jeudi 30 janvier 2014

Tout ce que vous donnez aux autres vous vous le donnez à vous-même

Partager la meilleure semence de maïs
Un fermier dont le maïs obtenait toujours le premier prix à la foire de l’État avait l’habitude de partager sa semence de maïs avec tous les fermiers du voisinage.
Quand on lui demanda pourquoi, il dit : « C’est vraiment là une question d’avantage personnel. Le vent ramasse le pollen et le transporte d’un champ à l’autre. Alors, si mes voisins ont un maïs de qualité inférieure, l’interpollinisation diminue la qualité de mon propre maïs. C’est pourquoi je m’assure qu’ils planteront seulement un maïs de la meilleure qualité. »

Tout ce que vous donnez aux autres vous vous le donnez à vous-même.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.161)

Séchage du maïs, Škofja Loka (Slovénie)

lundi 27 janvier 2014

Comment doubler son espérance de vie

Rester enfermé dans l'agitation du mode « faire »érode tout un pan de votre vie en vous volant du temps. Arrêtez-vous un instant et considérez votre vie :
  • Avez-vous du mal à rester concentré sur ce qui se passe dans le présent ?
  • Avez-vous tendance, quand vous marchez, à vous presser vers votre destination, sans prêter attention, durant le trajet, à ce qu'il y a autour de vous ?
  • Avez-vous l'impression de fonctionner en « pilote automatique », sans avoir trop conscience de ce que vous faites ?
  • Effectuez-vous vos tâches à la hâte sans y prêter réellement attention ?
  • Êtes-vous concentré sur vos objectifs au point de perdre de vue ce que vous êtes en train de faire dans l’instant ?
  • Êtes-vous souvent préoccupé par l'avenir, ou absorbé par des souvenirs du passé ?
Bref, vous laissez-vous diriger par toutes les routines du quotidien, ce qui vous conduit à vivre dans votre tête plutôt que dans la vraie vie ?
Maintenant, appliquez ce schéma à ce qui vous reste de vie. Si vous avez 30 ans, avec une espérance de vie de 80, vous avez 50 ans devant vous. Mais si vous n'êtes pleinement conscient des instants vécus que 2 heures sur 16 par jour (ce qui est une estimation raisonnable), voilà votre espérance de vie réduite à 6 ans et 3 mois. Moins de temps que vous risquez d'en passer en réunion avec votre patron !
Si un ami vous annonçait qu'on vient de lui diagnostiquer une maladie incurable avec une espérance de vie de 6 ans, vous seriez sûrement dévasté. Or, à force de rêver votre vie, vous suivez peut-être le même chemin sans vous en rendre compte. Si vous pouviez multiplier par 2 le nombre d'heures que vous vivez pleinement chaque jour, cela doublerait dans les faits votre espérance de vie. Cela reviendrait à vivre 130 ans. Imaginez maintenant que le temps où vous vivez « vraiment » soit multiplié par 3 ou par 4. Les gens dépensent des centaines de milliers d'euros en médicaments et en cocktails de vitamines, à l'efficacité douteuse, pour gagner quelques années de vie ; d'autres financent des recherches universitaires dans le but de prolonger significativement la durée de vie humaine. Mais on peut parvenir au même résultat en apprenant à vivre en pleine conscience — en s'éveillant à sa vie.
Bien sûr, la quantité ne fait pas tout. Mais s'il est vrai, comme la recherche le suggère, que ceux qui pratiquent la pleine conscience sont moins angoissés et moins stressés, plus détendus, plus dynamiques et plus équilibrés, non seulement leur vie leur paraîtra plus longue, parce que ralentie et pleinement investie, mais elle sera aussi plus heureuse.
(WILLIAMS Mark et PENMAN Danny, « Méditer pour ne plus stresser » (2011), préface de Jon Kabat-Zinn, Éditions Odile Jacob, 2013, p.54-55)

Erg Titersine (Libye)

vendredi 24 janvier 2014

L'obervation clinique a confirmé le lien entre attention/concentration et bien-être - entre rumination/vagabondage de l'esprit et troubles nerveux ou dépressifs

