvent, le thérapeute peut révéler les causes d’une souffrance. Celle-ci provient de la façon dont le patient regarde les choses, des croyances qu’il a sur lui-même, sur sa culture et sur le monde en général. Le thérapeute examine ces points de vue et ces croyances avec le patient. Ce travail commun aboutit alors à libérer le patient de la prison dans laquelle il est enfermé. Mais les efforts du patient sont cruciaux. Un professeur doit faire naître un professeur dans son élève – et un psychothérapeute doit savoir éveiller le psychothérapeute qui sommeille chez son patient.
Le thérapeute ne traite pas le patient en lui offrant simplement un ensemble de nouvelles croyances. Il essaie de l’aider à voir quelles idées et croyances l’ont amené à souffrir ainsi. Beaucoup de patients veulent se débarrasser de leurs émotions douloureuses, mais ils ne veulent pas abandonner leurs croyances et points de vue qui sont les racines mêmes de leurs souffrances. Thérapeute et patient doivent alors travailler ensemble pour que le patient voie les choses telles qu’elles sont. C’est la même chose quand on utilise la vigilance pour transformer nos sentiments. Après avoir identifié le sentiment, nous être unis à lui, l’avoir calmé et l’avoir lâché, on peut regarder plus profondément les causes, qui sont souvent basées sur des perceptions erronées. Dès que nous comprenons les causes et la nature de nos sentiments, ceux-ci commencent à se transformer d’eux-mêmes."

Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant », préface du XIVème Dalaï-lama, J’ai Lu n°8863, 2009, p. 69-73



 

  

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