Pour être dans la vérité et dans la joie de l'instant présent, il nous faut donc nous dépolluer l'esprit du passé et de l'avenir, de nos remords, de nos angoisses, de nos peurs et de nos rêves, c'est-à-dire appliquer la maxime de sagesse édictée au IIe siècle par Marc Aurèle, cet empereur romain pétri de philosophie stoïcienne : « Ne te laisse pas troubler par la représentation globale de toute ta vie. » Les stoïciens avaient prôné comme attitude fondamentale de vie ce que l'on appelle en grec la prosochè, c'est-à-dire la vigilance à chaque instant de la vie, la concentration sur le moment présent délivré des attaches du passé et de l'avenir, sources de passions vaines et néfastes. Ils insistaient sur la valeur infinie de ce moment présent, « l'ici et le maintenant », le seul sur lequel on peut agir et où l'on peut agir. ...
Seul l'instant présent est créateur ; il n'y a que dans l'« ici et maintenant » que nous pouvons vraiment jouir de la vie, c'est-à-dire être dans la vraie joie. Celle-ci n'est pas un souvenir du passé ni un rêve d'avenir, sources sans doute de belles émotions, mais pas aussi puissantes que la joie. L'instant nous fait toucher l'éternité, c'est-à-dire l'absence de temporalité linéaire, le présent éternel. Nous pouvons ainsi arriver à comprendre, en le vivant pleinement, à quoi pourrait ressembler le bonheur perpétuel dont parlent les grandes religions, et qui consiste à être fixé dans une sérénité, une harmonie, une paix, une réconciliation avec soi-même et avec le monde. C'est ce que le maître bouddhiste Thich Nhat Hanh appelle « la plénitude de l'instant », une grâce qu'il trouve jusque dans les gestes les plus anodins, ceux que nous effectuons le plus souvent en pensant à autre chose. Ainsi, dit-il, quand vous buvez votre tasse de thé, appréciez l'instant présent, oubliez le passé et le futur, souriez à votre tasse, prenez-la en pensant simplement : « Je prends la tasse. » Parce qu'en la prenant, en mettant tout votre corps et votre esprit, « vous êtes en contact avec les merveilles de la vie ».
(LENOIR Frédéric, « Petit traité de vie intérieure », Plon, 2010, p. 149-150 et 159 ; ou Pocket n°15 312, 2012, p. 137-138 et 145-147)
Ne te laisse pas troubler par la représentation de ta vie tout entière. N’embrasse point en pensée quels grands et quels nombreux ennuis devront sans doute t’atteindre. Mais, à chacun des ennuis présents, demande-toi : « Qu’y a-t-il en ce fait d’intolérable et d’insupportable ? » Tu rougirais, en effet, de le confesser. Rappelle-toi ensuite que ce n’est ni le futur, ni le passé qui te sont à charge, mais toujours le présent. Et le présent se raccourcit, si tu le ramènes à ses seules limites et si tu convaincs d’erreur ton intelligence, lorsqu’elle se sent incapable de s’opposer à ce faible ennemi.
(MARC-AURÈLE (121–180 ap. J-C), « Pensées pour moi-même », Livre VIII, XXXVI)
Désert blanc (Égypte) |
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