« Pendant que l'on attend de vivre, la vie passe. » SÉNÈQUE
Nous avons déjà souligné que la qualité de conscience que nous en avons est en soi un facteur déterminant du bonheur. Plus nous sommes conscients de nos expériences positives, plus notre plaisir et notre bien-être augmentent. Acte réflexif, la conscience nous permet de « savourer » notre bonheur et, en retour, il n'en est que plus intense, profond et durable. De manière tout aussi décisive, notre bonheur est nourri par la qualité de l'attention que nous portons à ce que nous faisons. Les sages stoïciens et épicuriens de l'Antiquité avaient souligné ce point capital et affirmaient que l'instant nous faisait toucher à l'éternité. La félicité ne se goûte que dans l'instant présent. Les études scientifiques les plus récentes confirment ce fait depuis longtemps mis en avant par de nombreux philosophes et psychologues. Grâce à l'imagerie cérébrale, les chercheurs en neurosciences ont pu établir que les zones du cerveau activées lorsque nous nous concentrons sur une seule expérience sont différentes de celles activées lorsque notre esprit vagabonde ou rumine diverses pensées. L'observation clinique a également révélé que les sujets souffrant de troubles nerveux ou dépressifs fonctionnaient le plus souvent sur le mode de la « rumination », à l'inverse des personnes affichant un notable bien-être subjectif, qui passent davantage d'une activité à une autre en étant attentives à ce qu'elles font. On a ainsi pu établir un lien entre attention/concentration et bien-être, et entre rumination/vagabondage et mal-être, tout en identifiant l'ancrage cérébral de ces états d'âme.
Diverses thérapies ont été proposées, avec des résultats très probants, aux patients atteints de troubles dépressifs en leur apprenant à vivre dans l'attention au moment présent. Parmi ces thérapies, on trouve notamment la pratique de la méditation dite de « pleine conscience », élaborée par le psychiatre américain Jon Kabat Zinn, il y a une vingtaine d'années, en s'inspirant des fondements de la méditation bouddhiste...
(LENOIR Frédéric, « Du bonheur, un voyage philosophique », Fayard, 2013, p.85-86)

Fenêtre de maison à Patan (Népal)

mardi 21 janvier 2014

Comprendre la nature profonde des moments fugitifs de plénitude que nous éprouvons tous

Il nous arrive parfois d'avoir certains aperçus fugitifs de la nature de l'esprit. Ceux-ci peuvent être inspirés par une œuvre musicale qui nous émeut, par le bonheur serein que nous éprouvons par moments dans la nature, ou même dans les circonstances quotidiennes les plus ordinaires. Ils peuvent simplement survenir au spectacle de la neige tombant doucement, du soleil se levant derrière une montagne, ou devant le jeu mystérieusement captivant d'un trait de lumière filtrant à l'intérieur d'une pièce. De tels moments de grâce, de paix et de béatitude s'offrent à chacun nous et, étrangement, demeurent en nous.
Je pense qu'il nous arrive d'avoir une compréhension partielle de ces aperçus, mais la culture moderne ne nous fournit aucun contexte ni aucune structure qui pourrait nous aider à en pénétrer le sens. Pis encore, nous ne sommes pas encouragés à les examiner en profondeur et à en découvrir la source mais plutôt – et ceci de manière explicite aussi bien qu'implicite –à les chasser de notre esprit. Nous savons que personne ne nous prendra au sérieux si nous essayons de partager ces expériences. Nous décidons alors de les ignorer. Pourtant, si seulement nous les comprenions, elles pourraient se révéler les plus significatives de notre vie. Cette ignorance et cette répression de notre identité véritable représentent peut-être l'aspect le plus sombre et le plus troublant de notre civilisation moderne.
(SOGYAL Rinpoché, « Étincelles d’éveil » (1995), Pocket n°14 913, 2013, pensée du 9 mars)

Annapurna II, vue depuis Sarangkot (Népal)

samedi 18 janvier 2014

Nourrir son potentiel de bonté

La bienveillance est-elle plus naturelle que la haine ?
Le Dalaï-lama dit souvent que l'amour est plus naturel que la haine, l'altruisme plus naturel que l'égoïsme, car de la naissance à la mort nous avons tous besoin, pour survivre, de donner et de recevoir de l'amour pour accomplir à la fois notre propre bien et celui d'autrui. En général, ajoute-t-il, nous nous sentons « bien » lorsque nous manifestons de la bonté à autrui, et « mal » lorsque nous nuisons à autrui. Nous préférons la compagnie de personnes bienveillantes ; même les animaux s'éloignent de quelqu'un de coléreux, brutal et imprévisible. Selon lui, le rapport entre bonté et bien-être s'explique par le fait que l'homme est un « animal social » et que, de sa naissance à sa mort, son existence et sa survie dépendent étroitement de l'entraide et de la bienveillance dont il bénéficiera et dont il fera preuve à son tour à l'égard d'autrui.
Comment, dans ce cas, expliquer que l'humanité soit soumise à tant de conflits et de violence ? On peut comprendre la bienveillance comme l'expression d'un état d'équilibre mental de l'être humain et la violence comme un déséquilibre. La haine est une déviance qui provoque la souffrance de celui qui la subit et de celui qui l'inflige. Lorsque l'on suit un chemin de montagne, il s'en faut de peu pour faire un faux pas et dévaler la pente. Lorsque l'on perd nos points de repère et que l'on dévie de notre état d'équilibre, tout devient possible.
Il est donc clair qu'il faut apprendre à maîtriser nos pensées malveillantes dès qu'elles surgissent en notre esprit, tout comme il faut éteindre un feu dès les premières flammes, avant que la forêt tout entière s'embrase. Sans cette vigilance et cette maîtrise, il nous est très facile de nous écarter considérablement de notre potentiel de bienveillance.

Nourrir le potentiel de bonté présent en chaque être
...
Le Dalaï-lama rappelle souvent que l'homme, à la différence des animaux, est la seule espèce capable de faire un bien ou un mal immense à ses semblables. Comment faire en sorte que ce soit le bon côté de la nature humaine qui prenne l'avantage ? On peut trouver une inspiration dans ces paroles attribuées à un vieil homme amérindien : « Une lutte impitoyable se déroule en nous, dit-il à son petit-fils, une lutte entre deux loups. L'un est mauvais – il est haine, avidité, arrogance, jalousie, rancune, égoïsme et mensonge. L'autre est bon – il est amour, patience, générosité, humilité, pardon, bienveillance et droiture. Ces deux loups se battent en toi comme en tous les hommes. » L'enfant réfléchit un instant, puis demanda : « Lequel des deux loups va gagner ? » « Celui que tu nourris », répondit le grand-père.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance » (2013), Éditions NiL, p. 166-168)

Monastère de Shéchèn (Bodnath, Népal)

mercredi 15 janvier 2014

Se remettre aux commandes de sa vie

Un exercice typique de méditation consiste à concentrer toute son attention sur le souffle qui entre et sort de son corps. Cet exercice permet d'observer vos pensées à mesure qu'elles surgissent dans votre esprit et, peu à peu, de cesser de lutter contre elles. Vous vous apercevez alors que ces pensées vont et viennent à leur guise, et qu'elles ne sont pas vous. Vous les voyez apparaître, comme sorties de nulle part, puis disparaître comme des bulles de savon qui explosent. Vous parvenez à cette compréhension intime que les pensées et les sentiments (y compris ceux qui sont négatifs) ne durent qu'un instant. Ils vont et viennent, et vous gardez la liberté de décider d'agir dessus ou non.
La pleine conscience implique l'observation dénuée de jugement, la compassion à l'égard de soi-même. Quand la tristesse ou le stress planent au-dessus de votre tête, au lieu de les prendre personnellement, elle vous apprend à les traiter comme des nuages noirs qui passent dans le ciel, et à les suivre des yeux avec une curiosité bienveillante. Fondamentalement, la pleine conscience vous permet de percevoir vos schémas de pensée négatifs avant qu'ils ne vous aspirent dans une spirale descendante. Elle initie ce processus qui consiste à vous remettre aux commandes de votre vie.
Avec le temps, la pleine conscience modifie à long terme les humeurs et le niveau de bonheur et de bien-être. Des études ont montré que non seulement elle prévient la dépression, mais aussi qu'elle intervient de manière positive sur les circuits cérébraux qui favorisent l'anxiété, le stress, la déprime et l'irritabilité au quotidien, de sorte que ces sentiments se dissolvent plus facilement quand ils se présentent. D'autres études ont montré que ceux qui pratiquent régulièrement la méditation vont moins souvent chez le médecin et passent moins de temps à l'hôpital. La mémoire s'améliore, la créativité augmente, et le temps de réaction se réduit.
(WILLIAMS Mark et PENMAN Danny, « Méditer pour ne plus stresser » (2011), préface de Jon Kabat-Zinn, Éditions Odile Jacob, 2013, p.18-19)

