Nous commençons par regarder attentivement un raisin, nous l’observons soigneusement comme si nous n’en avions jamais vu avant. Nous sentons sa texture sous nos doigts, examinons ses variations de couleur, de relief. Nous sommes aussi conscients de toutes les pensées que nous pourrions avoir au sujet des raisins ou de la nourriture en général. Nous relevons toutes les pensées et les sensations d’appétit ou d’aversion pour les raisins qui se présenteraient tandis que nous l’observons. Puis nous prenons le temps de humer ce raisin et, finalement, avec attention, nous l’approchons de nos lèvres, conscients du bras mobilisant la main pour qu’elle soit dans la bonne position, conscients de saliver tandis que l’esprit et le corps anticipent de le manger. Le processus se poursuit quand nous le mettons en bouche et le mâchons lentement, faisant l’expérience du goût réel d’un raisin. Et quand nous nous sentons prêts à l’avaler, nous sentons monter l’impulsion de l’avaler, si bien que même cette étape est vécue consciemment. Nous imaginons même, ou « sentons » que notre corps est à présent plus lourd d’un raisin.
La réponse à cet exercice est invariablement positive, même parmi les gens qui n’aiment pas les raisins. Ils disent qu’il est agréable de manger comme cela, que cela les change, qu’ils ne se souviennent pas avoir jamais vraiment goûté un raisin, et qu’un seul raisin pourrait les nourrir. Souvent quelqu’un fait le lien et dit que si nous pouvions manger comme cela tout le temps, nous mangerions moins et aurions des expériences plus agréables et plus positives avec la nourriture. Quelques personnes disent qu’elles se sont surprises en train de vouloir manger automatiquement les autres raisins avant d’avoir fini le premier, et reconnaissent à ce moment que c’est leur façon de manger habituelle.
Comme nous sommes nombreux à utiliser la nourriture pour notre confort émotionnel, plus spécialement quand nous nous sentons anxieux ou déprimés, ce petit exercice, qui ralentit les choses et attire notre attention sur ce que nous faisons, illustre la puissance et le manque de contrôle de nos impulsions quand il s’agit de la nourriture. Il montre aussi qu’apporter de l’attention à ce que nous sommes en train de faire, au moment où nous le faisons, peut être vraiment simple et gratifiant, et nous donner le sentiment d’être moins emportés par les situations.
En fait, quand vous commencez être attentif de cette manière, votre relation aux choses change. Vous voyez davantage et vous voyez plus profondément. Vous pouvez commencer à voir un ordre intrinsèque et des connexions entre les choses, qui n’étaient pas apparents avant. Vous voyez, par exemple, la connexion entre des impulsions qui vous viennent à l’esprit et le fait de vous retrouver en train de manger trop, sans tenir compte des messages de votre corps. ... Cela provient de nos tendances habituelles à voir les choses et à les faire mécaniquement, sans y être pleinement présents. Quand vous mangez consciemment, vous êtes en contact avec votre nourriture parce que votre esprit n’est pas distrait. Il ne pense pas à autre chose. Il se focalise sur le fait de manger. Quand vous regardez le raisin, vous le voyez vraiment. Quand vous le mâchez, vous le goûtez vraiment.
Savoir ce que vous êtes en train de faire pendant que vous le faites est l’essence de la pratique de la pleine conscience. Nous appelons l’exercice du raisin la « méditation en mangeant ». Cela nous aide à préciser qu’il n’y a rien de particulièrement inhabituel ou mystique dans le fait de méditer ou d’être pleinement conscient. Cela implique simplement de faire attention à votre expérience d’instant en instant.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p. 90-92)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». Grâce à lui, depuis trente ans, plus de 250 hôpitaux et cliniques à travers le monde l’utilisent comme outil de soin.
Dattes, Sabratha (Libye) |
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