Je me souviens d’un après-midi où j’étais assis sur les marches de notre monastère au Népal. Les orages de la mousson avaient transformé le terre-plein en une étendue d’eau boueuse et nous avions disposé des briques pour pouvoir la franchir. Une amie se présenta au bord de l’eau, regarda la scène d’un air dégoûté, et entreprit la traversée en rouspétant à chaque brique. Arrivée devant moi, elle leva les yeux au ciel en s’exclamant : « Pouah … Imagine que je sois tombée dans cet infâme bourbier ! Tout est si sale dans ce pays ! » La connaissant bien, j’acquiesçai prudemment, espérant lui offrir quelque réconfort par ma sympathie muette. Quelques instants plus tard, une autre amie, Raphaèle, se présenta à l’entrée de la mare. Elle me fit un petit signe, puis entreprit de sautiller de brique en brique. « Hop, hop et hop … » chantonnait-elle, et elle atterrit sur la terre ferme en s’exclamant : « Comme c’est amusant ! », les yeux pétillant de joie, ajoutant : « Ce qu’il y a de bien avec la mousson, c’est qu’il n’y a pas de poussière. » Deux personnes, deux visions des choses ; sept milliards d’êtres humains, sept milliards de mondes.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p.17)
Cactus, Jardin botanique de Funchal (Madère, Portugal) |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire