lundi 6 janvier 2014

Comprendre comment notre cerveau fonctionne agrandit notre liberté

L’interface cerveau-conscience constitue un champ dont les frontières vont beaucoup bouger. Je pense, par exemple aux travaux sur les grandes fréquences de l’activité électrique gamma, que Richard Davidson et son équipe de neurologues de l’université du Wisconsin captent dans les cerveaux de Matthieu Ricard et de ses collègues en train de méditer. Quand ces moines bouddhistes, qui ont déjà médité des milliers d’heures, entrent en état de pleine conscience, leurs cerveaux se mettent très facilement en fréquences gamma. Les ondes gamma, enregistrées sur électroencéphalogramme, semblent bel et bien signaler un état de conscience très particulier, propice au recul et à la synthèse perceptive.
Pourriez-vous nous rappeler quelles ondes dégagent nos cerveaux humains ordinaires ?
Les fréquences alpha (de 8 à 13 hertz) sont associées à des états de détente, de relaxation légère, d’éveil tranquille, et les fréquences bêta (14 hertz et plus) à des états de concentration, d'activité volontaire, d'intention. Quand vous êtes au travail, votre cerveau est plutôt en fréquences bêta. Mais même au bureau, si vous fermez les yeux et respirez calmement, vous pouvez assez vite passer en ondes alpha. Il suffit que vous rouvriez les yeux pour instantanément repasser en bêta. À partir du fonctionnement en alpha, vous pouvez vous endormir. Les ondes delta (de 0,5 à 4 hertz) sont celles du mystérieux sommeil profond, sans rêve. Quand vous rêvez, vous repassez en fréquences bêta. Les méditants expérimentés connaissent les ondes thêta (de 4 à 7 hertz), qui correspondent à un état de relaxation profonde en plein éveil. Quant aux ondes gamma, elles atteignent au contraire de très hautes fréquences (au-dessus de 30 ou 35 hertz) et semblent témoigner d'une très grande activité cérébrale : celle des créatifs en pleine production... et celle des méditants de très haut niveau. Pour le moment, on ignore si ces ondes gamma sont spécifiques ou s'il s'agit d'ondes bêta plus rapides.
Que mesure au juste l’électroencéphalogramme ?
Il enregistre les conversations que se tiennent entre eux des milliards de neurones, et il fait la synthèse globale de l'incroyable tumulte électrique du cerveau. C'est un peu comme un télescope qui, de très loin, simplifie le tohu-bohu d'une galaxie en le réduisant à une figure simple. Le « bruit de fond » du cerveau est d'autant plus grand que nous sommes occupés à de multiples tâches.
Il diminue lorsque, cessant toute activité, nous laissons la conscience émerger, sans autre objet d'observation qu'elle-même. Personnellement, je trouve géniale toute cette recherche sur l'entraînement de l'esprit. Je trouve enthousiasmant que des exercices simples, applicables quotidiennement, puissent enrichir mon cerveau — pour surmonter certaines souffrances aussi bien que pour vivre plus intensément.
J'avoue que je suis, d'une façon générale, un émerveillé. Je ne comprends pas, par exemple, cette peur du réductionnisme que ressentent certains, effrayés à l'idée qu'il risquerait de « désenchanter le monde ». Qu'il s'agisse des gènes qui déterminent nos caractères innés, ou des neurones dont le tissage engendre nos états intérieurs, ces découvertes me semblent fabuleuses et enchanteresses ! Je suis entièrement d'accord avec Antonio Damasio quand il dit : « Ce n'est pas parce que vous savez que le parfum d'une rose dépend de telles molécules que vous cessez d'être ému par ce parfum. » Je dirais même qu'au contraire, le fait de connaître les atomes et les molécules responsables d'une odeur sublime me rend encore plus admiratif de ces subtilités. Toutes ces découvertes récentes sur la neuroplasticité du cerveau me font encore plus aimer ma condition humaine. Comprendre comment notre cerveau fonctionne agrandit notre liberté, en nous offrant la possibilité de savourer intellectuellement ces merveilles. Et nos patients partagent bien souvent ce sentiment. Pouvoir expliquer à quelqu'un pour quelles raisons précises il souffre, savoir modéliser sa dépression ou sa phobie, je le constate à longueur d'année, cela soulage.
(Christophe ANDRÉ, Pierre BUSTANY, Boris CYRULNIK, Thierry JANSSEN, Jean-Michel OUGHOURLIAN, Entretiens avec Patrice VAN EERSEL « Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » (2012), Éditions Albin MICHEL 2012, Entretien avec Christophe ANDRÉ, p. 156-158)

Limpidité et féérie des couleurs de la rivière Soča (Slovénie)

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