jeudi 20 octobre 2011

Etre comme une vache

"LAMA JIGMÉ : Je vois là une certaine parenté avec ce que nous appelons respectivement « l’écoute » (teupa en tibétain) et la réflexion (sampa en tibétain). D’abord, nous lisons ou écoutons les enseignements. Nous nous laissons imprégner par eux. Comme vous l’avez dit, père, nous laissons les instructions spirituelles s’imprimer en nous. Ensuite, nous devons « réfléchir » au sens des enseignements, à leur signification profonde, ce qui rejoint ce que vous appelez « méditation ». Et il ne s’agit pas là d’une réflexion purement intellectuelle. Certes, il est nécessaire de mettre l’enseignement à l’épreuve de notre raison, mais il convient de laisser aussi une compréhension s’approfondir et s’affermir en nous de manière que le sens de l’enseignement devienne réellement nôtre. Cette phase de « réflexion » précède la mise en pratique à travers la méditation proprement dite, telle que je l’ai décrite (gom en tibétain). Celle-ci s’effectue donc sur la base de l’écoute et de la compréhension engendrée par la « réflexion ».
DOM ROBERT LE GALL : … Une des mascottes des moines, si l’on peut dire, c’est la vache : elle broute et ensuite rumine ; de plus, les vaches vivent en clôture, comme nous ! On dit aussi que 1es vaches aiment à regarder passer les trains. Les trains, ce sont comme les pensées qui vont et viennent dans notre esprit ; quantité de pensées circulent, et on n’est pas responsable des pensées quand elles viennent. Mais par contre, si vous montez dans le train en marche – ce que font rarement les vaches –, vous êtes responsable de la destination vers laquelle vous vous êtes orienté.
LAMA JIGMÉ : L’image de la « rumination » que vous utilisez et qui est fort drôle, effectivement, me semble excellente. Elle correspond tout à fait à ce qui doit se passer lorsque nous pratiquons sampa [« la réflexion »], une « réabsorption » de l’enseignement qui devient partie intégrante de notre compréhension intérieure. En ce qui concerne votre description de l’attitude à adopter face aux pensées (au sens large des idées, des images, des concepts) lorsqu’on se livre à un exercice spirituel, elle correspond exactement aux instructions données dans bouddhisme pour la méditation telle que je les ai décrites auparavant : « Quand vous méditez, laissez les pensées aller leur chemin, ne les agrippez pas, laissez-les passer sans les juger, sans porter d’appréciation, et sans vous laisser aller à l’espoir ou à la crainte ; soyez simplement présent à tout ce qui se passe, et conscient du défilement des pensées qui s’élèvent puis disparaissent dans l’esprit… ».
… Lorsqu’on médite, on ne tente pas d’analyser ce qui se passe. Nous avons une image parlante dans la tradition : nous disons, pour évoquer les pensées qui vont et viennent durant la méditation, qu’elles sont comme des flocons de neige tombant sur une pierre chaude – instantanément, ils se dissolvent. C’est une métaphore servant à décrire le processus selon lequel, quand une pensée s’élève dans l’esprit, si on ne la saisit pas, si on ne la capte pas, si on ne la fige pas, elle se dissout et se résorbe d’elle-même. Donc, nous n’analysons pas les pensées, nous ne nous en saisissons pas, nous restons simplement conscients, présents, en éveil !"

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 295-298


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