Bougies, (Bodnath, Népal)

dimanche 12 janvier 2014

L'observation des émotions

L’abbé Abraham apprit que, non loin du monastère de Sceta, vivait un ermite qui avait la réputation d’être un sage. Il alla lui rendre visite et lui demanda : « Si aujourd’hui vous trouviez une belle femme dans votre lit, parviendriez-vous à vous convaincre que ce n’est pas une femme ? »
- « Non, répondit le sage, mais je parviendrais à me retenir. »
L’abbé poursuivit : « Et si vous voyiez des pièces d’or dans le désert, pourriez-vous regarder cet or comme si c’était des cailloux ? »
- « Non, dit le sage, mais j’arriverais à me contrôler pour ne pas m’en emparer. »
L’abbé Abraham insista : « Et si deux frères venaient vous voir, l’un vous haïssant et l’autre vous aimant, réussiriez-vous à les traiter avec équité ? »
Le sage répondit : « Je souffrirais sans doute intérieurement, mais je traiterais celui qui m’aime de la même manière que celui qui me déteste. »
Plus tard, l’abbé dit à ses novices : « Je vais vous expliquer ce qu’est un sage. C’est un homme qui, au lieu d’annihiler ses passions, parvient à les contenir.
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p.143  ; J'ai Lu n°9651, 2011, p. 138)


À l'entrée d'un temple, Katmandou (Népal)


jeudi 9 janvier 2014

Pourquoi parfois il n’y a rien, pourquoi parfois il y a tout

La sainteté n’est rien de ce qu’on imagine. J’ai rencontré aujourd’hui une troupe de primevères bavardant à l’air libre et faisant de leurs bavardages une prière qui montait droit au ciel. Leur cœur était ouvert aux pluies, aux sécheresses et même à l’arrachement. Ne pas choisir dans ce qui vient était leur manière impeccable d’être saintes. Je piétinais dans mes pensées quand elles sont apparues sur le bas-côté de la route, offrant à la lumière le berceau coloré de leurs pétales. Le vent faisait vibrer leurs formes, imprimant sur un fond d’herbes un texte digne de louanges.
Tous ceux que je rencontre me font de la peine. Je vois une ombre – un chagrin, une absence, un manque – traverser leurs yeux même quand ils rient, comme un petit lézard qui se faufilerait entre deux pierres, tremblant d’être aperçu. Et moi, je suis pareil à eux. Mon cœur bat dans le noir. La vie s’attriste de ne pouvoir nous atteindre que rarement. Elle est avec nous comme une mère qui donnerait son cœur à manger à ses enfants, et ses enfants ne voudraient pas goûter à cette nourriture sublime, ils ne voudraient même pas en entendre parler.
L’éclat des primevères, pour m’arriver, avait dû déchirer la nuit qui entoure mon cœur. Je tiens pour un miracle de voir des choses très pauvres. Je ne me lasse pas de ces miracles et suis bien incapable d’expliquer pourquoi parfois il n’y a rien, pourquoi parfois il y a tout. Le paradis, ce serait de vivre une journée entière comme une seule de ces primevères.
(BOBIN Christian, « Ressusciter » (2001), Gallimard, p. 58-59)

Pratiquer la méditation [de pleine conscience], c’est revenir au moment présent pour rencontrer la fleur, le ciel bleu, ... Le bonheur est là - disponible.
(Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant », préface du XIVème Dalaï-lama, J’ai Lu n°8863, 2009, p. 49)
Primevère commune (acaule)
Source : Faaxaal, forum de partage de photos Nature

lundi 6 janvier 2014

Comprendre comment notre cerveau fonctionne agrandit notre liberté

L’interface cerveau-conscience constitue un champ dont les frontières vont beaucoup bouger. Je pense, par exemple aux travaux sur les grandes fréquences de l’activité électrique gamma, que Richard Davidson et son équipe de neurologues de l’université du Wisconsin captent dans les cerveaux de Matthieu Ricard et de ses collègues en train de méditer. Quand ces moines bouddhistes, qui ont déjà médité des milliers d’heures, entrent en état de pleine conscience, leurs cerveaux se mettent très facilement en fréquences gamma. Les ondes gamma, enregistrées sur électroencéphalogramme, semblent bel et bien signaler un état de conscience très particulier, propice au recul et à la synthèse perceptive.
Pourriez-vous nous rappeler quelles ondes dégagent nos cerveaux humains ordinaires ?
Les fréquences alpha (de 8 à 13 hertz) sont associées à des états de détente, de relaxation légère, d’éveil tranquille, et les fréquences bêta (14 hertz et plus) à des états de concentration, d'activité volontaire, d'intention. Quand vous êtes au travail, votre cerveau est plutôt en fréquences bêta. Mais même au bureau, si vous fermez les yeux et respirez calmement, vous pouvez assez vite passer en ondes alpha. Il suffit que vous rouvriez les yeux pour instantanément repasser en bêta. À partir du fonctionnement en alpha, vous pouvez vous endormir. Les ondes delta (de 0,5 à 4 hertz) sont celles du mystérieux sommeil profond, sans rêve. Quand vous rêvez, vous repassez en fréquences bêta. Les méditants expérimentés connaissent les ondes thêta (de 4 à 7 hertz), qui correspondent à un état de relaxation profonde en plein éveil. Quant aux ondes gamma, elles atteignent au contraire de très hautes fréquences (au-dessus de 30 ou 35 hertz) et semblent témoigner d'une très grande activité cérébrale : celle des créatifs en pleine production... et celle des méditants de très haut niveau. Pour le moment, on ignore si ces ondes gamma sont spécifiques ou s'il s'agit d'ondes bêta plus rapides.
Que mesure au juste l’électroencéphalogramme ?
Il enregistre les conversations que se tiennent entre eux des milliards de neurones, et il fait la synthèse globale de l'incroyable tumulte électrique du cerveau. C'est un peu comme un télescope qui, de très loin, simplifie le tohu-bohu d'une galaxie en le réduisant à une figure simple. Le « bruit de fond » du cerveau est d'autant plus grand que nous sommes occupés à de multiples tâches.
Il diminue lorsque, cessant toute activité, nous laissons la conscience émerger, sans autre objet d'observation qu'elle-même. Personnellement, je trouve géniale toute cette recherche sur l'entraînement de l'esprit. Je trouve enthousiasmant que des exercices simples, applicables quotidiennement, puissent enrichir mon cerveau — pour surmonter certaines souffrances aussi bien que pour vivre plus intensément.
J'avoue que je suis, d'une façon générale, un émerveillé. Je ne comprends pas, par exemple, cette peur du réductionnisme que ressentent certains, effrayés à l'idée qu'il risquerait de « désenchanter le monde ». Qu'il s'agisse des gènes qui déterminent nos caractères innés, ou des neurones dont le tissage engendre nos états intérieurs, ces découvertes me semblent fabuleuses et enchanteresses ! Je suis entièrement d'accord avec Antonio Damasio quand il dit : « Ce n'est pas parce que vous savez que le parfum d'une rose dépend de telles molécules que vous cessez d'être ému par ce parfum. » Je dirais même qu'au contraire, le fait de connaître les atomes et les molécules responsables d'une odeur sublime me rend encore plus admiratif de ces subtilités. Toutes ces découvertes récentes sur la neuroplasticité du cerveau me font encore plus aimer ma condition humaine. Comprendre comment notre cerveau fonctionne agrandit notre liberté, en nous offrant la possibilité de savourer intellectuellement ces merveilles. Et nos patients partagent bien souvent ce sentiment. Pouvoir expliquer à quelqu'un pour quelles raisons précises il souffre, savoir modéliser sa dépression ou sa phobie, je le constate à longueur d'année, cela soulage.
(Christophe ANDRÉ, Pierre BUSTANY, Boris CYRULNIK, Thierry JANSSEN, Jean-Michel OUGHOURLIAN, Entretiens avec Patrice VAN EERSEL « Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » (2012), Éditions Albin MICHEL 2012, Entretien avec Christophe ANDRÉ, p. 156-158)

