samedi 27 novembre 2010

Méditation et entraînement de l'esprit

"L'un des réflexes les plus primitifs du répertoire humain, le sursaut, repose sur une cascade de contractions musculaires très rapides en réponse à un bruit inattendu ou à une vision choquante soudaine. Chez tous les humains, les cinq mêmes muscles faciaux se contractent instantanément, notamment autour des yeux. Le sursaut intervient environ deux dixièmes de seconde après le son qui le déclenche et prend fin autour d'une demi-seconde plus tard. Le tout dure environ un tiers de seconde. Ces étapes sont invariablement les mêmes ; nous sommes ainsi faits.
Comme tous les réflexes, le sursaut répond à l'activité du tronc cérébral, la partie la plus primitive, reptilienne du cerveau. A l'instar d'autres réponses aux ordres du tronc cérébral — et à la différence des réponses aux ordres du système nerveux autonome, comme le rythme cardiaque — le sursaut échappe au contrôle de la volonté. Pour autant que le sache la science, aucun acte intentionnel ne peut influer sur le mécanisme qui contrôle le sursaut.
[le Dr] Ekman s'était intéressé au sursaut parce que son intensité est révélatrice de l'importance des émotions négatives ressenties — notamment la peur, la colère, la tristesse et le dégoût. Plus une personne sursaute, plus elle est sujette à des émotions négatives — il n'y a en revanche aucune relation entre le sursaut et des émotions positives telles que la joie.
Pour tester comment [le moine tibétain] Öser sursautait, Ekman l'accompagna au laboratoire de psychophysiologie de son collègue Robert Levenson, de l'université de Berkeley. On brancha des capteurs sur Öser, pour enregistrer son pouls, sa sudation et d'autres paramètres physiologiques, et on filma les expressions de son visage. L'idée était de saisir toutes ses réactions physiologiques en réponse à un bruit inattendu. Afin d'éliminer toute différence due aux variations d'intensité du son, on choisit le seuil maximal de la tolérance humaine — un son extrêmement puissant, l'équivalent d'un coup de feu ou d'un gros pétard qui éclaterait à côté de l'oreille.
On expliqua à Öser qu'il verrait sur un écran un décompte de 10 à 1, au terme duquel il entendrait un grand bruit. On lui demanda d'essayer de réprimer l'inévitable tressaillement, au point si possible de le rendre imperceptible pour un observateur extérieur. C'est un exercice où certaines personnes s'avèrent meilleures que d'autres, mais personne ne parvient jamais à supprimer totalement le sursaut, loin s'en faut. Une fameuse étude des années quarante a même établi l'impossibilité de supprimer ce réflexe, en dépit des efforts les plus intenses, les plus scrupuleux, pour retenir les spasmes musculaires. De tous les sujets qu'Ekman et Robert Levenson avaient testés, aucun n'avait jamais réussi. Des recherches avaient même montré que les tireurs d'élite de la police, qui tirent des coups de feu tous les jours, ne peuvent s'empêcher de sursauter.
Öser, lui, l'a fait.
— « Lorsque Öser cherche à réprimer son sursaut, il le fait quasiment disparaître. Je n'ai jamais vu personne faire cela. Ni aucun autre chercheur, non plus. C'est incroyable. Nous n'avons pas la moindre idée des caractéristiques anatomiques qui lui permettent de réprimer son réflexe de sursaut. »
Lors de ces tests, Öser avait pratiqué deux types de méditation : la concentration sur un seul objet et la présence éveillée. Peut-être l'analyse des données de l'IRMf sur ces deux exercices fournira-t-elle des indications sur les parties du cerveau impliquées dans la suppression de ce réflexe.
Pour Öser, le meilleur effet était obtenu par la méditation de la présence éveillée : « En état de présence éveillée, la détonation m'a paru plus faible, comme si j'étais éloigné des sensations, comme si j'entendais le bruit de loin. » En fait, de toutes ces expériences, c'était celle dont Öser attendait les meilleurs résultats, et il avait donc tenu à ce qu'elle soit réalisée en état de présence éveillée. Ekman raconta que quelques légers changements s'étaient effectivement produits dans la physiologie d’Öser, mais pas un muscle de son visage n'avait bougé, ce qu'Öser rapprocha du fait que son esprit n'avait pas été secoué par la détonation. En fait, comme il devait l'expliquer par la suite : « Si l'on parvient à se maintenir dans cet état, la détonation paraît un événement neutre, qui ne laisse aucune trace, comme un oiseau qui traverse le ciel. »
Aucun des muscles faciaux d’Öser n'avait bronché lorsqu'il était en présence éveillée, mais ses paramètres physiologiques (pouls, sudation, pression artérielle) avaient montré les modifications habituelles du sursaut. Pour Ekman, la meilleure inhibition générale avait été obtenue lors de la concentration sur un seul objet. Au cours de cette méditation, au lieu de montrer leur invariable bond, les courbes d’Öser avaient décliné. En revanche, ses muscles faciaux avaient bien affiché une légère réaction propre au sursaut ; les mouvements « ont été très légers, mais présents, remarqua Ekman. Il y a tout de même eu quelque chose d'inhabituel. Chez tous les autres sujets, les sourcils descendent. Chez Öser, ils sont remontés. »
En somme, chez Öser, la concentration sur un seul objet semble l'isoler des stimuli extérieurs – fût-ce l'assourdissante déflagration d'un coup de feu. L'ampleur du sursaut étant proportionnelle à l'intensité avec laquelle le sujet vit les émotions pénibles, la performance d’Öser a des implications frappantes et laisse deviner un remarquable niveau d'équanimité émotionnelle."
Dalaï-lama, Daniel Goleman , … « Surmonter les émotions destructrices », Pocket n°12 331, 2008, p. 52-55



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