samedi 30 novembre 2013

Une éducation éclairée

Martin Seligman, l'un des fondateurs de la « psychologie positive » (selon laquelle, pour s'épanouir dans l'existence, il ne suffit pas de neutraliser les émotions négatives et perturbatrices, il faut aussi favoriser l'éclosion d'émotions positives), a posé à des milliers de parents la question suivante : « Que désirez-vous le plus, pour vos enfants ? » En majorité, ils ont répondu : le bonheur, la confiance en soi, la joie, l'épanouissement, l'équilibre, la gentillesse, la santé, la satisfaction, l'amour, une conduite équilibrée et une vie pleine de sens. Pour résumer, le bien-être arrive en tête de ce que les parents souhaitent en priorité pour leurs enfants.
« Qu'enseigne-t-on à l'école ? » demanda ensuite Seligman aux mêmes parents, qui répondirent : la capacité de réflexion, la capacité à s'adapter à un moule, les compétences en langues et en mathématiques, le sens du travail, l'habitude de passer des examens, la discipline et la réussite. Les réponses à ces deux questions ne se recoupent pratiquement pas. Les qualités enseignées à l'école sont indiscutablement utiles et pour la plupart nécessaires, mais l'école pourrait également enseigner les moyens de parvenir au bien-être et à l'accomplissement de soi, bref, ce que Seligman appelle une «éducation positive», une éducation qui apprend aussi à chaque élève à devenir un meilleur être humain.
Enseigner, ce n 'est pas remplir un vase, c'est allumer un feu. Aristophane
On n'est intelligent qu'à plusieurs. Albert Einstein
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance » (2013), Éditions NiL, p. 604)

Paon du jour, Château de Hac, Bretagne (France)

jeudi 28 novembre 2013

Surveiller son esprit avant de parler

Mettre en œuvre la Parole Juste

Le test consiste à nous arrêter et à nous demander avant de parler : « Est-ce vrai ? Est-ce bienveillant ? Est-ce bénéfique ? Est-ce blessant pour quelqu'un ? Est-ce le bon moment pour parler ? »

La Parole Juste n'est pas quelque chose que vous pratiquez sur le coussin. Elle intervient dans le dialogue, non dans le silence. Toutefois, pendant la méditation formelle, vous pouvez penser à votre façon de parler habituelle et essayer de transformer les pensées qui apparaissent en pensées justes – celles qui ont pour motivation la générosité, l'amitié-bienveillance et la compassion. Vous pouvez analyser vos actions passées et vous demander: « Ai-je parlé correctement hier ? Ai-je uniquement parlé gentiment, avec bonté ? Mes paroles étaient-elles sensées, étaient-elles véridiques ? » Si vous découvrez que vous vous êtes égaré de quelque manière, vous pouvez vous promettre d'améliorer votre Attention à la Parole Juste.
La résolution la plus importante que vous puissiez prendre est de vous promettre de penser avant de parler. Les gens disent : « Surveillez votre langue ! » Mais il est plus important de surveiller votre esprit. La langue ne remue pas toute seule. L'esprit la contrôle. Avant d'ouvrir la bouche, regardez votre esprit pour voir si votre motivation est saine. Vous en viendrez à regretter toute parole motivée par l'avidité, la haine et l'illusion mensongère. Prenez aussi une forte résolution de ne rien dire qui pourrait blesser une autre personne. Cet engagement vous aidera de façon certaine à penser soigneusement avant de parler. Quand vous parlez attentivement, vous parlez automatiquement de manière véridique, avec gentillesse et bonté. L'Attention vous empêchera d'utiliser les poignards verbaux qui peuvent transpercer les gens jusqu'à la moelle. Si l'envie de prononcer des paroles blessantes vous prend, utilisez immédiatement l'Attention et l'effort juste pour empêcher ces pensées de persister.
L'engagement de ne pas blesser les autres par vos paroles est particulièrement important lorsque vous conversez avec quelqu'un envers qui vous avez du ressentiment, ou lorsque vous discutez d'une situation qui vous tient fortement à cœur. Faites attention ! N'utilisez que des mots aimables, soigneusement choisis. Parler avec douceur peut apporter paix et harmonie à cette situation et permettre que la conversation se poursuive d'une manière fructueuse, profitable et amicale.
(Vénérable Hénépola GUNARATANA, « Les huit marches vers le bonheur » (2001), Éditions Marabout, 2012, p.156-157)

