jeudi 14 avril 2011

Ni défoulement, ni refoulement

"Un certain Ancien, qui avait jeûné courageusement pendant cinquante ans, disait : « J’ai éteint en moi les flammes de la concupiscence, de l’avarice et de la vanité. » L’Abbé Abraham, l’ayant appris, vint le trouver et lui demanda : « Avez-vous vraiment dit cela ? »
– Oui, répondit l’Ancien.
Alors l’Abbé Abraham déclara : « Si, en entrant dans votre cellule, vous trouvez une femme étendue sur votre natte, pouvez-vous la considérer comme si ce n’était pas une femme ? »
L’autre répondit : « Non, mais je peux lutter pour ne pas la toucher. »
– Alors vous n’avez pas tué en vous la fornication, dit l’Abbé Abraham. La passion vit, mais elle est enchaînée. Supposez maintenant qu’étant en voyage, vous apercevez de l’or parmi les pierres et les débris de poterie du chemin : pouvez-vous le regarder comme s’il n’avait pas plus de valeur que le reste ?
– Non, répondit-il, mais je résiste à mes désirs et je ne le ramasse pas. »
Alors l’Abbé Abraham observa : « Vous voyez, la passion est encore vivante en vous, mais elle est enchaînée. » Puis il reprit : « Si vous entendez parler de deux frères, dont l’un vous aime et dit du bien de vous, tandis que l’autre vous déteste et dit du mal de vous, et qu’ils viennent vous voir, les recevrez-vous de la même façon ? »
– Non, et j’aurai l’âme déchirée parce que je m’efforcerai d’être aussi agréable envers celui qui me déteste qu’envers l’autre.
Alors l’Abbé Abraham conclut : « Donc vos passions ne sont pas mortes car … elles sont seulement, jusqu’à un certain point, enchaînées.»"

« La sagesse du désert, aphorismes des Pères du désert », présentés par Thomas Merton, Albin Michel, 2006, p. 103

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire