Pourquoi il est impossible de « résoudre » les émotions comme des problèmes
Imaginez : vous vous promenez le long d'une rivière par une belle journée ensoleillée. Vous n'êtes pas en pleine forme, mais, au début, vous n'en êtes pas vraiment conscient. Et puis, au bout d'un moment, vous vous sentez un peu cafardeux. Regardant le ciel, vous vous dites : Quelle belle journée, je devrais être heureux.
Arrêtez-vous un instant sur cette idée : Je devrais être heureux.
Comment vous sentez-vous maintenant ? Un peu plus mal ? C'est normal. Pratiquement tout le monde répond de la même façon à cette question. Pourquoi ? Parce que lorsqu'il s'agit d'émotions, comparer ce que nous ressentons et ce que nous aimerions ressentir (ou ce que nous devrions ressentir) rend malheureux et nous éloigne encore plus de l'état souhaité. Cette façon de se focaliser sur l'écart renvoie à la stratégie mentale que nous utilisons pour résoudre les problèmes.
Normalement, quand on n'est pas trop déprimé, on remarque à peine la petite chute de moral que procure cette comparaison. Mais si notre esprit, fonctionnant en mode « faire », s'efforce de résoudre des problèmes comme « Mais qu'est-ce que j'ai ? » et « Pourquoi n'ai-je pas plus de volonté ? », on peut se retrouver piégé. En effet, il va tout naturellement évoquer (et maintenir à la conscience) les idées correspondant au sujet traité – par exemple, l'image de la personne que je suis à cet instant (triste et solitaire), l'image du genre de personne que je veux être (calme et heureuse) et l'idée du genre de personne que je redoute de devenir si je sombre dans la dépression (vaincue et pathétique). Le mode « faire » se concentre ensuite sur la disparité entre ces images, sur tout ce qui nous empêche d'être celui ou celle que nous voudrions être.
Le fait de se concentrer sur la disparité entre la personne que nous voudrions être et celle que nous pensons être nous rend un peu plus déprimé que nous ne l'étions au moment où le mode « faire » s'est mis en marche. Visant à nous « aider », le mode « faire » voyage dans le temps : il recherche le souvenir de notre dernier épisode cafardeux pour essayer de comprendre ce qui s'est passé ou il imagine notre avenir, un avenir gâché par le malheur, pour nous rappeler qu'il faut à tout prix éviter d'en arriver là. Les souvenirs du passé et les images de l'avenir ainsi évoqués ajoutent leur poids à ce qui pèse déjà sur notre humeur. Or plus nos phases dépressives ont été importantes dans le passé, plus les images et les commentaires qui nous reviennent sont négatifs, puissants et nous paraissent avoir une réalité présente. Le sentiment d'infériorité, de solitude nous semble familier, mais, au lieu d'y voir le signe que notre esprit suit à nouveau une ancienne ornière, nous prenons ce caractère familier pour la preuve que tout cela est vrai. C'est pourquoi il est difficile de s'en dégager, comme nos amis et parents nous y incitent certainement : le mode « faire » nous persuade que rien n'est plus important que de nous tirer d'affaire en identifiant et en réglant le « problème ». ...
Cette activité mentale égocentrique et autocritique que vous appelez peut-être ressassement, est nommée rumination par les psychologues. Quand on rumine, on s'interroge vainement sur son mal-être, sur les causes, la signification et les conséquences de ce mal-être. ...
Quand on a le cafard, on rumine, parce qu'on croit qu'on va trouver ainsi le moyen de résoudre son problème ; les études prouvent pourtant que c'est le contraire qui se produit : l'aptitude à résoudre les problèmes se détériore nettement au cours de la rumination. La rumination est un élément du problème, pas un élément de la solution.
...
II existe une autre stratégie pour gérer les états, les souvenirs et les modes de pensée négatifs dans l'instant, au moment où ils surgissent. L'évolution nous a dotés d'un autre mode d'approche, qui a le pouvoir de nous transformer. On l'appelle la conscience.
La pleine conscience commence par la conscience
En un sens, cette capacité humaine nous est familière depuis toujours. Mais le mode « faire » l'a éclipsée. La conscience ne procède pas par analyse critique, mais par connaissance directe. On l'appelle le mode « être ».
