dimanche 30 novembre 2014

Tout est changement

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Une fois que nous avons appris à prendre nos histoires moins au sérieux et à nous détacher des étiquettes dont on nous a affublés, nous sommes sur la bonne voie pour que se dégage une perspective plus fluide de notre propre expérience. Pour cela, nous aurons à apprendre à observer nos pensées (jugements, justifications), nos émotions et nos sensations comme elles se présentent, au moment où elles surgissent et à les regarder évoluer d'instant en instant.
« Tout coule », dit le philosophe grec Héraclite, ce qui fait que l’« on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve ». Cette manière d'observer son expérience en restant en contact avec le moment présent est pratiquée dans les approches de méditation dite « de pleine conscience » (mindfulness) qui se propagent énormément actuellement, tant dans le domaine médical que scolaire et dans les organisations.
Quelles sont vos sensations maintenant, là où vous êtes ? Comment êtes-vous assis, quel est le poids de ce livre dans vos mains ? Que voyez-vous ? Quelles sont les pensées qui vous traversent l'esprit en cet instant ? Que ressentez-vous ?
Par ces quelques questions, on se rend vite compte que nous recourons presque continuellement à des évaluations, et que notre expérience n'est pas une construction fixe, solide, mais qu'elle se modifie en fonction des contextes. Par la pratique, nous apprenons à mieux nous connaître de l'intérieur et à reconnaître aussi qu'en fonction du moment, du contexte et d'autres facteurs, nous aurons des pensées et émotions particulières, plus ou moins agréables, mais que nous ne nous réduisons pas à ces émotions et pensées.
Jean-Jacques Rousseau l'illustre très joliment dans Les Rêveries du promeneur solitaire (5ème promenade) : « Tout est un flux continuel sur la terre : rien n'y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s'attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles. » La clef de l'apprentissage est de prendre conscience que nos expériences se modifient continuellement et que, dès lors, nous ne sommes pas obligé de rester attaché à des histoires et à des sensations anciennes. C'est ainsi que nous apprenons la flexibilité, puisqu'à tout moment, nous serons en mesure de différencier nos jugements et interprétations des observations sur le monde qui nous entoure. Cette manière de percevoir le monde nous ancre dans le présent et nous éloigne, nous libère du poids des jugements. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas juger ou que l'on ne jugera plus jamais : le jugement est une fonction importante et parfois très utile du mental. Mais réaliser la différence entre ce que l'on perçoit dans l'expérience du moment présent et tous les commentaires et jugements produits par notre tête nous permet de moins être le jouet de notre propre esprit.
(KOTSOU Ilios, « Éloge de la lucidité », Éditions Robert Laffont, 2014, Préface de Christophe ANDRÉ, Postface de Matthieu RICARD, p.202-204)

Rivière Rijeka Crnojevica - Lac Skadar (Monténégro)

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