mardi 24 septembre 2013

Créer de nouvelles habitudes de l’esprit

Il me regarda en silence pendant quelques instants, puis prit un verre d’eau, un verre à pied en cristal d’une finesse presque irréelle. Il le porta au-dessus de la pyramide de safran [disposée au centre de la table dans des assiettes en argent] et commença à l’incliner lentement. Je ne quittai pas des yeux le cristal ciselé dans lequel l’eau apparaissait lumineuse.
- Nous naissons tous avec le même potentiel en matière de confiance en soi, dit-il. Puis nous recevons les commentaires de nos parents, nos nounous, nos instituteurs…
Une goutte d’eau se détacha et tomba sur le sommet de la pyramide, formant comme une loupe grossissant à l’excès chaque particule orange de la précieuse épice. La goutte sembla hésiter puis se fraya lentement un chemin, dévalant la pente. En accélérant jusqu’à la base.
- Si par malchance, reprit-il, ils tendent tous dans un sens négatif, formulant des critiques, des reproches, attirant notre attention sur nos manquements, nos erreurs et nos échecs, alors le sentiment d’insuffisance et d’autocritique s’inscrivent dans nos habitudes de pensée.
Il inclina de nouveau le verre, lentement, et une deuxième goutte tomba au même endroit. Elle hésita à son tour puis emprunta le même chemin que la première. La troisième goutte fit de même, plus vite que la précédente. Au bout de quelques secondes, un sillon s’était dessiné et les gouttes s’y précipitaient, le creusant un peu plus à chaque passage.
- À la longue, la plus petite des maladresses nous met mal à l’aise, le plus secondaire des échecs nous amène à douter de nous, et la plus insignifiante des critiques nous déstabilise et nous fait perdre nos moyens. Le cerveau s’habitue à réagir négativement, les liens neuronaux se renforçant à chaque expérience. …
- Il y a moyen de sortir de ce cercle infernal ? demandai-je.
- Ce n’est pas définitif, en effet. Mais c’est difficile d’en sortir. Cela demande des efforts…
Il pencha la tête de côté et, déposant une nouvelle goutte d’eau sur le sommet de la pyramide, il souffla dessus suffisamment pour l’obliger à prendre une autre direction. Elle se fraya lentement un nouveau chemin jusqu’à la base.
- Et surtout, reprit-il, ces efforts doivent être impérativement soutenus dans le temps. Car notre esprit est très attaché à nos habitudes de pensée, même lorsqu’elles font souffrir.
Il renversa une nouvelle goutte sur la pointe du monticule et elle se précipita dans l’ancien sillon.
- Ce qu’il faut, dit-il, c’est…
Il maintint un souffle continu, comme il l’avait fait précédemment, et les gouttes suivantes furent contraintes d’emprunter le nouveau chemin, creusant progressivement un nouveau sillon. Au bout d’un moment il cessa de souffler, et les gouttes continuèrent de suivre cette nouvelle voie.
- … c’est créer de nouvelles habitudes de l’esprit. Reproduire suffisamment souvent des pensées valorisantes associées à des émotions positives, jusqu’à ce que de nouveaux liens neuronaux. Se créent, se renforcent, puis deviennent prépondérants. Cela prend du temps.
Je ne quittais pas des yeux la belle pyramide orange, maintenant creusée de deux sillons bien marqués.
...
(GOUNELLE Laurent, « Dieu voyage toujours incognito », éd. Anne Carrière, 2010, p.185-187)

Exposition Folon, parc de La Hulpe [2008] (Belgique)

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