Si tous les hommes recherchent d’une façon ou d’une autre à être heureux, il y a loin de l’aspiration à la réalisation. C’est là le drame des êtres vivants. Ils redoutent le malheur mais courent à lui. Ils veulent le bonheur mais lui tournent le dos. Les moyens mêmes de pallier la souffrance servent souvent à l’alimenter. Comment cette tragique méprise peut-elle se produire ? Parce que nous ne savons pas nous y prendre. Maladroitement, nous recherchons le bonheur en dehors de nous-même, alors qu’il est essentiellement un état intérieur. S’il trouvait sa source au-dehors, il serait à jamais hors d’atteinte. Nos désirs sont sans limites et notre contrôle du monde, restreint, temporaire et le plus souvent illusoire. …
Nous n’hésitons pas à étudier pendant quinze ans, puis à nous former professionnellement parfois pendant plusieurs autres années, à faire de la gymnastique pour rester en bonne santé, à passer une grande part de notre temps à améliorer notre confort, nos richesses et notre statut social. À tout cela nous consacrons beaucoup d’efforts. Pourquoi en accordons-nous si peu à améliorer notre condition intérieure ? N’est-ce pas elle qui détermine la qualité de notre vie ? Quelle curieuse hésitation, crainte ou inertie nous empêche de regarder en nous-même, d’essayer de comprendre la nature profonde de la joie et de la tristesse, du désir et de la haine ? La peur de l’inconnu l’emporte, et l’audace d’explorer le monde intérieur s’arrête à la frontière de notre esprit. Un astronome japonais me confia un jour : « Il faut beaucoup de courage pour regarder en soi. » Cette remarque d’un savant dans la force de l’âge, d’un caractère stable et ouvert, m’intrigua. Pourquoi une telle hésitation devant une recherche qui s’avère des plus passionnantes ? Comme l’écrivait Marc Aurèle (« Pensées », V-19) : « Regarde au-dedans de toi, c’est là qu’est la source intarissable du bien. »
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 35-37)
Monastère de Tatev (Arménie) |
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