Limpidité et féérie des couleurs de la rivière Soča (Slovénie)

vendredi 3 janvier 2014

Il est essentiel d'avoir conscience de son bonheur pour être heureux

« Il n'est pas de condition humaine, pour humble ou misérable qu'elle soit, qui n'ait quotidiennement la proposition du bonheur : pour l'atteindre, rien n'est nécessaire que soi-même ». Jean GIONO, « La chasse au bonheur », Gallimard Collection Folio 1991.

... Le bonheur n'est donc pas une émotion passagère (agréable ou désagréable), mais un état qu'il faut envisager dans une certaine globalité et sur une certaine durée. Nous nous disons « heureux » ou « satisfaits » de notre existence parce qu'elle nous procure dans l'ensemble du plaisir, que nous avons trouvé un certain équilibre entre nos diverses aspirations, une certaine stabilité dans nos sentiments, nos émotions, une certaine satisfaction dans ses domaines les plus importants — affectif, professionnel, social, spirituel. A l'inverse, nous nous dirons « malheureux » ou « insatisfaits » de notre vie si elle nous procure peu de plaisir, si nous sommes tiraillés entre des aspirations contradictoires, si nos affects (émotions, sentiments) sont instables et globalement douloureux, ou si nous sommes habités d'un vif sentiment d'échec affectif ou social. C'est dans une telle globalité que nous nous percevons comme heureux ou malheureux, et c'est sur une certaine durée que nous pouvons jauger cet état. J'ajouterai qu'il est essentiel d'avoir conscience de son bonheur pour être heureux. On ne peut répondre qu'on est « globalement satisfait de sa vie » que si on a réfléchi à sa propre existence. Les animaux ressentent certes du bien-être, mais ont-ils conscience de la chance qu'ils ont de se sentir bien ? Le bonheur est un sentiment humain lié à la conscience de soi. Pour être heureux, il faut avoir conscience de son bien-être, du privilège ou du don que représentent les bons moments de l'existence. Or les études psychologiques ont montré que nous sommes davantage conscients des événements négatifs que des événements positifs qui nous adviennent. Les négatifs nous marquent plus, on les mémorise davantage. Ce fait est probablement lié au principe de la psychologie évolutionniste selon lequel, pour survivre, il est plus important de repérer et mémoriser un danger, afin de trouver la solution destinée à y parer plutôt qu'un événement agréable. D'où la nécessité, dès que l'on vit un moment doux, agréable, joyeux, de prendre conscience de cette sensation, de l'accueillir pleinement, de la cultiver le plus longtemps possible. Ce que Montaigne a souligné avec insistance dans son langage fleuri : « Me trouvé-je en quelque assiette [état] tranquille ? Y a-t-il quelque volupté qui me chatouille ? Je ne la laisse pas friponner aux sens, j'y associe mon âme, non pour s'y engager, mais pour s'y agréer, non pas pour s'y perdre mais pour s'y trouver ; et l'emploie de sa part [pour sa part] à se mirer dans ce prospère état, et en peser et estimer le bonheur et amplifier. »
L'expérience montre ainsi que la prise de conscience de notre état de satisfaction contribue à accroître notre bonheur. Nous savourons notre bien-être, ce qui renforce en nous le sentiment de plénitude : nous nous réjouissons, nous sommes heureux d'être heureux.
(LENOIR Frédéric, « Du bonheur, un voyage philosophique », Fayard, 2013, p.23-24)

Magnolias en fleur