dimanche 26 juillet 2015

Être bien dans l'instant présent

Pour préserver la vie de nos ancêtres, le cerveau a généré un léger malaise interne permanent. Ce murmure inquiet nous incite à scruter constamment nos mondes intérieur et extérieur à la recherche de signes d'alerte.
Cette gêne, cette méfiance ambiante est tellement automatique qu'elle peut passer inaperçue. Tâchez de percevoir des traces de tension, de vigilance ou de raideur dans votre corps. Une prudence vis-à-vis de votre environnement ou d'autres gens. Une incapacité à vous détendre complètement, à vous relâcher, à lâcher prise. Essayez de parcourir un bureau ou un magasin que vous savez sûr sans éprouver une once de méfiance : c'est très difficile. Ou de rester assis chez vous pendant cinq minutes d'affilée en vous sentant serein, souple dans votre corps, parfaitement à l'aise dans l'instant tel qu'il est, en paix : pour la plupart des gens, c'est impossible.
Ce réglage par défaut du cerveau est idéal pour inciter un singe à s'assurer en permanence qu'une créature ne s'apprête pas à lui bondir dessus. Mais c'est un mode de vie éprouvant. L'appréhension qui en résulte mine le bien-être, entretient anxiété et la dépression, et pousse les gens à ne prendre aucun risque.
Et elle est basée sur un mensonge.
En réalité, ce malaise ambiant ne cesse de chuchoter à votre « oreille » mentale : « Tu n'es pas en sécurité, tu es entouré de menaces, tu ne peux jamais te permettre de baisser la garde. »
Mais observez attentivement l’instant présent. Dans l'ensemble, vous allez probablement bien : personne ne vous attaque, vous n'êtes pas en train de vous noyer, des bombes ne dégringolent pas du ciel, il n'y a pas de crise. Les choses ne sont pas parfaites, mais vous allez bien.
Je parle bien de cet instant même. L'avenir est source d'inquiétudes et de projections. Le passé, de ressentiments et de regrets.
Les fils de la peur imprègnent les tapisseries mentales du passé et du futur. Examinez de nouveau la mince tranche de temps qu'est le présent. À l'instant même, allez-vous foncièrement bien ? Respirez-vous correctement ? Le cœur bat-il ? L'esprit fonctionne-t-il ? Vos réponses sont très certainement « oui ».
Au quotidien, il est possible d'accéder à ce sentiment fondamental de « bien-être » tout en vaquant à ses occupations. Il ne s'agit ni d'ignorer des menaces ou des problèmes réels, ni de faire comme si tout allait bien. Absolument pas. Mais de voir, tout en menant sa vie, qu'on est généralement bien à l'instant même.
(HANSON Rick, « Le pouvoir des petits riens » (2011), Éditions des Arènes [2013], Pocket n°16162 [2015], p.193-194)

Nénuphars jaunes, Parc naturel Lonjsko Polje (Croatie)

dimanche 5 juillet 2015

L’entraînement de l’esprit : la difficulté de la régularité

Certains se disent, par exemple : « pourquoi s’exercer chaque jour ? La vie ne suffit-elle pas ? Mes intentions et résolutions ne suffisent-elles pas ? »
Non, tout cela ne suffit pas. En nous contentant de vagues intentions de changement, nous n’utiliserons jamais correctement notre esprit, nous resterons toujours des victimes gémissantes et consentantes de nos vieux automatismes, nous produirons toujours les mêmes pensées courtes et les mêmes émotions incontrôlables. C’est pourquoi la pratique de la pleine conscience, entre autres formes d’entraînement de l’esprit, est particulièrement intéressante pour tout le monde ; et particulièrement nécessaire pour celles et ceux qui perçoivent à quel point leur esprit leur échappe et leur désobéit. Non qu’il faille espérer tenir notre mental en laisse et exercer sur lui un contrôle absolu. Mais juste rétablir un équilibre des forces : pouvoir se concentrer ou se calmer, par exemple, aux moments où nous en avons besoin, ne me semble pas être un objectif si ambitieux ni excessif. Et pourtant, en sommes-nous souvent capables ?
L’entraînement de l’esprit, pratiqué quotidiennement, c’est un acte de santé : comme une gymnastique de la conscience.
C’est aussi un nettoyage des pollutions sociales, une sorte de ménage, régulièrement pratiqué, de notre intériorité. Et comme pour le « vrai » ménage, si on le fait, cela ne se voit pas : on s’habitue vite à se sentir bien. Mais si on ne le fait pas, cela se voit ! Ou plutôt, cela se sent. C’est sans doute le principal « risque » lié à la pratique de la pleine conscience : on en devient dépendant et, si on arrête, l’instabilité émotionnelle et la volatilité de l’esprit reviennent doucement.
L’entraînement de l’esprit est, enfin, une ascèse : derrière la simplicité de la pratique, se cache la difficulté de la régularité. Et il est aussi une école de patience : il faut toujours renoncer à un effet immédiat. Et d’humilité : la pratique n’est jamais une garantie. Ainsi, après l’enthousiasme des débuts, et le sentiment – parfois même les preuves palpables - que les exercices réguliers ont réduit notre fragilité psychique, nous voilà presque convaincus d’avoir fait des progrès, ce qui n’est pas faux; et convaincus aussi que ces progrès sont stables et définitifs. Ce qui n’est pas vrai : nous allons rechuter. Ces « rechutes du pratiquant » sont la règle. Elles font partie du cheminement normal: après les succès et les enthousiasmes, tu retomberas. Sous l’effet de coups de colère, de spleen, d’inquiétudes... Humiliant ? Seulement si tu as tiré fierté de tes progrès de méditant. Plus encore si tu as paradé, en affichant ta pratique, en la vantant comme une panacée, si tu as porté ta nouvelle zen attitude en bandoulière... Décevant ? Seulement si tu t’es réjoui trop fort, même en secret, même in petto. Amusant ? Oui, si d’entrée tu avais admis que cela viendrait un jour. Et si, ce jour-là, tu accueilles la déception tranquillement. En pleine conscience. Tu le savais, tu l’avais accepté. Ça ne signifie rien d’autre que ceci : continue la pratique, encore et toujours.
(ANDRÉ Christophe, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p. 249-251)

Parc national du Velebit nord [Sjeverni Velebit] (Croatie)