mardi 22 janvier 2019

Les simulations produites par le cerveau sont source de souffrances

Selon le bouddhisme, la souffrance est la conséquence du désir irrépressible exprimé à travers Trois Poisons : l'avidité, la haine et l'illusion. Ces termes forts couvrent un vaste éventail de pensées, de mots et d'actes, y compris les plus fugaces et les plus subtils. L'avidité est l'attrait pour la carotte et la haine, une aversion pour le bâton. Tous deux impliquent le désir de connaître plus de plaisir et moins de douleur. L'illusion est l'ignorance de la réalité des choses - par exemple ne pas voir qu'elles sont connectées et changeantes.

Réalité virtuelle
Parfois, ces poisons sont évidents. Toutefois, la plupart du temps, ils opèrent à l'arrière-plan de la conscience, déchargeant et se raccordant discrètement. Ils y parviennent en se servant de la capacité extraordinaire du cerveau à représenter aussi bien l'expérience intérieure que le monde extérieur. Par exemple, les angles morts de vos champs de vision gauche et droit ne ressemblent pas à des trous dans la réalité. C'est le cerveau qui les remplit, tout comme en photographie on retouche les yeux rouges des gens qui regardent vers le flash. En fait, une grande partie de ce que vous voyez « à l'extérieur » est en réalité fabriquée « à l'intérieur » par votre cerveau, comme des images de synthèse dans un film. Seule une petite fraction des données transmises au lobe occipital parvient directement du monde extérieur. Le reste provient des réserves de la mémoire interne et des modules de traitement perceptifs. Votre cerveau simule le monde – chacun de nous vit dans une réalité virtuelle suffisamment proche du réel pour que nous ne nous cognions pas aux meubles.
Dans ce simulateur – dont le substrat neuronal semble centré dans la partie supéro-médiane (supérieure-médiane) de votre cortex préfrontal –, des minifilms passent en permanence. Ces petits clips sont les éléments de base d'une grande partie de l'activité mentale consciente. Pour nos ancêtres, ces simulations d'événements passés augmentaient les chances de survie car elles facilitaient l'apprentissage de comportements efficaces en reproduisant leurs schémas de décharge neuronale. Simuler des événements futurs favorisait également la survie en permettant à nos ancêtres de comparer de possibles conséquences - afin de choisir la meilleure approche - et de mobiliser des séquences sensori-motrices potentielles. Au cours des trois millions d'années écoulées, le cerveau a triplé de taille. Une grande partie de cette croissance a permis d'améliorer les capacités du simulateur, ce qui laisse entrevoir son importance pour la survie.

Les simulations sont la source de souffrances
Aujourd'hui, le cerveau continue à produire des simulations, y compris lorsqu'elles n'ont rien à voir avec la survie. Dès que vous rêvassez ou que vous repensez à un problème relationnel, ces clips se mettent en marche - de petits paquets d'expériences simulées, qui ne durent en général pas plus de quelques secondes. En les observant de près, plusieurs points troublants vous apparaîtront :
  • De par sa nature même, le simulateur vous extrait du moment présent. Vous écoutez un exposé au bureau, vous faites une course ou vous méditez, et soudain votre esprit se retrouve à un millier de kilomètres de là, absorbé dans un minifilm. Pourtant, le bonheur, l'amour et la sagesse authentiques ne sont que dans l'instant présent.
  • Dans le simulateur, les plaisirs semblent généralement extraordinaires, que vous songiez à une seconde part de gâteau ou imaginiez l'accueil qui sera fait à votre rapport au travail. Mais que ressentez-vous réellement quand vous jouez le minifilm dans la réalité ? Les promesses de l'écran sont-elles tenues ? Le plus souvent, non. En vérité, la plupart des gratifications quotidiennes sont moins intenses que celles produites dans le simulateur.
  • Dans le simulateur, les clips débordent de convictions : Bien sûr qu'il dira ceci si je dis cela ... Ils m'ont laissé tomber, c'est évident. Parfois, elles sont verbalisées de manière explicite, mais le plus souvent elles restent implicites, intégrées dans le scénario. En réalité, les convictions explicites et implicites de vos simulations sont-elles vraies ? Parfois oui, mais souvent non. Les minifilms vous bloquent en proposant une vision simpliste du passé et en niant de vraies possibilités d'avenir, comme de nouvelles façons de communiquer avec les autres ou de grands rêves. Leurs convictions sont les barreaux d'une cage invisible qui vous retiennent prisonnier d'une vie plus étroite que celle que vous pourriez avoir en réalité – comme un animal de zoo qui reste recroquevillé dans son vieil enclos bien qu'il ait été libéré dans un grand parc.
  • Dans le simulateur, les événements contrariants du passé passent en boucle, renforçant les associations neuronales entre les faits et les sentiments douloureux qu'ils ont provoqués. Le simulateur vous met également en garde contre des situations à venir dangereuses. Mais, en réalité, la plupart de ses prédictions inquiétantes ne se réalisent jamais. Et, dans le cas contraire, la gêne que vous éprouvez est souvent moins forte et plus brève que prévu. Par exemple, imaginez que vous ayez envie de laisser parler votre cœur : un minifilm pourrait vous faire craindre d'être rejeté et de vous sentir mal. Alors qu'en réalité, lorsqu'on laisse parler son coeur, les choses ne se passent-elles pas correctement, et ne finit-on pas par se sentir bien ?
En résumé, le simulateur vous coupe du moment présent et vous pousse à poursuivre une carotte, qui est moins extraordinaire que vous ne le pensez, tout en vous dissimulant des récompenses plus importantes (comme la satisfaction et la paix intérieure). Ses minifilms débordent de croyances qui réduisent le réel. En plus de renforcer les émotions douloureuses, ils vous conduisent à esquiver des bâtons qui ne vous menacent pas réellement ou qui ne sont pas si dangereux que cela. Et le simulateur fonctionne jour après jour, heure après heure, y compris la nuit, dans vos rêves – et ne cesse de bâtir des structures neuronales qui, très souvent, ne font qu'augmenter votre souffrance.

(HANSON Rick et MENDIUS Richard, « Le cerveau de Bouddha : Bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (2009), Pocket n°15 216, 2013, Préface de Christophe André, p. 76-80)

Cueva de Los Verdes (Lanzarote, Îles Canaries [Espagne])

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire