Mais comment font-ils ? Personne ne sait exactement qui se passe dans le cerveau d'un maître zen, mais nous pouvons tout de même avancer plusieurs hypothèses. La première, c'est que ces pratiquants experts sont dans une situation de double tâche, avec leur attention à la fois portée sur l'activité en cours... et sur leur attention. Dans ce cas, leur attention ne serait pas uniquement concentrée sur l'activité du moment, mais est-ce grave ? La plupart de nos actions étant de simples automatismes s'enchaînant les uns après les autres, pourquoi ne pas les laisser se dérouler « toutes seules », en leur accordant simplement une attention légère mais soutenue, juste pour vérifier que tout se passe comme prévu ? Dans ce petit modèle, spéculatif je le répète, l'attention de l'expert serait par exemple en permanence à 80 % sur sa tâche principale, et à 20 % portée sur l'attention elle-même, dans une sorte d'attention à l'attention. En revanche, l'attention d'une personne non entraînée serait parfois crispée à 90 % sur la tâche, et parfois à 10 voire 0 %, sans jamais se surveiller elle-même. En d'autres termes, l'expert serait concentré tout en évitant le piège de l'hyperfocalisation : il garderait des ressources attentionnelles disponibles pour veiller à ce que l'attention qu'il porte à la tâche, même si elle ne constitue pas 100 % de ses capacités, soit au moins continue. On retrouve cette idée dans une autre étude du groupe de Madison, réalisée à nouveau chez des sujets sortant de trois mois de méditation intensive . L'activité cérébrale des sujets était enregistrée à l'aide de l'EEG pendant le protocole de clignement attentionnel, qui, vous vous en souvenez peut-être, révèle d'habitude l'incapacité du cortex préfrontal à traiter avec la même attention deux images présentées rapidement l'une après l'autre. L'étude de Madison montrait qu'étonnamment, les sujets avant suivi trois mois d’entraînement de l'attention parvenaient mieux à détecter la deuxième image que des sujets sans entraînement. L’analyse des mesures EEG en révéla la raison : la réponse du cerveau à la première image était moins forte chez les sujets entraînés, comme si leur cortex préfrontal s'impliquait moins dans son traitement. Pourtant, leur capacité à détecter cette première image était tout à fait normale. Il faut donc en conclure que ces sujets accordaient juste le bon niveau d'attention au premier stimulus, sans en faire trop, et sans compromettre leurs chances de détecter le second stimulus. Au contraire, les sujets non entraînés s’engageaient trop dans l'analyse de la première image, bien au-delà du strict nécessaire pour l'identifier. Comme emporté dans son élan, leur cortex préfrontal était ensuite incapable de traiter la seconde image. La conclusion de cette étude était que le type d'entraînement dont avaient bénéficié ces experts en méditation leur permettait de doser leur attention d'une façon optimale, ni trop crispée ni trop distante, le reste des ressources pouvant servir pour une forme d'autosurveillance de leur propre attention.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.307-309)
Ruches décorées (Slovénie) |
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