Perroquet
http://photolibrededroit.over-blog.com

samedi 23 novembre 2013

Comment gérer une douleur de la vie courante

Travailler avec la douleur physique : vous n’êtes pas votre douteur
La prochaine fois que vous vous écrasez le pouce avec un marteau ou que vous vous heurtez le tibia à une porte de voiture, vous aurez l’occasion de réaliser une petite expérience de pleine conscience. Voyez si vous pouvez observer l’explosion des sensations et l’enchaînement de qualificatifs, de gémissements, et de mouvements violents du corps qui s’ensuivent. Tout cela se déroule en une ou deux secondes. À ce moment-là, si vous êtes assez rapides pour diriger pleinement de la conscience vers les sensations que vous éprouvez, vous remarquerez peut-être que vous arrêtez de jurer, de crier ou de gémir, et que vos mouvements deviennent moins violents. En observant les sensations dans la région blessée, notez la façon dont elles changent. Ces sensations de piqure, d’élancements, de brûlure, de coupure, de déchirure, et bien d’autres peuvent se succéder à toute allure dans cette région du corps, se mêlant l’une à l’autre comme un jeu de lumières multicolores projetées bon gré mal gré sur un écran. Continuez à suivre le flot des sensations tandis que vous posez votre main sur l'endroit blessé, y mettez de la glace, le mettez sous l'eau froide, le tenez au-dessus de la tête, ou y faites autre chose encore.
Pendant cette petite expérience, en vous concentrant fortement, vous remarquerez peut-être un centre de paix au cœur de vous-même, duquel vous pouvez observer le déroulement de tout l'épisode. Cela vous donnera peut-être l'impression d'être complètement détaché des sensations dont vous faites l'expérience, comme si ce n'était pas tant « votre » douleur que, simplement, de la douleur. Peut-être vous sentirez-vous calme « dans » la douleur ou « derrière » la douleur. Si ce n'était pas le cas, vous pouvez toujours retenter l'expérience la prochaine fois que vous aurez la malchance de vous cogner bien fort.
Vous écraser le pouce avec un marteau ou vous heurter le tibia provoquent une douleur immédiate. Nous utilisons le terme douleur aiguë pour décrire une douleur qui survient soudainement. La douleur aiguë est habituellement très intense, mais elle ne dure également qu'un court instant. Soit elle s'en va d'elle-même, quand vous vous cognez par exemple, soit elle vous oblige à agir pour la faire partir, par exemple à consulter un médecin. Quand vous vous cognez, si vous essayez d'être précisément et pleinement conscient de ce que vous ressentez, vous observerez sans doute que votre mode de relation à vos sensations est important. Il a impact réel sur le degré de douleur que vous ressentez vraiment et sur l'intensité de votre souffrance. Il affecte aussi vos émotions et votre comportement. C'est vraiment une révélation de découvrir que vous disposez de différentes options pour gérer la douleur physique même une douleur très intense, outre l'option d'être automatiquement submergé par elle.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p.487-489)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.

Cactus, Jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

lundi 18 novembre 2013

« Entraîner » l’esprit consiste à acquérir d’abord une connaissance précise et concrète de son fonctionnement

« Entraîner » l’esprit ne signifie en aucun cas le soumettre par la force ou lui faire subir un lavage le cerveau. C’est au contraire acquérir d’abord une connaissance précise et concrète de son fonctionnement, notamment grâce aux enseignements spirituels et à une expérience personnelle de la pratique de la méditation. Vous avez alors recours à cette compréhension pour pacifier votre esprit et travailler habilement avec lui, pour le rendre de plus en plus malléable, afin d’en obtenir la maîtrise et de l’utiliser au mieux de ses possibilités et aux fins les plus bénéfiques.
(SOGYAL Rinpoché, « Étincelles d’éveil » (1995), Pocket n°14 913, 2013, pensée du 13 juillet)

Tassili du Maghidet (Libye)

samedi 16 novembre 2013

Être relié

Imaginez l’expérience suivante, qui a été menée par le Dr Judith Rodin et le Dr Ellen Langer, toutes deux psychologues sociales à Yale et à Harvard. Elles ont étudié des patients âgés, dans une maison de soins. Avec la coopération du personnel soignant, le Dr Rodin et le Dr Langer divisèrent les participants à l’étude en deux groupes semblables en termes d’âge, de sexe, de gravité et de type de maladie. Les membres d’un des groupes furent alors explicitement encouragés à prendre plus de décisions pour eux-mêmes concernant leur vie dans la maison de soins, comme le lieu où recevoir les visites et l’heure à laquelle voir un film, alors que les membres de l’autre groupe étaient explicitement encouragés à se laisser aider par le personnel pour ce genre de décision.
Dans le cadre de cette étude, chaque personne recevait également une plante verte à mettre dans sa chambre. Toutefois, des choses différentes étaient dites aux membres de chaque groupe au sujet de la plante qui leur était donnée. Aux personnes du premier groupe, qui avaient été encouragées à prendre des décisions pour elles-mêmes, on disait par exemple « Cette plante va embellir votre chambre. C’est votre plante à présent, qu’elle vive ou meure dépend de vous. Vous déciderez quand l’arroser, quelle place lui conviendra le mieux ». Aux personnes de l’autre groupe, qui avaient été encouragées à se laisser aider par le personnel dans les prises de décisions, on disait par exemple « Cette plante embellir un peu votre chambre. Mais ne vous inquiétez pas, vous ne devez pas l’arroser ni vous en occuper. La femme de ménage le fera pour vous ».
Le Dr Rodin et le Dr Langer observèrent après un an et demi qu’un certain nombre de personnes étaient décédées dans chaque groupe, comme on pouvait le prévoir pour des résidents âgés d’une maison de soins. Mais la découverte remarquable fut la différence importante apparue entre les deux groupes dans le nombre de personnes décédées au cours de la même période. Les personnes encouragées à laisser le personnel les aider dans la prise de décisions concernant les visites et d’autres détails de leur vie, et auxquelles on avait également dit que le personnel prendrait soin de la plante qu’elles avaient reçue, étaient décédées dans les mêmes proportions que celles habituellement constatées dans cette maison de soins. Par contre, les personnes encouragé à prendre des décisions les concernant et auxquelles on avait dit qu’elles étaient responsables de la plante, étaient décédées dans des proportions inférieures d’environ la moitié des proportions habituelles !
Le Dr Rodin et le Dr Langer conclurent de ces résultats que la possibilité pour ces résidents de la maison de soins de prendre davantage de contrôle dans leur vie, même pour de « petites » décisions, comme le moment où arroser leur plante, avait en quelque sorte un effet retardataire sur leur mort. Quiconque est familier des maisons de soins, sait que bien peu de choses y sont sous le contrôle des personnes. (Cette interprétation concorde avec les travaux du Dr Kobasa sur la résilience, qui identifient le contrôle comme facteur important de résistance à la maladie.)
J’ai été personnellement amené à une interprétation complémentaire qui donne un éclairage un différent. Dire aux pensionnaires qu’ils étaient responsables plante, leur donnait une occasion de se relier à la plante, de se sentir quelque peu nécessaires. Ils ont peut-être senti que la plante dépendait d’eux pour son bien-être. Cette façon de voir l’expérience souligne plus la connexion entre la personne et la plante, qu’un contrôle de la personne sur la plante. Même en décidant le lieu d’accueil des visiteurs et le jour du cinéma, il est à tout le moins plausible que les résidents encouragés à prendre des décisions pour eux-mêmes se soient sentis plus impliqués et en lien avec la maison de soins, et qu’ils y aient également senti un degré d’appartenance plus élevé, contrairement à l’autre.
Quand vous- vous sentez connecté à quelque chose, cette connexion vous donne immédiatement un but dans la vie. La relation elle-même donne un sens à la vie. Nous avons déjà vu que les relations, même les relations à des animaux de compagnie, protègent la santé. Nous avons aussi vu que l’affiliation, le sentiment de sens, et un sens de cohérence sont des attributs du bien-être.
Le sens et la relation sont les fils de la connexion. Ils tissent votre vie individuelle en une tapisserie plus vaste, en un tout plus grand, qui donne réellement à votre vie son individualité. Dans le-cas-de l’expérience de la plante dans la maison de soins, nous pouvons supposer-que les personnes qui avaient reçu la plante-mais à qui on n’avait pas dit qu’elles devaient en être responsables allaient probablement moins développer ce genre de relation, de connexion avec la plante. Il est plus probable qu’elles voyaient la plante-comme un élément neutre de plus dans la pièce, comme un meuble, plutôt que comme quelque chose qui dépendait d’elles pour son bien-être.
À mon avis, la connexion peut être ce qu’il y a de plus fondamental en ce qui concerne la relation de l’esprit à la santé physique et émotionnelle.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p.387-390)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.


