L’expérience en simple aveugle
…
Pascual-Leone et ses collègues décidèrent ainsi de voir ce qui se passerait si les adultes voyants perdaient soudainement la vue. Ils recrutèrent des gens doués de vision normale et leur bandèrent les yeux. Ce n’était toutefois pas une blague de courte durée. Les sujets portèrent leur bandeau sur les yeux du lundi matin jusqu'au vendredi soir, nuit et jour. Un morceau de papier photographique était collé à l'intérieur du bandeau pour signaler les tricheurs, s'il était exposé à la fin de l'étude. Même s'ils ne tentèrent pas de naviguer dans le métro de Boston affligés de leur invalidité éphémère, les sujets réussirent tout de même à se déplacer dans leurs chambres au centre médical Beth Israel Deaconess à Boston, grâce au toucher et au son, sans trop d'ecchymoses. Ils passaient leurs journées à apprendre le braille et l'on scannait leur cerveau à l'IRMf tandis qu'ils effectuaient diverses tâches tactiles ou auditives : ils entendaient une série de tons et précisaient si chaque ton avait la même hauteur que le précédent, ou alors ils touchaient des paires de cellules de braille pour déterminer si elles étaient identiques ou pas.
Avant la fin de leur période de cécité imposée, le cortex visuel des sujets s'était comporté comme le prédisaient les manuels classiques : il s'activait lorsqu'ils regardaient quelque chose. Quand ils écoutaient, tâtaient un objet ou pensaient à des mots, il se taisait, tel que prévu. Leur cerveau se comportait ainsi que la nature l'avait voulu. Pendant la période où les sujets portaient le bandeau néanmoins, le cortex visuel se tournait les pouces, car aucun signal ne lui parvenait des yeux. Même s'il avait passé des décennies à gérer l'information visuelle, et uniquement cette information, après cinq petites journées de chômage contraint, il décrocha un nouveau boulot. Les IRMf révélaient qu'il traitait désormais des informations tactiles et auditives : si les sujets écoutaient des tons pour déterminer leur hauteur, s'ils effleuraient des reliefs du braille, leur cortex « visuel » s'activait. Par ailleurs, au fil des jours, leur cortex somato-sensoriel devenait de plus en plus silencieux quand ils touchaient les cellules de braille, et leur cortex visuel était de plus en plus actif. Le cerveau « qui voit » dorénavant sentait et entendait. Comme les furets recâblés de Mriganka Sur qui « entendaient l'éclair et voyaient le tonnerre », l’une des aires les plus fondamentales du cerveau des sujets aux yeux bandés avait subi des changements. Et il s'agissait d'adultes qui avaient, depuis vingt ans ou davantage, utilisé leur cortex visuel pour voir, et exclusivement à cette fin.
Il est fort peu probable que le cortex visuel ait établi des connexions toutes neuves vers les neurones auditifs ou tactiles. Cinq jours ne pourraient y suffire. Pascual-Leone précise plutôt que « quelques connexions rudimentaires somato-sensorielles et auditives vers le cortex visuel devaient être déjà présentes », connexions résiduelles du développement cérébral lorsque les neurones des yeux, des oreilles et des doigts se raccordent à de nombreuses aires dans le cortex, au lieu de se restreindre à celles où elles sont censées se concentrer. Ces connexions n'étaient pas utilisées quand le cortex visuel recevait des stimuli de la rétine, mais quand ces stimuli cessent, en raison du bandeau, alors d'autres relais sensoriels apparemment se dévoilaient ou se désinhibaient ; ces raccords revenaient en ligne après une vie entière où ils avaient été submergés par le volume de signaux trop important charrié par les neurones visuels vers le cortex du même nom. Le potentiel du cortex visuel d'entendre et de sentir a toujours été présent, probablement depuis avant la naissance, au moment où le cerveau tissait des réseaux un peu partout. L'expérience du bandeau indique que même les raccords silencieux depuis des décennies peuvent être ressuscités en cas de besoin. Si les connexions nouvelles sont utilisées à maintes reprises – si les bandeaux étaient restés en place des années au lieu de quelques jours – ces altérations rudimentaires se seraient peut-être établies plus fermement, modifiant le zonage cérébral de base chez l'adulte, comme elles l'ont fait dans le cerveau de très jeunes enfants.