(WILLIAMS Mark, TEASDALE John, SEGAL Zindel, et KABAT-ZINN Jon, « Méditer pour ne plus déprimer » (2007), préface de Christophe ANDRÉ, Éditions Odile Jacob, 2009, p. 67-71 : extraits)Imaginez : vous vous promenez le long d'une rivière par une belle journée ensoleillée. Vous n'êtes pas en pleine forme, mais, au début, vous n'en êtes pas vraiment conscient. Et puis, au bout d'un moment, vous vous sentez un peu cafardeux. Regardant le ciel, vous vous dites : Quelle belle journée, je devrais être heureux.
Arrêtez-vous un instant sur cette idée : Je devrais être heureux.
Comment vous sentez-vous maintenant ? Un peu plus mal ? C'est normal. Pratiquement tout le monde répond de la même façon à cette question. Pourquoi ? Parce que lorsqu'il s'agit d'émotions, comparer ce que nous ressentons et ce que nous aimerions ressentir (ou ce que nous devrions ressentir) rend malheureux et nous éloigne encore plus de l'état souhaité. Cette façon de se focaliser sur l'écart renvoie à la stratégie mentale que nous utilisons pour résoudre les problèmes.
Normalement, quand on n'est pas trop déprimé, on remarque à peine la petite chute de moral que procure cette comparaison. Mais si notre esprit, fonctionnant en mode « faire », s'efforce de résoudre des problèmes comme « Mais qu'est-ce que j'ai ? » et « Pourquoi n'ai-je pas plus de volonté ? », on peut se retrouver piégé. En effet, il va tout naturellement évoquer (et maintenir à la conscience) les idées correspondant au sujet traité – par exemple, l'image de la personne que je suis à cet instant (triste et solitaire), l'image du genre de personne que je veux être (calme et heureuse) et l'idée du genre de personne que je redoute de devenir si je sombre dans la dépression (vaincue et pathétique). Le mode « faire » se concentre ensuite sur la disparité entre ces images, sur tout ce qui nous empêche d'être celui ou celle que nous voudrions être.
Le fait de se concentrer sur la disparité entre la personne que nous voudrions être et celle que nous pensons être nous rend un peu plus déprimé que nous ne l'étions au moment où le mode « faire » s'est mis en marche. Visant à nous « aider », le mode « faire » voyage dans le temps : il recherche le souvenir de notre dernier épisode cafardeux pour essayer de comprendre ce qui s'est passé ou il imagine notre avenir, un avenir gâché par le malheur, pour nous rappeler qu'il faut à tout prix éviter d'en arriver là. Les souvenirs du passé et les images de l'avenir ainsi évoqués ajoutent leur poids à ce qui pèse déjà sur notre humeur. Or plus nos phases dépressives ont été importantes dans le passé, plus les images et les commentaires qui nous reviennent sont négatifs, puissants et nous paraissent avoir une réalité présente. Le sentiment d'infériorité, de solitude nous semble familier, mais, au lieu d'y voir le signe que notre esprit suit à nouveau une ancienne ornière, nous prenons ce caractère familier pour la preuve que tout cela est vrai. C'est pourquoi il est difficile de s'en dégager, comme nos amis et parents nous y incitent certainement : le mode « faire » nous persuade que rien n'est plus important que de nous tirer d'affaire en identifiant et en réglant le « problème ». ...
Cette activité mentale égocentrique et autocritique que vous appelez peut-être ressassement, est nommée rumination par les psychologues. Quand on rumine, on s'interroge vainement sur son mal-être, sur les causes, la signification et les conséquences de ce mal-être. ...
Quand on a le cafard, on rumine, parce qu'on croit qu'on va trouver ainsi le moyen de résoudre son problème ; les études prouvent pourtant que c'est le contraire qui se produit : l'aptitude à résoudre les problèmes se détériore nettement au cours de la rumination. La rumination est un élément du problème, pas un élément de la solution.
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II existe une autre stratégie pour gérer les états, les souvenirs et les modes de pensée négatifs dans l'instant, au moment où ils surgissent. L'évolution nous a dotés d'un autre mode d'approche, qui a le pouvoir de nous transformer. On l'appelle la conscience.
La pleine conscience commence par la conscience
En un sens, cette capacité humaine nous est familière depuis toujours. Mais le mode « faire » l'a éclipsée. La conscience ne procède pas par analyse critique, mais par connaissance directe. On l'appelle le mode « être ».
Papillon, rives de la rivière Trishuli (Népal) |
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