mardi 5 novembre 2013

Un coussin, un mur, le silence (II)

Si le cerveau était un système inerte, l’expérience n’aurait aucun intérêt. Soumis à des stimulations sensorielles constantes, l’activité cérébrale convergerait rapidement vers un mode stable et stationnaire. Il ne se passerait rien, et le maintien de l’attention sur la respiration ne présenterait aucune difficulté. Cela ne ferait rien de faire du zen. Mais le cerveau ne se contente pas de réagir au monde extérieur comme un piano sous les doigts du pianiste. Quand le monde laisse ses doigts sur les touches sans les relever, le cerveau continue à jouer tout seul, en improvisant, et cette petite musique vient sans cesse capturer l’attention : il est extrêmement difficile, même dans un lieu calme, de rester concentré sur sa respiration. C’est le premier enseignement de cette expérience.
On aurait pu s’en douter, car le mouvement régulier et léger de la respiration n’a aucune des caractéristiques qui attirent habituellement l’attention, pour la capturer et la captiver. La respiration est une sensation ténue, répétée et dénuée de toute valeur émotionnelle. Mais cet argument ne peut pas expliquer à lui seul la difficulté de l’exercice, car la respiration n’est en compétition avec aucun stimulus du monde extérieur ; et, sur le plan intérieur, seules quelques sensations corporelles, musculaires notamment, pourraient distraire l’attention, mais elles ne sont guère plus palpitantes.
Et pourtant, l’attention s’éloigne sans cesse de sa cible. Essayez de maintenir votre attention sur votre respiration pendant quelques minutes et vous verrez par vous-même : l’expérience révèle l’existence de mouvements naturels de l’attention, qui n’ont pas d’autre cause que la dynamique spontanée et autoentraînée de l’activité cérébrale. C’est le deuxième enseignement de cette expérience. Un enseignement déconcertant, voire fascinant, au point que certaines personnes décident de répéter l’expérience encore et encore, en passant de longues heures en silence face à leur mur à user des coussins, jusqu’à développer une connaissance intuitive et directe de cette dynamique et des lois qui la gouvernent, comme un marin apprend à connaître les vents qui gonflent ses voiles. Pourquoi cet acharnement ? Peut-être parce que ce savoir-faire peut se révéler utile une fois l’expérience terminée, lorsqu’il est temps de se lever et de retourner dans le chaos du monde, non pas pour arrêter le souffle du vent, mais pour comprendre ses caprices et savoir y faire face.
Pour l’heure, retenons simplement que le cerveau n’est pas un piano, ou alors un modèle étrange capable de poursuivre sa petite musique tout seul quand le musicien a cessé de jouer. Le cerveau est en permanence actif et les stimulations du monde extérieur ne font que moduler une activité déjà existante. Du point de vue du propriétaire de ce cerveau, le sujet de l’expérience, le petit concert prend principalement la forme d’images mentales, de sensations corporelles et d’impressions sonores, éventuellement verbales, accompagnées ou non d’un ressenti émotionnel ; tout ce que nous appelons couramment les pensées.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.201-202)

Erg Mehedjebat (Algérie)

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