samedi 16 novembre 2013

Être relié

Imaginez l’expérience suivante, qui a été menée par le Dr Judith Rodin et le Dr Ellen Langer, toutes deux psychologues sociales à Yale et à Harvard. Elles ont étudié des patients âgés, dans une maison de soins. Avec la coopération du personnel soignant, le Dr Rodin et le Dr Langer divisèrent les participants à l’étude en deux groupes semblables en termes d’âge, de sexe, de gravité et de type de maladie. Les membres d’un des groupes furent alors explicitement encouragés à prendre plus de décisions pour eux-mêmes concernant leur vie dans la maison de soins, comme le lieu où recevoir les visites et l’heure à laquelle voir un film, alors que les membres de l’autre groupe étaient explicitement encouragés à se laisser aider par le personnel pour ce genre de décision.
Dans le cadre de cette étude, chaque personne recevait également une plante verte à mettre dans sa chambre. Toutefois, des choses différentes étaient dites aux membres de chaque groupe au sujet de la plante qui leur était donnée. Aux personnes du premier groupe, qui avaient été encouragées à prendre des décisions pour elles-mêmes, on disait par exemple « Cette plante va embellir votre chambre. C’est votre plante à présent, qu’elle vive ou meure dépend de vous. Vous déciderez quand l’arroser, quelle place lui conviendra le mieux ». Aux personnes de l’autre groupe, qui avaient été encouragées à se laisser aider par le personnel dans les prises de décisions, on disait par exemple « Cette plante embellir un peu votre chambre. Mais ne vous inquiétez pas, vous ne devez pas l’arroser ni vous en occuper. La femme de ménage le fera pour vous ».
Le Dr Rodin et le Dr Langer observèrent après un an et demi qu’un certain nombre de personnes étaient décédées dans chaque groupe, comme on pouvait le prévoir pour des résidents âgés d’une maison de soins. Mais la découverte remarquable fut la différence importante apparue entre les deux groupes dans le nombre de personnes décédées au cours de la même période. Les personnes encouragées à laisser le personnel les aider dans la prise de décisions concernant les visites et d’autres détails de leur vie, et auxquelles on avait également dit que le personnel prendrait soin de la plante qu’elles avaient reçue, étaient décédées dans les mêmes proportions que celles habituellement constatées dans cette maison de soins. Par contre, les personnes encouragé à prendre des décisions les concernant et auxquelles on avait dit qu’elles étaient responsables de la plante, étaient décédées dans des proportions inférieures d’environ la moitié des proportions habituelles !
Le Dr Rodin et le Dr Langer conclurent de ces résultats que la possibilité pour ces résidents de la maison de soins de prendre davantage de contrôle dans leur vie, même pour de « petites » décisions, comme le moment où arroser leur plante, avait en quelque sorte un effet retardataire sur leur mort. Quiconque est familier des maisons de soins, sait que bien peu de choses y sont sous le contrôle des personnes. (Cette interprétation concorde avec les travaux du Dr Kobasa sur la résilience, qui identifient le contrôle comme facteur important de résistance à la maladie.)
J’ai été personnellement amené à une interprétation complémentaire qui donne un éclairage un différent. Dire aux pensionnaires qu’ils étaient responsables plante, leur donnait une occasion de se relier à la plante, de se sentir quelque peu nécessaires. Ils ont peut-être senti que la plante dépendait d’eux pour son bien-être. Cette façon de voir l’expérience souligne plus la connexion entre la personne et la plante, qu’un contrôle de la personne sur la plante. Même en décidant le lieu d’accueil des visiteurs et le jour du cinéma, il est à tout le moins plausible que les résidents encouragés à prendre des décisions pour eux-mêmes se soient sentis plus impliqués et en lien avec la maison de soins, et qu’ils y aient également senti un degré d’appartenance plus élevé, contrairement à l’autre.
Quand vous- vous sentez connecté à quelque chose, cette connexion vous donne immédiatement un but dans la vie. La relation elle-même donne un sens à la vie. Nous avons déjà vu que les relations, même les relations à des animaux de compagnie, protègent la santé. Nous avons aussi vu que l’affiliation, le sentiment de sens, et un sens de cohérence sont des attributs du bien-être.
Le sens et la relation sont les fils de la connexion. Ils tissent votre vie individuelle en une tapisserie plus vaste, en un tout plus grand, qui donne réellement à votre vie son individualité. Dans le-cas-de l’expérience de la plante dans la maison de soins, nous pouvons supposer-que les personnes qui avaient reçu la plante-mais à qui on n’avait pas dit qu’elles devaient en être responsables allaient probablement moins développer ce genre de relation, de connexion avec la plante. Il est plus probable qu’elles voyaient la plante-comme un élément neutre de plus dans la pièce, comme un meuble, plutôt que comme quelque chose qui dépendait d’elles pour son bien-être.
À mon avis, la connexion peut être ce qu’il y a de plus fondamental en ce qui concerne la relation de l’esprit à la santé physique et émotionnelle.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p.387-390)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.


Nénuphars, Jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

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