mardi 31 mars 2015

Pleine conscience, empathie, et monde du travail

Dans un article paru en 2009, Krasner et ses collègues ont dévoilé les résultats d'un programme de pleine conscience auquel avaient pris part soixante-dix médecins généralistes de Rochester. Comme l'ont montré d'autres études similaires, l'entraînement à la pleine conscience a permis de soulager sensiblement la détresse psychologique et l'épuisement auxquels sont sujets beaucoup de praticiens et d'améliorer leur bien-être. Mais aussi de développer leur capacité à communiquer avec les patients et de recentrer les soins sur ces derniers. En aidant les médecins à expérimenter pleinement la rencontre clinique – dans ses aspects agréables et désagréables, sans jugement et avec un esprit de curiosité et d'aventure –, le programme de pleine conscience a eu des répercussions profondes sur le stress et l'épuisement. Il a aussi renforcé leur aptitude à se connecter à chaque patient en le considérant comme un être singulier et à focaliser leurs soins sur cette singularité.
... Plus nous sommes conscients, plus nous développons notre empathie, qui est la condition sine qua non de l'efficacité sociale au travail.
(CHASKALSON Michael, « Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité » (2011), Préface de Christophe ANDRÉ (2013), CD audio d’exercices conçus et lus par Christophe ANDRÉ (2013), Éditions des Arènes 2013, p.162-164)

Mont Guillaume, Embrun (France)

samedi 28 mars 2015

La conscience n’est pas la pensée

 Méditation et pensée positive
C’est notre faculté de penser qui nous différencie d’une façon si radicale des autres espèces. Mais si nous n’y prenons pas garde, cette faculté peut évincer d’autres facettes tout aussi précieuses de notre personnalité. Souvent, la faculté d’éveil en est la première victime.
La conscience n’est pas la pensée. La conscience est dans une autre dimension, au-delà de la pensée, tout en l’utilisant et en reconnaissant sa valeur et son pouvoir. La conscience ressemble à un plat qui contiendrait nos pensées, en nous aidant à les considérer comme des pensées et non comme la réalité.
L’esprit pensant peut être sévèrement fragmenté à certains moments. La plupart du temps, d’ailleurs. C’est la nature de la pensée. Mais la conscience peut nous aider à percevoir que notre nature fondamentale est déjà intégrée et entière. ...
La méditation n’implique pas que nous changions notre manière de penser en pensant davantage. Elle propose seulement que nous observions le processus de notre pensée. Par l’observation, nous contenons en quelque sorte nos pensées. En les observant sans être entraînés dans leur flux, nous sommes en mesure d’apprendre quelque chose de libérateur au sujet de la pensée même. Nous échappons ainsi aux modèles habituels de raisonnement – qui nous dominent si fortement – et qui sont la plupart du temps étroits, inexacts, narcissiques et faux.
Une autre manière de considérer la méditation est de visualiser le processus de raisonner comme une cascade, une cataracte de pensées sans fin. En cultivant la pleine conscience nous nous plaçons au-delà ou en deçà de nos pensées, un peu comme si nous observions la cascade à l’abri d’une grotte. Nous entendons et nous voyons l’eau qui déferle mais nous ne sommes pas emportés par le courant du torrent.
En pratiquant de cette façon, nos habitudes de pensée se transforment insensiblement en intégrant dans nos vies la compréhension et la compassion. C’est en percevant la nature de notre faculté de raisonner en tant que pensées, qu’elles nous servent plutôt que nous soyons asservis par elles.
Lorsque nous nous efforçons de penser « positif », cela peut être utile mais il ne s’agit pas de méditation. Il s’agit simplement de plus de pensée. Nous risquons autant d’être prisonniers de la « pensée positive » que des pensées négatives. Elle aussi peut être réductrice, fragmentée, inexacte, illusoire, et fausse. La transformation de nos vies, au-delà des limites de la pensée, exige un élément autre que « penser positif ».
(Dr Jon KABAT-ZINN, « Où tu vas, tu es », 1994, J’ai Lu n°7 516, 2009, p.106-108)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.

Fontaine du jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

mardi 17 mars 2015

Insula et empathie

La recherche scientifique en imagerie cérébrale (IRMf) a montré que la méditation dynamise le cortex insulaire. Cela est d'une importance capitale, car cette partie du cerveau joue un rôle essentiel dans notre capacité à nouer des liens avec autrui, en favorisant une empathie réelle et viscérale. L'empathie est ce qui permet de voir dans l'âme de l'autre, si l'on peut dire, et nous aide à comprendre ce qu'il éprouve « de l'intérieur ». Elle va de pair avec la vraie compassion et une bienveillance sincèrement aimante. Si vous pouviez observer votre cerveau avec un scanner, vous verriez que cette zone vibre et s’anime lorsque vous ressentez de l'empathie pour quelqu’un. Non seulement la méditation renforce cette zone, mais elle favorise sa croissance et son développement.
Pourquoi est-ce si important ? Outre que l'empathie est bénéfique à la société et à l'humanité dans son ensemble, elle l'est aussi pour celui qui l'éprouve. L'empathie, la compassion sincère et la bienveillance aimante, envers soi-même comme envers les autres, ont des bénéfices considérables sur la santé et le bienêtre. Or plus une personne a pratiqué la méditation, plus son cortex insulaire est développé. Cela dit, même 8 semaines d'entraînement suffisent à produire des changements dans le fonctionnement de cette partie essentielle du cerveau.
(WILLIAMS Mark et PENMAN Danny, « Méditer pour ne plus stresser » (2011), préface de Jon Kabat-Zinn, Éditions Odile Jacob, 2013, p.66-67)

Canyon de la Piva (Monténégro)

samedi 14 mars 2015

L’entraînement de l’esprit

D’où nous vient donc cette tendance étonnante à croire que nous sommes les maîtres de notre esprit ? Et à tenir pour évidentes et acquises nos capacités d’attention et de conscience, sans qu’il soit besoin de les travailler ?
Comme si notre cerveau, à la différence de nos muscles, n’avait pas besoin d’entraînement, et ne pouvait être développé ! Nous acceptons pourtant cette évidence pour notre corps : nous savons que l’exercice physique développe notre souffle et nos muscles, qu’une alimentation adaptée bénéficie à notre santé, etc. Mais nous sommes moins convaincus, ou moins informés peut-être, que l’équivalent existe pour notre psychisme : l’entraînement de l’esprit, ou l’exercice mental, présentent aussi un intérêt majeur. Sur un plan intellectuel, ils nous aident à « muscler » nos capacités de réflexion et de concentration ; sur un plan émotionnel, à entraver nos penchants spontanés vers le stress, l’abattement, la colère et tous les dérapages auxquels nous expose le quotidien. La plupart de nos capacités psychiques obéissent aux règles de l’apprentissage : plus on pratique, plus on progresse.
C’est d’ailleurs ce qui nous arrive spontanément : plus nous nous énervons, plus nous devenons forts en énervement. Plus nous pratiquons le pessimisme ou le négativisme, plus nous devenons de grands experts pour décourager et les autres et nous-mêmes. Plus nous stressons, plus nous devenons des champions du stress...
Souhaitons-nous progresser dans d’autres directions ? Il va alors être nécessaire de travailler. Nous l’acceptons pour apprendre l’anglais, le ski ou la pratique d’un instrument de musique.
(ANDRÉ Christophe, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p.248-249)