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p.132-133)
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Pascual-Leone et ses collègues décidèrent ainsi de voir ce qui se passerait si les adultes voyants perdaient soudainement la vue. Ils recrutèrent des gens doués de vision normale et leur bandèrent les yeux. Ce n’était toutefois pas une blague de courte durée. Les sujets portèrent leur bandeau sur les yeux du lundi matin jusqu'au vendredi soir, nuit et jour. Un morceau de papier photographique était collé à l'intérieur du bandeau pour signaler les tricheurs, s'il était exposé à la fin de l'étude. Même s'ils ne tentèrent pas de naviguer dans le métro de Boston affligés de leur invalidité éphémère, les sujets réussirent tout de même à se déplacer dans leurs chambres au centre médical Beth Israel Deaconess à Boston, grâce au toucher et au son, sans trop d'ecchymoses. Ils passaient leurs journées à apprendre le braille et l'on scannait leur cerveau à l'IRMf tandis qu'ils effectuaient diverses tâches tactiles ou auditives : ils entendaient une série de tons et précisaient si chaque ton avait la même hauteur que le précédent, ou alors ils touchaient des paires de cellules de braille pour déterminer si elles étaient identiques ou pas.
Avant la fin de leur période de cécité imposée, le cortex visuel des sujets s'était comporté comme le prédisaient les manuels classiques : il s'activait lorsqu'ils regardaient quelque chose. Quand ils écoutaient, tâtaient un objet ou pensaient à des mots, il se taisait, tel que prévu. Leur cerveau se comportait ainsi que la nature l'avait voulu. Pendant la période où les sujets portaient le bandeau néanmoins, le cortex visuel se tournait les pouces, car aucun signal ne lui parvenait des yeux. Même s'il avait passé des décennies à gérer l'information visuelle, et uniquement cette information, après cinq petites journées de chômage contraint, il décrocha un nouveau boulot. Les IRMf révélaient qu'il traitait désormais des informations tactiles et auditives : si les sujets écoutaient des tons pour déterminer leur hauteur, s'ils effleuraient des reliefs du braille, leur cortex « visuel » s'activait. Par ailleurs, au fil des jours, leur cortex somato-sensoriel devenait de plus en plus silencieux quand ils touchaient les cellules de braille, et leur cortex visuel était de plus en plus actif. Le cerveau « qui voit » dorénavant sentait et entendait. Comme les furets recâblés de Mriganka Sur qui « entendaient l'éclair et voyaient le tonnerre », l’une des aires les plus fondamentales du cerveau des sujets aux yeux bandés avait subi des changements. Et il s'agissait d'adultes qui avaient, depuis vingt ans ou davantage, utilisé leur cortex visuel pour voir, et exclusivement à cette fin.
Il est fort peu probable que le cortex visuel ait établi des connexions toutes neuves vers les neurones auditifs ou tactiles. Cinq jours ne pourraient y suffire. Pascual-Leone précise plutôt que « quelques connexions rudimentaires somato-sensorielles et auditives vers le cortex visuel devaient être déjà présentes », connexions résiduelles du développement cérébral lorsque les neurones des yeux, des oreilles et des doigts se raccordent à de nombreuses aires dans le cortex, au lieu de se restreindre à celles où elles sont censées se concentrer. Ces connexions n'étaient pas utilisées quand le cortex visuel recevait des stimuli de la rétine, mais quand ces stimuli cessent, en raison du bandeau, alors d'autres relais sensoriels apparemment se dévoilaient ou se désinhibaient ; ces raccords revenaient en ligne après une vie entière où ils avaient été submergés par le volume de signaux trop important charrié par les neurones visuels vers le cortex du même nom. Le potentiel du cortex visuel d'entendre et de sentir a toujours été présent, probablement depuis avant la naissance, au moment où le cerveau tissait des réseaux un peu partout. L'expérience du bandeau indique que même les raccords silencieux depuis des décennies peuvent être ressuscités en cas de besoin. Si les connexions nouvelles sont utilisées à maintes reprises – si les bandeaux étaient restés en place des années au lieu de quelques jours – ces altérations rudimentaires se seraient peut-être établies plus fermement, modifiant le zonage cérébral de base chez l'adulte, comme elles l'ont fait dans le cerveau de très jeunes enfants.
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p.132-133)
Erg Mehedjebat (Algérie) |
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