vendredi 2 mai 2014

Physique quantique et vacuité bouddhiste (I)

... Au cours de notre siècle, se sont produites des transformations profondes dans les fondements de la physique de l'atome qui nous éloignent de la conception réaliste de la philosophie atomiste antique. On espérait que ces particules élémentaires représenteraient la réalité objective : c'était une simplification trop grossière des faits réels et elle devait céder la place à des conceptions beaucoup plus abstraites. Car, si nous voulons nous faire une image de la nature de ces particules élémentaires, nous ne pouvons plus faire abstraction du principe de l’existence de processus physiques qui nous en informent. Lorsque nous observons des objets de notre vie quotidienne, le processus physique qui rend possible cette observation ne joue qu'un rôle secondaire. Mais chaque processus d'observation provoque des perturbations considérables dans les particules élémentaires de la matière. On ne peut plus du tout parler du comportement de la particule sans tenir compte du processus d'observation. En conséquence, les lois naturelles que, dans la théorie des quanta, nous formulons mathématiquement, ne concernent plus les particules élémentaires proprement dites, mais la connaissance que nous en avons. La question de savoir si ces particules existent « en elles-mêmes » dans l'espace et dans le temps ne peut donc plus être posée sous cette forme ; en effet, nous ne pouvons parler que des évènements qui se déroulent lorsque, par l'action réciproque de la particule et de n'importe quel autre système physique, par exemple des instruments de mesure, on tente de connaître le comportement de la particule. La conception de la réalité objective des particules élémentaires s'est donc étrangement dissoute, non pas dans le brouillard d'une nouvelle conception de la réalité obscure ou mal comprise, mais dans la clarté transparente d'une mathématique qui ne représente plus le comportement de la particule élémentaire mais la connaissance que nous en possédons. Les tenants de l'atomisme ont dû se rendre à cette évidence que leur science n'est qu'un maillon de la chaîne infinie des dialogues entre l'homme et la nature et qu'elle ne peut plus parler simplement d'une nature « en soi ». Les sciences de la nature présupposent toujours l'homme, et, comme l'a dit Niels Bohr, nous devons nous rendre compte que nous ne sommes pas spectateurs mais acteurs dans le théâtre de la vie.
(HEISENBERG Werner [un des fondateurs de la mécanique quantique], « La nature dans la physique contemporaine » (1953), Gallimard 1962, p.17-19)


Reflets, Jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

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