Le retour du printemps

mardi 10 mars 2015

Du velcro sur le négatif

Nous nous demandons de longue date pourquoi nous sommes heureux ou tristes, pourquoi nous nous entraidons ou nous blessons. Des sages et des scientifiques explorent les causes mentales du bonheur et de la souffrance. Aujourd'hui, pour la première fois de notre histoire, nous pouvons nous demander quelles sont les origines neuronales sous-jacentes de ces causes et trouver des réponses dans les structures et les processus de notre cerveau tel qu'il a été façonné par l'évolution.
Le cerveau n'a pas été créé en un clin d'œil. Ses capacités et ses penchants se sont forgés au fil de centaines de millions d'années, mais les facteurs qui ont modelé ce long parcours impersonnel se manifestent encore aujourd'hui dans votre vie sous des aspects très personnels. Imaginons que vous soyez parvenu à accomplir vingt tâches aujourd'hui et que vous ayez commis une seule erreur. Que vous restera-t-il à l'esprit au moment de vous coucher ? Probablement l'erreur, même s'il s'agit d'une infime partie de votre journée. Comme vous le verrez, ce phénomène tient à l'évolution du cerveau. En découvrant comment ce dernier s'est construit au fil du temps, vous vous comprendrez mieux — et vous comprendrez mieux les autres. De plus, vous pourrez utiliser et façonner plus efficacement cette chose extraordinaire cachée dans votre boîte crânienne.
(HANSON Rick, « Le cerveau du bonheur : La joie, le calme et la confiance en soi au temps des neurosciences » (2013), Éditions des Arènes, 2015, p.31-32)

Orgues basaltiques de la vallée de Garni (Arménie)

samedi 7 mars 2015

Médias et violence

L’influence des médias
Près de 3 500 études scientifiques et tous les travaux de synthèse publiés durant la dernière décennie ont montré que le spectacle de la violence est de fait une incitation à la violence. Pour l’Académie américaine de pédiatrie : « Les preuves sont claires et convaincantes : la violence dans les médias est l’un des facteurs responsables des agressions et de la violence. » Ces effets sont durables et mesurables. Les enfants sont particulièrement vulnérables, mais nous sommes tous concernés.
Ces travaux ont aussi permis de réfuter entièrement l’hypothèse (inspirée en partie par les théories freudiennes) selon laquelle le spectacle de la violence permettrait à l’individu de se purger des pulsions agressives supposées l’habiter. Il a maintenant été établi qu’à l’inverse, ce spectacle aggrave les attitudes et comportements violents946. Cela n’empêche qu’en dépit de ces observations scientifiques, l’idée d’une catharsis libératrice continue à être régulièrement invoquée.
D’après Michel Desmurget, directeur de recherche à l’Inserm au Centre de neurosciences cognitives de Lyon, les images violentes opèrent selon trois mécanismes principaux : elles augmentent la propension à agir avec violence ou agressivité : c’est le mécanisme d’amorçage. Elles élèvent notre seuil de tolérance à la violence : c’est le mécanisme d’habituation. Elles exaspèrent nos sentiments de peur et d’insécurité : c’est le syndrome du monde mauvais. C’est la convergence de ces influences qui, au bout du compte, explique l’impact de la violence audiovisuelle. Il est établi également que les images violentes atténuent les réactions émotionnelles à la violence, abaissent la propension à porter secours à un inconnu victime d’agression et affaiblissent la capacité d’empathie.
Au terme de deux décennies d’études sur l’influence de la télévision, des chercheurs de l’université de Pennsylvanie ont démontré que les téléspectateurs qui regardent constamment des actes négatifs manifestent une tendance accrue à agir de la même façon, et que, plus on regarde la télévision, plus on est enclin à penser que les gens sont égoïstes et qu’ils nous tromperaient à la première occasion. Bien avant l’âge de l’audiovisuel, Cicéron observait déjà : « Si nous sommes contraints, à chaque instant, de contempler ou d’entendre parler d’événements horribles, ce flot ininterrompu d’impressions détestables privera même les plus humains d’entre nous de tout respect pour l’humanité. » À l’opposé, quand les médias prennent la peine de mettre en valeur les aspects généreux de la nature humaine, les spectateurs entrent aisément en résonance avec cette approche positive. Ainsi, la récente série intitulée « Héros de CNN » connaît un franc succès aux États-Unis. Cette émission présente des portraits et des témoignages de personnes, souvent très humbles et inconnues, qui se sont lancées dans des projets sociaux novateurs et bienfaisants ou totalement impliquées dans la défense de causes justes.
Les études les plus révélatrices sont celles qui ont mesuré l’augmentation de la violence suite à l’introduction de la télévision dans des régions où elle n’existait pas. L’une de ces études, réalisée dans des communautés rurales isolées du Canada, incluant quelques villes, a montré que deux ans après l’arrivée du petit écran, les violences verbales (injures et menaces) observées dans des écoles primaires ont été multipliées par deux et les violences physiques par trois. Une autre étude a mis en évidence une augmentation spectaculaire de la violence chez les enfants après l’introduction d’émissions de télévision en langue anglaise (qui contenaient une proportion élevée d’images violentes) en Afrique du Sud. Compte tenu de la magnitude des effets observés, Brandon Centerwall, de l’université de Washington, à Seattle, a évalué qu’il y aurait, rien qu’aux États-Unis, 10 000 homicides, 70 000 viols et 700 000 agressions avec coups et blessures de moins chaque année si la télévision n’existait pas.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance » (2013), Éditions NiL, p.413-415)

La Rijeka Crnojevica, aux sources du Lac Skadar (Monténégro)

mercredi 4 mars 2015

Rien n’est aussi bon que ce qu’il paraissait être avant que nous ne l’obtenions.

Le tailleur de pierre
Il y avait autrefois un tailleur de pierre qui chaque jour se rendait dans les montagnes chercher de la pierre. Et tandis qu’il travaillait, il chantait, parce que, bien qu’il fût pauvre, il ne désirait rien de plus que ce qu’il avait : il n’avait donc aucun souci.
Un jour, il fut appelé à travailler au manoir d’un fortuné propriétaire. Quand il aperçut la magnificence du manoir, pour la première fois de sa vie il ressentit la douleur de l’envie et dit en soupirant : « Si seulement j’étais riche ! Je n’aurais pas à gagner ma vie dans la sueur, comme Je le fais maintenant. »
Imaginez son étonnement quand il entendit une voix lui dire : « Vous souhaiteriez être favorisé. Par conséquent, tout ce que vous désirerez vous sera accordé. » Il ne savait quoi faire de ces paroles, jusqu’à ce qu’il retournât à sa hutte, le soir, et y trouvât, à la place, un manoir aussi splendide que celui auquel il avait travaillé. Alors, le tailleur de pierre cessa de tailler de la pierre et se mit à jouir de la vie des riches.
Un jour, alors que l’après-midi était chaud et humide, il se trouvait par hasard à sa fenêtre et il vit le roi passer avec une large escorte de nobles et de serviteurs. Il pensa : « Comme j’aimerais être roi moi-même, assis dans le frais d’un carrosse royal ! » Son souhait fut promptement réalisé : il se retrouva confortablement assis dans un carrosse royal. Mais il se trouva que le carrosse était plus chaud qu’il ne l’avait imaginé. Il regarda par la fenêtre du carrosse et se mit à admirer la puissance du soleil dont la chaleur pouvait pénétrer les épaisses parois du carrosse. « Que ne suis-je le soleil », se dit-il en lui-même. De nouveau, ce souhait lui fut accordé et il se retrouva en train de répandre des ondes de chaleur à travers le monde.
Et la vie s’écoula un certain temps. Puis, un jour de pluie, il tenta de percer un gros amas de nuages, mais en vain. Il se fit donc changer en nuage et se glorifia de son pouvoir d’écarter le soleil –  jusqu’ ce qu’il devînt pluie et tombât, à son grand déplaisir, sur un énorme rocher qui lui barrait la route, de sorte qu’il dut couler tout autour.
« Eh quoi ! s’écria-t-il. Un simple rocher plus puissant que moi ? Bon, alors, je souhaite être rocher. » Et il se retrouva là, dressé sur un flanc de montagne. Il eut, cependant, à peine l’occasion de jouir de sa belle configuration, car il entendit des bruits qui montaient de ses pieds. Il baissa les yeux et, à sa grande consternation, aperçut un tout petit homme en train de détacher des morceaux de pierre de ses pieds.
« Quoi ! s’écria-t-il. Un tel avorton est plus fort qu’un imposant rocher comme moi. Je désire être un homme ! » Il se retrouva donc tailleur de pierre, escaladant la montagne et taillant de la pierre pour gagner sa vie dans la sueur, mais avec une chanson dans son cœur, parce qu’il était heureux d’être ce qu’il était et de vivre de ce qu’il avait.
Rien n’est aussi bon que ce qu’il paraissait être avant que nous ne l’obtenions.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.191-193)

Paysage de neige (Vaux, Moselle, France)