Nénuphars, Jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

mercredi 13 novembre 2013

Calmer et s’ouvrir aux autres : le rôle du nerf vague

Le nerf vague relie le cerveau au cœur et à divers autres organes. En situation de peur, quand notre cœur bat la chamade et que nous sommes prêts à prendre la fuite ou à faire face à un adversaire, c’est lui qui ramène le calme dans notre organisme et facilite la communication avec l’autre.
En outre, le nerf vague stimule les muscles faciaux, nous permettant d’adopter des expressions en harmonie avec celles de notre interlocuteur et de le regarder fréquemment dans les yeux. Il ajuste aussi les minuscules muscles de l’oreille médiane qui permettent de se concentrer sur la voix de quelqu’un au milieu d’un bruit ambiant. Son activité favorise ainsi les échanges et accroît les possibilités de résonance positive.
Le tonus vagal reflète l’activité du nerf vague et peut être évalué en mesurant l’influence du rythme respiratoire sur le rythme cardiaque. Un tonus vagal élevé est bon pour la santé physique et mentale. Il accélère les battements du cœur quand nous inspirons (ce qui permet de distribuer rapidement le sang fraîchement oxygéné) et les ralentit quand nous expirons (ce qui le ménage à un moment où il est inutile de faire circuler le sang rapidement). Normalement, notre tonus vagal est extrêmement stable d’une année sur l’autre, influençant notre santé au fil du temps. Cependant, il diffère notablement d’une personne à l’autre.
On a constaté que ceux qui ont un tonus vagal élevé s’adaptent mieux physiquement et mentalement à des circonstances changeantes, sont plus aptes à réguler leurs processus physiologiques internes (sucre sanguin, réponse inflammatoire) ainsi que leurs émotions, leur attention et leur comportement. Ils sont moins sujets aux crises cardiaques et récupèrent plus rapidement en cas d’infarctus. Le tonus vagal est aussi un indicateur de la robustesse du système immunitaire. Par ailleurs, un tonus vagal élevé est associé à une diminution de l’inflammation chronique qui, elle, augmente les risques d’accident vasculaire cérébral, de diabète et de certains types de cancers.
Ces données quelque peu techniques prennent une importance particulière lorsque l’on sait que Barbara Fredrickson [de l’université de Caroline du Nord] et son équipe ont démontré qu’il était possible d’améliorer considérablement le tonus vagal en ayant recours à la méditation sur l’amour altruiste.
(Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance » (2013), Éditions NiL, p.85-86)

À Bruges (Belgique)

dimanche 10 novembre 2013

L'exploration intérieure : le plus important de tous les voyages

« À quoi bon aller sur la Lune si nous sommes incapables de franchir l’abîme qui nous sépare de nous-mêmes ? Voilà le plus important de tous les voyages d’exploration et, sans lui, tous les autres sont non seulement vains, mais causes de désastre. »
(Thomas MERTON, cité par SOGYAL Rinpoché, « Étincelles d’éveil » (1995), Pocket n°14 913, 2013, pensée du 25 mai)

Pays Kasséna (Burkina-Faso)

