samedi 9 février 2013

Le « vagabondage de l'esprit »

Pour acquérir un savoir-faire, le cerveau a besoin : a) de pouvoir essayer plusieurs fois, et b) d'avoir à chaque fois un retour sur sa performance. Prenez une feuille de papier et faites-en une boulette, puis essayez de l'envoyer dans la corbeille la plus proche. La première fois, sauf coup de chance, vous raterez votre cible, mais à force d'essayer, et en corrigeant progressivement la force et la direction du tir, vous finirez par y arriver presque à chaque coup. Le cerveau apprend simplement en constatant à chaque fois son erreur et en affinant progressivement le mouvement. Pour apprendre à se concentrer, le principe est le même. Le cerveau a besoin de savoir s'il fait bien attention ou pas, et surtout d'échouer, de nombreuses fois, jusqu'à trouver la bonne façon de s’y prendre. C'est là que le bât blesse, car pour savoir si vous faites attention, vous devez être attentif... à votre attention. Si vous êtes distrait, vous ne vous rendrez pas compte que vous ne faites pas attention, puisque vous ne faites plus attention. Amusant, non ?
L'évaluation de votre – mauvaise – performance n'est possible qu'après coup, quand vous réalisez que vous vous êtes laissé distraire. Ceux qui ont une expérience de la méditation connaissent très bien ce phénomène. Je m'assois en essayant de rester concentré sur ma respiration, mais bien sûr, mon attention ne tarde pas à décrocher pour s'intéresser à mes pensées, bien plus intéressantes et donc bien plus captivantes. Mon esprit vagabonde ; c'est le phénomène de mind-wandering – terme consacré en neurosciences cognitives et traduction littérale de l'expression « vagabondage de l'esprit » – qui s'accompagne, comme l'ont montré les psychologues Kalina Christoff et Jonathan Schooler, d’une forte activité du réseau par défaut. Il peut alors s'écouler plusieurs minutes avant que je ne remarque que j'ai été captivé. La consigne de l'exercice me revient alors en mémoire, et je ramène simplement et doucement mon attention sur ma respiration, jusqu'à la prochaine distraction, et ainsi de suite. Pour bien faire, il faudrait que je puisse surveiller mon niveau d'attention de façon continue, pour corriger le tir au moindre décrochage et me reconcentrer. Mais si j'en étais capable, je n'aurais plus besoin d’entrainement car je serais en réalité parfaitement et tout le temps attentif. La méditation me propose une solution intermédiaire qui consiste à surveiller mon attention aussi souvent que, possible, c'est-à-dire à chaque fois que je n'oublie pas de le faire.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.305-307)

Tassili N'Ajjer, près de Djanet (Algérie)

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