jeudi 29 décembre 2016

Pour nombre de personnes, se retrouver seul avec ses pensées peut être une forme de torture...

Pour nombre de personnes, se retrouver seul avec ses pensées est une forme de torture. Les insomniaques qui souffrent le martyre en restant éveillés nuit après nuit apprennent rapidement qu’il vaut mieux, et de loin, se lever et faire quelque chose, n’importe quoi, plutôt que de tourner et se retourner dans son lit avec son esprit agité pour seule compagnie, dans le vain espoir de finir par s'endormir. Quand on est seul la nuit dans le noir, les émotions négatives telles que la culpabilité, le manque de confiance en soi et l’anxiété se déchaînent. L'aube et sa promesse de tâches quotidiennes et d’interactions sociales renvoient habituellement dans leurs cavernes ces monstres de notre imagination, mais ils peuvent resurgir chaque fois qu'aucune distraction extérieure ne vient occuper notre esprit. Certaines personnes se donnent beaucoup de mal pour empêcher que cela n'arrive, ainsi que l'a montré une série d'expériences réalisées en 2014 par des psychologues de Harvard et de l'université de Virginie.
On demanda à des étudiants de rester assis, isolément, durant quinze minutes, dans une pièce nue simplement munie d'une chaise, et de « se laisser distraire par leurs pensées ». Ils pouvaient penser à ce qu'ils voulaient, la seule règle étant qu'ils devaient rester sur leur siège et éveillés. Avant d'entrer dans la salle, ils devaient déposer tout matériel susceptible de les distraire — téléphones portables, livres, papier, stylos, etc. À la fin, on leur demanda d'évaluer divers aspects de l'expérience. Comme on pouvait s'y attendre, une majorité d'entre entre eux dirent avoir eu de la peine à se concentrer, que leurs esprits n'avaient cessé de vagabonder, et la moitié environ d'entre eux affirmèrent ne pas avoir apprécié l'expérience.
Une expérience ultérieure révéla toutefois que nombre d'entre eux trouvèrent qu'être laissés seul dans une pièce vide sans rien pour occuper son esprit était si désagréable (c'est après tout ce qui fait de l'isolement cellulaire une punition si sévère) qu'ils seraient allés jusqu'à se donner des chocs électriques pour se distraire. Dans la première partie de cette expérience, on demanda aux volontaires d'évaluer le caractère désagréable d'un choc délivré par des électrodes fixées à leurs chevilles et de dire s'ils accepteraient de payer une petite somme d'argent pour s’éviter un nouveau choc. Dans la seconde partie, durant laquelle ils furent laissés seuls avec leurs pensées pendant quinze minutes, on leur offrit de nouveau la possibilité de s’électrocuter. Curieusement, parmi ceux qui s'étaient dits prêts à payer pour s’éviter cela, 67 pour cent des hommes (12 sur 18) et 25 pour cent des femmes (6 sur 24) choisirent au moins une fois de se donner un choc électrique. Une des femmes se donna neuf chocs. L'un des hommes se donna pas moins de 190 chocs, mais fut considéré comme sujet exceptionnel — une aberration statistique — et ses résultats furent exclus de l'analyse finale.
Dans leur article pour la revue Science, les chercheurs écrivent : « Ce qui est frappant, c'est qu'être simplement seuls face à leurs propres pensées pendant 15 minutes était apparemment si atroce que cela poussa nombre de participants à s'administrer un choc électrique dont ils avaient dit auparavant qu'ils paieraient pour l'éviter ». Cela explique en grande partie pourquoi de nombreuses personnes trouvent au début si difficile de méditer : rester tranquillement assis les yeux fermés est en effet une invitation au vagabondage de l'esprit. En un sens, c'est là tout l'objet de la méditation : apprendre simplement à remarquer quand cela est arrivé. Dès lors, la prise de conscience frustrante que vos pensées vagabondent — une fois de plus — est en fait le signe d'un progrès et non d'un échec. C'est seulement en remarquant que les pensées rebondissent à l'intérieur de nos têtes comme des billes dans un flipper que nous pouvons apprendre à les observer sans émotion et à les laisser simplement s'arrêter, en résistant à l'envie de tirer sur le lanceur mental pour en injecter davantage. L'un des avantages de la méditation est qu'elle développe la capacité d'apaiser l'esprit à volonté. « Sans une telle formation, concluent flegmatiques les psychologues dans leur article, les gens préfèrent l'action à la pensée, même si ce qu'ils font est si désagréable que normalement ils paieraient pour éviter de le faire. L'esprit non exercé n'aime pas être seul avec lui-même ».

(KINGSLAND James, « Bouddha au temps des neurosciences : Comment la méditation agit sur notre cerveau », Éditions Dunod, 2016, p.112-113)

Erg Mehedjebat (Algérie)

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