Parfois, dans une foule, on a froid, on se sent fatigué et solitaire. On aimerait pouvoir se retirer et avoir chaud à nouveau, comme je le fis ce soir-là en fermant les fenêtres et en m'asseyant près du feu, protégé du vent froid et humide. Nos sens sont des fenêtres sur le monde : quelquefois, le vent souffle à travers eux et dérange tout en nous. Certains d'entre nous laissent tout le temps leurs fenêtres ouvertes : les images et les sons du monde les envahissent et mettent à nu leur moi triste et troublé. Ils se sentent glacés, solitaires et craintifs. Ne vous est-il jamais arrivé de regarder un film horrible mais d'être incapable d'éteindre la télévision ? Les bruits rauques des explosions, les coups de feu vous dérangent. Pourtant, vous ne vous levez pas pour éteindre. Pourquoi vous torturez-vous ainsi ? N'avez-vous pas envie de fermer vos fenêtres ? Avez-vous peur de la solitude – du vide et de la solitude que vous risquez de trouver en étant seul face à vous-même ?
En regardant un mauvais film à la télévision, nous devenons ce film. Nous sommes ce que nous ressentons, ce que nous percevons. Si nous sommes en colère, nous sommes la colère. Si nous sommes amoureux, nous sommes l'amour. Si nous regardons un pic montagneux recouvert de neige, nous sommes la montagne. Nous pouvons être tout ce que nous voulons. Alors pourquoi ouvrons-nous nos fenêtres à de mauvais films télé créés par des producteurs cupides qui cherchent à faire sensation - et de l'argent facile ? Ces programmes font battre nos cœurs, serrer nos poings et nous laissent épuisés. Qui permet que de telles émissions soient réalisées et vues par de très jeunes personnes ? Personne d'autre que nous ! Nous ne sommes pas assez exigeants, trop enclins à regarder tout ce qui passe sur le petit écran. Nous sommes aussi trop solitaires, trop paresseux ou trop pleins d'ennui pour créer nos propres vies. Nous allumons la télé et la laissons ainsi, offrant à quelqu'un d'autre le soin de nous guider, de nous modeler, de nous détruire. Nous oublier de cette façon-là, c'est laisser notre destin dans les mains d'autres que nous, qui n'agissent pas forcément de façon responsable. Nous devons savoir quelles émissions nous font du mal – à notre système nerveux, à nos esprits et à nos cœurs – et quelles émissions nous font du bien.
Bien sûr, je ne parle pas seulement de la télévision. Tout autour de nous, combien de pièges tendus par nos semblables et par nous-mêmes. En une seule journée, combien de fois ne nous égarons-nous et ne nous éparpillons-nous pas à cause d'eux ? Nous devons faire très attention à notre destin et à notre paix. Je ne suggère pas de fermer toutes les fenêtres, car il y a bien des miracles dans ce monde que nous appelons le monde « extérieur ». Nous pouvons ouvrir nos fenêtres à ces miracles et regarder chacun d'entre eux avec attention. Ainsi, même quand on est assis à côté d'un cours d'eau limpide, en écoutant de la belle musique ou quand on regarde un excellent film, on ne doit pas se perdre entièrement dans le courant, la musique ou le film. On doit continuer à être conscient de soi et de sa respiration. Avec le soleil de la conscience qui brille en soi, on peut éviter la plupart des dangers. Le courant sera plus pur, la musique plus harmonieuse et l'âme du réalisateur tout à fait tangible.
(Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant », préface du XIVème Dalaï-lama, J’ai Lu n°8863, 2009, p. 27-29)
Nénuphars, Jardin Majorelle, Marrakech (Maroc) |
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