vendredi 5 avril 2013

Comment éviter que l'attention se laisse engloutir par les vagues des pensées ?

Je surfe, donc je suis
L'expérience du méditant novice confirme que le problème principal est d'abord de se souvenir de « faire attention à faire attention ». Une fois absorbé par une pensée, ce souvenir disparaît. D'après ce que nous avons appris aux chapitres précédents, nous pouvons même faire l'hypothèse raisonnable que l'activité de certains neurones du cortex préfrontal dorso-latéral, chargés de retenir le task set « surveiller attentivement la respiration », est retombée au niveau du bruit de fond. Mais comment le méditant expert résout-il ce problème ? Mon expérience personnelle, au contact de tels experts m'amène à penser qu'ils finissent par développer une sensibilité particulière à certains indices précédant la perte contrôle de l'attention. Les recherches menées en psychologie du sport montrent clairement que dans toutes les disciplines qui demandent de réagir vite à des événements externes, les pratiquants de haut niveau développent à force d'entraînement une sensibilité accrue à toutes les informations qui leur permettent d'anticiper le cours de l’action. Pour le gardien de but, il peut s'agir de la façon dont le tireur de penalty se positionne, et pour le champion de tennis, du geste de service de ses adversaires ; les exemples ne manquent pas. Dans le cas de la méditation, la pratique consiste pour une part importante à éviter que l’attention ne soit captivée. Il est donc raisonnable de penser que le méditant expert est capable d'identifier les signes avant-coureurs de la captivation, pour éviter cette dernière avant qu'elle ne survienne. Ces signes sont brefs, mais visibles, à condition de savoir les reconnaître et y réagir. Il peut s'agir d'une légère tension des muscles du visage au moment où il commence à s'imaginer discuter avec un ami, ou d'une légère tension du cou vers l'avant à la perspective fugace du week-end à venir, ou encore d'une sensation au niveau de l'oreille quand un son attire son attention, ou bien d'un changement subtil dans sa respiration. Dans le zazen, par exemple, la forme de méditation assise pratiquée dans le zen, le méditant est encouragé à faire attention à ses sensations corporelles. Selon cette tradition, les sensations du corps reflètent fidèlement les mouvements de l'esprit, ce qui est conforme à ce que les neurosciences nous ont appris sur le lien entre perception et action dans le lobe pariétal. Même furtives, ces sensations peuvent indiquer qu'une phase de captivation est sur le point de se produire. Il est donc possible que l'expert sache reconnaître les signes accompagnant la capture de son attention suffisamment tôt pour y réagir, avant que la captivation ne suive. Pour le novice, il est déjà trop tard, son attention s'est déjà laissé engloutir par la vague. L’expert surfe, le novice coule.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.309-310)

Goéland planant au-dessus des vagues, Bretagne (France)



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