jeudi 7 novembre 2013

L'expérience de l'ours blanc

Faut-il arrêter de penser ?
Essayez le petit exercice suivant. Mettez ce livre de côté et, pendant une minute ou deux, évitez de penser à un ours blanc.
Alors, vous y êtes arrivé ?
Pas vraiment, j’imagine. Lorsqu’ils reçoivent cette consigne, la plupart des gens ne peuvent s’empêcher de penser à des ours blancs. Et ce qui se passe réellement est plus surprenant que vous ne le pensez. Pour les besoins d’une expérience rendue publique en 1987, le psychologue Daniel Wegner et ses collègues ont divisé des étudiants en deux groupes. Le premier devait ne pas penser à un ours blanc pendant cinq minutes et le second devait y penser délibérément. Comme on pourrait s’y attendre, les sujets du premier groupe ont été incapables de réprimer la pensée d’un ours blanc. Puis les deux groupes ont reçu la consigne de penser délibérément à un ours blanc pendant cinq autres -minutes. Les étudiants à qui on avait demandé de réprimer leurs pensées dans la première phase de l’expérience se sont mis à songer beaucoup plus souvent à un ours blanc que ceux du second groupe. Comme le montre notamment cette étude, ce à quoi nous résistons persiste. Notre esprit est affamé, toujours en quête d’éléments susceptibles de l’occuper et de le faire cogiter moment après moment.
Tentons une autre expérience, si-vous le voulez bien. Mettez de nouveau ce livre de côté et, assis les yeux fermés laissez votre esprit s’apaiser et toutes vos pensées s’arrêter complètement pendant quelques minutes à peine.
Alors, vous y êtes arrivés ? Sans doute pas, comme pour l’exercice précédent. La plupart d’entre nous sommes naturellement pourvus d’un esprit semblable à un singe qui bondit dans tous les sens, s'accroche aux feuilles et aux branches de notre conscience, pense à ceci, puis à cela, de manière presque aléatoire.
Mais si réprimer nos pensées ne fonctionne pas, comment pouvons-nous calmer notre esprit-singe ? Comment pouvons-nous l'amener à une forme d'apaisement, à une attention soutenue dans l'instant présent ? Il suffit d'observer le comportement d'un jeune enfant totalement absorbé par l'examen de la paume de sa main, parfois pendant des minutes entières, pour avoir un début de réponse. L'esprit humain semble doté de mécanismes innés capables de générer une attention soutenue, vigilante et engagée. Nous devons juste apprendre à les utiliser.
Quand nous étions beaucoup plus jeunes, nous le faisions spontanément. Depuis, les exigences quotidiennes ont encombré notre esprit et notre attention s'est fragmentée. Dans la vie professionnelle plus qu'ailleurs ce phénomène est flagrant et ses conséquences se manifestent sous la forme d'erreurs coûteuses, de querelles inutiles, d'actions inefficaces, de doublons, de confusion et — peut-être surtout — de stress. Mais la bonne nouvelle, c'est que, par la pratique de la méditation, vous pouvez entraîner votre esprit à ramener encore et encore votre attention vagabonde sur un objet unique.
(CHASKALSON Michael, « Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité » (2011), Préface de Christophe ANDRÉ (2013), CD audio d’exercices conçus et lus par Christophe ANDRÉ (2013), Éditions des Arènes 2013, p. 58-61)


mardi 5 novembre 2013

Un coussin, un mur, le silence (II)

Si le cerveau était un système inerte, l’expérience n’aurait aucun intérêt. Soumis à des stimulations sensorielles constantes, l’activité cérébrale convergerait rapidement vers un mode stable et stationnaire. Il ne se passerait rien, et le maintien de l’attention sur la respiration ne présenterait aucune difficulté. Cela ne ferait rien de faire du zen. Mais le cerveau ne se contente pas de réagir au monde extérieur comme un piano sous les doigts du pianiste. Quand le monde laisse ses doigts sur les touches sans les relever, le cerveau continue à jouer tout seul, en improvisant, et cette petite musique vient sans cesse capturer l’attention : il est extrêmement difficile, même dans un lieu calme, de rester concentré sur sa respiration. C’est le premier enseignement de cette expérience.
On aurait pu s’en douter, car le mouvement régulier et léger de la respiration n’a aucune des caractéristiques qui attirent habituellement l’attention, pour la capturer et la captiver. La respiration est une sensation ténue, répétée et dénuée de toute valeur émotionnelle. Mais cet argument ne peut pas expliquer à lui seul la difficulté de l’exercice, car la respiration n’est en compétition avec aucun stimulus du monde extérieur ; et, sur le plan intérieur, seules quelques sensations corporelles, musculaires notamment, pourraient distraire l’attention, mais elles ne sont guère plus palpitantes.
Et pourtant, l’attention s’éloigne sans cesse de sa cible. Essayez de maintenir votre attention sur votre respiration pendant quelques minutes et vous verrez par vous-même : l’expérience révèle l’existence de mouvements naturels de l’attention, qui n’ont pas d’autre cause que la dynamique spontanée et autoentraînée de l’activité cérébrale. C’est le deuxième enseignement de cette expérience. Un enseignement déconcertant, voire fascinant, au point que certaines personnes décident de répéter l’expérience encore et encore, en passant de longues heures en silence face à leur mur à user des coussins, jusqu’à développer une connaissance intuitive et directe de cette dynamique et des lois qui la gouvernent, comme un marin apprend à connaître les vents qui gonflent ses voiles. Pourquoi cet acharnement ? Peut-être parce que ce savoir-faire peut se révéler utile une fois l’expérience terminée, lorsqu’il est temps de se lever et de retourner dans le chaos du monde, non pas pour arrêter le souffle du vent, mais pour comprendre ses caprices et savoir y faire face.
Pour l’heure, retenons simplement que le cerveau n’est pas un piano, ou alors un modèle étrange capable de poursuivre sa petite musique tout seul quand le musicien a cessé de jouer. Le cerveau est en permanence actif et les stimulations du monde extérieur ne font que moduler une activité déjà existante. Du point de vue du propriétaire de ce cerveau, le sujet de l’expérience, le petit concert prend principalement la forme d’images mentales, de sensations corporelles et d’impressions sonores, éventuellement verbales, accompagnées ou non d’un ressenti émotionnel ; tout ce que nous appelons couramment les pensées.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.201-202)

