Il y avait, tout de même, dans la foule, un bonhomme acariâtre qui ne ratait jamais une occasion de contredire le maître. Il observait les faiblesses du sage et se moquait de ses défauts, à la consternation des disciples, qui se mirent à le considérer comme une incarnation du démon.
Or, un jour, le « démon » tomba malade et mourut. Tout le monde lâcha un soupir de soulagement. Extérieurement, ils avaient une attitude solennelle de convenance, mais dans leurs cœurs ils se réjouissaient, car plus jamais les discours inspirants du maître ne seraient interrompus, ni son comportement critiqué par cet hérétique irrespectueux.
Mais la foule s’étonna de voir le maître plongé dans un chagrin véritable, au cours des funérailles. Lorsque, plus tard, un disciple lui demanda s’il avait pleuré sur le sort éternel du défunt, il dit : « Non, non. Pourquoi aurais-je pleuré sur notre ami qui est maintenant au Ciel ? C’est sur moi-même que je pleurais. Cet homme était le seul ami que j’avais. Ici, je suis entouré de gens qui me vénèrent. Lui était le seul qui me mit au défi. J’ai bien peur que, maintenant qu’il est parti, je vais cesser de croître. » Et disant cela, le maître fondit en larmes.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.60-61)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire