dimanche 13 juillet 2014

L'essor de la recherche en sciences contemplatives

Une douzaine d’années d’expérimentation
De 2000 à 2012, plus d'une centaine d'hommes et de femmes, moines et laïcs pratiquants du bouddhisme, et un très grand nombre de débutants se sont prêtés à ces expériences scientifiques dans une vingtaine d'universités de renom. En avril 2012, le premier Symposium international sur la recherche en sciences contemplatives a rassemblé pendant trois jours à Denver (États-Unis) plus de sept cents chercheurs du monde entier, donnant ainsi la mesure de l'essor de ce domaine de recherche. De plus, en juin de chaque année, une centaine de jeunes chercheurs se réunissent pendant une semaine autour de chercheurs chevronnés.
Ces recherches ont non seulement montré que la méditation avait provoqué d'importants changements, tant fonctionnels que structuraux, dans le cerveau des pratiquants expérimentés, mais aussi que quelques semaines de méditation, à raison de trente minutes par jour, induisaient déjà des changements significatifs dans l'activité cérébrale, le système immunitaire, la qualité de l'attention et bien d'autres paramètres.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance » (2013), Éditions NiL, p.277-278)

Gorges de Vintgar (Slovénie)

vendredi 11 juillet 2014

Être totalement présent dans chacune de vos actions

Ce n'est pas seulement la pratique assise qui importe mais, bien plus, l'état d'esprit dans lequel vous vous trouvez après la méditation. C'est cet état d'esprit calme et centré qu'il vous faut prolonger dans chacune de vos actions. J'aime cette histoire Zen où le disciple demande à son maître :
« Maître, comment appliquez-vous l'éveil à l'action ? Comment le mettez-vous en pratique dans la vie de tous les jours ?
– En mangeant et en dormant, répond le maître.
– Mais, Maître, tout le monde mange et tout le monde dort.
– Mais tous ne mangent pas quand ils mangent, et tous ne dorment pas quand ils dorment. »
D'où le célèbre adage Zen : « Quand je mange, je mange ; quand je dors, je dors. »
Manger quand vous mangez, dormir quand vous dormez, signifie être totalement présent dans chacune de vos actions, sans qu'aucune des distractions de l'ego ne vous éloigne de cette présence. C'est cela l'intégration.
(SOGYAL Rinpoché, « Étincelles d’éveil » (1995), Pocket n°14 913, 2013, pensée du 22 juin)

Dans le canyon de la rivière Tara (Monténégro)

mardi 8 juillet 2014

La pleine conscience permet de renforcer sensiblement les capacités d'écoute de soi et d'empathie

L'empathie, des capacités innées que l'on peut développer

L'entraînement à la pleine conscience est un moyen efficace de développer l'intelligence émotionnelle mais, surtout, de renforcer sensiblement les capacités d'écoute de soi et d'empathie.

Au cours des 2,6 millions d'années ou presque qui ont précédé l'apparition de l'agriculture, il y a dix mille ans environ, nos ancêtres ont vécu au sein de groupes tribaux ne comptant pas plus de cent cinquante membres. Dans cet environnement rude où ils devaient se disputer de maigres ressources, éviter les prédateurs et rechercher en permanence de la nourriture, ceux qui parvenaient à coopérer avaient en général une espérance de vie plus élevée et laissaient une progéniture plus nombreuse. Ceux qui favorisaient le travail d'équipe l'emportaient sur les autres. Ils avaient plus de chances de survivre et ce sont leurs gènes dont nous avons principalement hérité. Les processus qui ont façonné nos mécanismes neurobiologiques au cours de l'évolution ont engendré des circuits neuronaux qui nous permettent d'éprouver de l'empathie pour les autres. Nous avons la capacité extraordinaire de reconnaître l'état intérieur d'autrui — bien plus que toute autre espèce de la planète — et ce, grâce à trois systèmes neuronaux distincts. Nous sommes capables de percevoir — et de simuler dans notre propre expérience — les actes, les émotions et les pensées des autres.
Que vous entrepreniez une action ou que vous voyiez quelqu'un le faire, les mêmes réseaux s'activent dans votre cerveau. Et vous ressentez dans votre propre corps ce que l'autre éprouve dans son corps. C'est cette capacité à « refléter » le comportement d'autrui qui permet de parler de « neurones miroirs ». Ainsi, quand nous voyons une personne pétrifiée d'angoisse, nous ressentons dans notre corps ce qu'elle ressent — certes, le plus souvent dans une moindre mesure. De même, quand nous voyons des gens transportés de joie, nous éprouvons certaines caractéristiques physiques de l'allégresse.
Mais notre expérience résulte également de circuits affectifs, liés aux émotions. Et, que vous fassiez l'expérience d'émotions intenses, telle la peur ou la colère, ou que vous les voyiez chez quelqu'un d'autre, ce sont les mêmes circuits neuronaux qui s'activent. Les réseaux qui génèrent vos propres sentiments vous permettent de déchiffrer ceux d'autrui, de sorte que plus vous êtes conscient de vos sentiments et de vos sensations corporelles, plus vous êtes capable d'interpréter ceux des autres.
Mais un second ensemble de circuits entre en jeu lorsqu'on « interprète » les pensées et les convictions d'autrui. Les réseaux préfrontaux qui nous aident deviner les pensées des autres (ils n'atteignent leur maturité qu'assez tardivement, peut-être pas avant la fin de l'adolescence) et ceux associés à la perception de leurs sentiments et de leurs actes œuvrent de concert pour générer la compréhension globale de leur expérience intérieure. Plus nous sommes conscients – plus nos propres pensées, émotions et sensations corporelles nous sont familières –, plus nous percevons précisément les pensées, les émotions et les sensations corporelles d'autrui.
(CHASKALSON Michael, « Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité » (2011), Préface de Christophe ANDRÉ (2013), CD audio d’exercices conçus et lus par Christophe ANDRÉ (2013), Éditions des Arènes 2013, p.160-162)

Col de Sedlo - Sedlo pass, Parc National du Durmitor  (Monténégro)

samedi 5 juillet 2014

Les cloches du temple

Le temple se dressait sur une île,
à deux milles au large de la mer.
Et il avait mille cloches : grosses cloches, petites cloches,
cloches fondues par les meilleurs artisans du monde.
Lorsqu'un vent soufflait ou qu'une tempête faisait rage,
toutes les cloches du temple carillonnaient à l'envi,
créant une symphonie qui ravissait le cœur de quiconque les entendait.

Or, au cours des siècles, l'île sombra dans la mer
et, avec elle, le temple et ses cloches.
Une vieille tradition prétendait que les cloches
continuaient de carillonner, sans cesse,
et pouvait les entendre quiconque prêtait une oreille attentive.

Animé par cette tradition, un jeune homme parcourut des milliers de milles,
fermement résolu d'entendre les cloches en question.
Pendant des jours il demeura assis au bord de la mer,
face à l'endroit où se dressait autrefois le temple et écouta - avec tout son cœur.
Mais tout ce qu'il pouvait entendre,
c'était le bruit des vagues qui venaient se briser sur la grève.
Il fit tous ses efforts pour chasser le bruit des vagues, afin d'entendre les cloches.
Mais bien en vain : le bruit de la mer semblait remplir l'univers.
Il poursuivit son essai pendant plusieurs semaines.
Lorsqu'il se sentait perdre courage,
il prêtait l'oreille aux propos des pandits du village,
qui parlaient avec onction de la légende des cloches du temple
et de ceux qui les avaient entendues, prouvant par là que la légende était vraie.
Et son cœur s'embrasait, en entendant leurs propos...
pour perdre à nouveau tout courage,
d'autres semaines d'efforts ne donnant aucun résultat.

Finalement, il décida de laisser tomber son essai :
peut-être n'était-il pas destiné à compter parmi les êtres fortunés
qui auront entendu les cloches ;
peut-être la légende n'était-elle pas vraie.
Il retournerait à la maison et avouerait son échec.
C'était son dernier jour, et il se rendit à son endroit favori, sur la grève,
pour faire ses adieux à la mer, au ciel, au vent et aux cocotiers.
Il s'étendit sur le sable, contemplant le ciel,
prêtant l'oreille aux bruits de la mer.
Ce jour-là, il ne se révolta pas contre le bruit.
Au contraire, il s'abandonna
et découvrit que c'était un bruit agréable, apaisant, que ce mugissement des vagues.
Bientôt il se perdit tellement dans le bruit qu'il devint presque inconscient,
tant était profond le silence que le bruit produisait dans son cœur.
Au creux de ce silence, il l'entendit !
Le tintement d'une menue clochette suivie d'une autre et d'une autre et d'une autre...
et bientôt chacune des mille cloches du temple carillonnait à l'envi,
et son cœur fut transporté d'émerveillement et de joie.

Si vous désirez entendre les cloches du temple, écoutez le bruit de la mer.
Si vous désirez voir Dieu, regardez attentivement sa création.
Ne la rejetez pas ; n'y réfléchissez pas : ne faites que la regarder.


(Anthony de Mello, s.j., « Comme un chant d’oiseau » [1982], Éd. Desclée de Brouwer/Bellarmin 1984, p.33-35)

Église de Camaret (Bretagne, France)

mercredi 2 juillet 2014

Se retourner pour affronter ses peurs

K
Dans une nouvelle très célèbre de l'écrivain italien Dino Buzzati, un jeune garçon, fils de capitaine au long cours, est poursuivi par un monstre marin, portant le nom étrange de K, et ce depuis son premier jour de navigation. Après avoir d'abord fui son destin en s’écartant de la mer, il l'affronte en devenant lui-même marin, et il se voit poursuivi avec opiniâtreté par la bête, toute sa vie durant : chaque fois qu'il se retourne, il l'aperçoit au loin, dans le sillage de son bateau. Devenu vieux, très vieux, il décide de cesser de la fuir pour l'affronter enfin : et le K lui parle ! Pour lui dire qu'il le poursuit depuis toujours pour lui remettre un talisman, qui va lui assurer la réussite et le bonheur pour toute sa vie.
Ne pas fuir nos peurs, mais nous retourner pour les affronter peut parfois accroître notre bonheur. Peur de l'inconnu, peur du lien, peur de tout et de rien : se libérer de ses peurs est un moyen de se rapprocher du bonheur. J'aurais bien aimé lire un conte de Buzzati qui nous aurait raconté comment poursuivre un autre monstre toute notre vie nous faisait en réalité nous éloigner du bonheur ; et cette bestiole – l'argent – aurait pu s'appeler non pas K, mais $, €, £, ou Y.
(ANDRÉ Christophe, « Et n’oublie pas d’être heureux », Éd. Odile Jacob, 2014, p.183)

 Parc de Biogradska Gora (Monténégro)