Erg Mehedjebat (Algérie)

samedi 2 novembre 2013

Un coussin, un mur, le silence (I)

Si vous avez un jour l’occasion de pratiquer la méditation assise silencieuse, telle qu’elle est enseignée justement dans le zen, vous bénéficierez d’une place de choix pour assister au film de vos pensées, au quatrième rang et au centre, sans personne devant vous. Contrairement à une croyance commune, le principe de ce genre de pratique n’est pas forcément de ne penser à rien ou de faire le vide, ce qui reviendrait à arrêter e film, mais plutôt de voir le cerveau en action quand il devrait être au repos.
Croyez-moi, une séance de zen ressemble beaucoup à une expérience de neurosciences cognitives. Le participant est placé dans un endroit calme et reçoit une consigne simple, qui définit l’exercice à réaliser pendant la durée de l’expérience. Dans les premiers temps, cette consigne consiste généralement à porter une attention légère, mais soutenue à sa respiration. L’analogie avec une tâche comme celle de Posner, demandant au sujet de porter une attention soutenue vers le côté gauche de l’écran d’ordinateur, est évidente. Sur le plan du protocole expérimental, la seule différence vient de la modalité sensorielle à laquelle il faut faire attention : somato-sensorielle dans un cas, visuelle dans l’autre. La différence entre une séance de zen et une expérience de neurosciences cognitives ne réside donc pas dans la tâche elle-même, mais dans le mode d’observation de l’activité cérébrale. Dans le zen, le cerveau n’est pas observé de l’extérieur, mais de l’intérieur. Le sujet n’observe pas à proprement parler l’activité de ses neurones, mais la manifestation consciente de cette activité, ce que cela fait d’avoir des neurones qui s’activent. L’expérience s’appuie donc sur un principe selon lequel la perception que nous avons à chaque instant du monde et de nous-même est pour une large part la trace consciente de notre activité cérébrale. Si vous acceptez ce principe, la période de méditation n’est alors rien d’autre qu’un temps privilégié pour observer son cerveau en action, ou plus exactement, ce que cela fait d’avoir un cerveau en action.
La particularité de l’exercice, par rapport à une simple balade dans la rue, tient au fait que le participant est dans un environnement stable et calme, avec une cible attentionnelle bien définie : la respiration. Par exclusion, toutes les autres sensations sont donc des distracteurs. Par ailleurs, le contexte particulier dans lequel a lieu l’expérience met le participant à l’abri de toutes les sources extérieures de distraction évoquées lors des chapitres précédents : bruits intempestifs, images distrayantes, conversations, etc. La plupart des instructions de méditation [zen] insistent d’ailleurs pour que le participant soit assis en silence face à un mur de couleur unie, pour qu’il n’y ait donc rien, dans l’environnement, qui puisse distraire son attention. Si cette derrière s’éloigne de sa cible, la cause de la distraction est donc forcément une cause interne, autogénérée par le cerveau lui-même.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.199-201)

Erg Mehedjebat, après la pluie (Algérie)