mardi 23 avril 2013

Le bonheur comme un acte de conscience

Tout commence par le bien-être. Avoir le ventre plein, être au calme, au chaud, sans menaces. C'est déjà parfait, c'est déjà merveilleux de se sentir ainsi. Ce bien-être élémentaire est commun à tous les animaux, à tous les vivants, dont l'être humain. Il est possible d'en rester là. Mais il ne s'agit pas vraiment de bonheur, car ce que l'on nomme bonheur va bien au-delà.
Si l'on prend conscience de ces instants de bien-être, si l'on se dit « ce que je vis est une chance, une merveille, une grâce », alors il se passe autre chose. Alors, le bien-être se transcende en bonheur. Si j'ouvre mon esprit et si je savoure de toute ma conscience ce qui m'arrive de bon, si je me rends présent, alors l'impact sur moi de cet instant sera infiniment plus fort. Il dépassera le simple stade de la satisfaction de mes besoins physiques et psychiques. Il sera capable de satisfaire ou d'apaiser mes aspirations et mes démangeaisons métaphysiques : sens, appartenance, amour, paix, éternité...
Sans conscience, pas de bonheur. Ou alors, juste des bonheurs rétrospectifs, comme dans ce vers célèbre de l’écrivain et poète Raymond Radiguet : « Bonheur, je ne t'ai reconnu qu'au bruit que tu fis en partant. » Sans conscience du présent, nous regretterons les bonheurs passés que nous n'avons pas su vivre. Bonheurs mort-nés auxquels nous n'avons pas donné vie par notre conscience. C'est cc qui nous arrive quand l’existence nous bouscule, quand nous avons tant de choses à faire que nous ne prenons pas le temps d'ouvrir les yeux sur toutes les propositions de bonheur qui croisent notre chemin. Ce qui nous arrive aussi lorsque nous sommes tristes ou inquiets : nous n'habitons plus le présent et notre esprit prend demeure dans l'inquiétude de l'avenir ou les regrets du passé. Et le bonheur, nous ne pouvons alors que l'espérer ou le pleurer, et non plus l’éprouver.
La pleine conscience peut nous aider à savourer plus intensément encore la multitude de propositions de bonheur que nous offrent nos journées. Si nous les traversons avec l'esprit ailleurs (dans nos projets, nos pensées, nos soucis), nous ne verrons rien et ne ressentirons rien. Si régulièrement nous ouvrons notre esprit et notre conscience à tout ce qui nous entoure, sans les chercher, nous les verrons. Sans le vouloir, nous serons touchés par leur grâce. Et souvent, nous serons heureux, même par petits bouts. Parenthèses de bonheur dans le cours de nos jours, légères, brèves, imparfaites et incomplètes, mais multiples, changeantes, vivantes et renouvelées. Vies saupoudrées de petites poussières de bonheur. Vies heureuses par petits morceaux : vies heureuses, simplement.
(Christophe ANDRÉ, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p.235-236)

Grenouille égarée, Monastère de Haghardzine (Arménie)

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