samedi 30 mars 2013

Méprise n°8 : la méditation est un moyen d’être heureux.

Eh bien, oui et non. La méditation procure parfois d’agréables sensations de béatitude, mais pas toujours et ce n’est pas le but... De plus, si vous méditez avec cette intention, vous avez moins de chances d’y parvenir qu’en méditant simplement en vue du but réel de la méditation qui est un accroissement de conscience.
La béatitude provient de la relaxation et la relaxation de la détente des tensions. Rechercher la béatitude par la méditation introduit une tension dans le processus, qui le fait disjoncter. Il n’y a pas moyen d’en sortir. Vous ne pouvez atteindre la béatitude que si vous ne la cherchez pas. …
L’euphorie n’est pas le but de la méditation. Elle se produira souvent, mais elle doit être considérée comme un à-côté plaisant. Plus vous méditez, plus il devient fréquent. Vous ne trouverez aucun désaccord à ce sujet auprès des pratiquants avancés.
(Vénérable Hénépola GUNARATANA, « Méditer au quotidien, une pratique simple du bouddhisme », Marabout n°3644, 2010, p.51-52)

Au hasard d'une randonnée, Burkina-Faso

jeudi 28 mars 2013

Manger bien, manger moins

Il y a ceux qui se réfugient dans la nourriture pour oublier leur mal-être… Bien manger, c’est manger moins. …
En vous servant, méfiez-vous de vos yeux. Ce sont vos yeux qui vous poussent à trop manger. Vous n’avez pas besoin de telles quantités. Une alimentation consciente et joyeuse permet de diminuer de moitié la nourriture que les yeux poussent à consommer. … Nous avons souvent « les yeux plus gros que le ventre ». Nous devons conférer à nos yeux l’énergie de la pleine conscience afin de déterminer exactement ce dont nous avons besoin. Les Chinois nomment le bol utilisé par les moines et les nonnes « ustensile de la mesure juste ». Nous utilisons aussi ce genre d’ustensile pour éviter d’être mystifiés par nos yeux. Si la nourriture atteint le bord du bol, nous savons qu’elle est largement suffisante. Nous nous contentons alors de cette quantité. En mangeant ainsi, vous ferez des économies et vous pourrez acheter des aliments de qualité sans vous ruiner.
(Thich Nhat Hanh, « La colère », Pocket n°11 727, 2011, p.21-23)

Échoppe, Marrakech (Maroc)

lundi 25 mars 2013

« Entraînement de l’esprit » et neuroplasticité

La base de tout changement psychique et émotionnel durable et autoproduit (ne dépendant pas seulement des circonstances, mais pouvant au contraire leur résister), c’est la neuroplasticité : la survenue de modifications fonctionnelles des voies neurales. Et la base de la neuroplasticité, c’est la notion d’expériences et d’exercices inlassablement répétés. C’est dans la bouche de Matthieu Ricard que j’ai entendu pour la première fois le terme « entraînement de l’esprit », qui sous-entend que le cerveau est un organe semblable aux muscles, en ce qu’il exige qu’on le fasse régulièrement travailler.
C’est vrai pour la thérapie, mais aussi pour la prévention des troubles, par exemple par les exercices que proposent les praticiens de la psychologie positive qui nous invitent à apprendre à « savourer les bons moments », Quand vous passez un bon moment, si vous avez appris à intensifier votre conscience de ce bon moment, vous l’engrammez dans votre cerveau de manière beaucoup plus puissante que si vous l’avez vécu et traversé sans y prêter beaucoup d’attention. Et vous pourrez ensuite retrouver cet état, même si le contexte environnant est devenu déplaisant. Toutes les nouvelles théories sur le bien-être et le bonheur reposent sur ce processus.
(Christophe ANDRÉ, Pierre BUSTANY, Boris CYRULNIK, Thierry JANSSEN, Jean-Michel OUGHOURLIAN, Entretiens avec Patrice VAN EERSEL « Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » (2012), Éditions Albin MICHEL 2012, Entretien avec Christophe ANDRÉ, p.142-143)

Abeille, Château de Hac  (Bretagne, France)

vendredi 22 mars 2013

La maîtrise de l’attention : tout un art

Jusqu'à présent, nous n'avons envisagé que l'entraînement de la concentration. Il s'agit bien sûr d'une composante essentielle de l'entraînement de l'attention, mais ce n'est pas suffisant. Vous êtes peut-être capable de courir vite et longtemps, mais si vous ne courez pas dans la bonne direction, cela ne sert à rien. De même, votre concentration ne vous sera utile que si vous savez vous en servir. Si ce n'est pas le cas, vous finirez comme le mathématicien grec Thalès, dont Platon raconte qu'il était un jour si absorbé par le ciel qu'il tomba dans un puits . Quelle concentration ! Mais quelle inattention...
Comme l'illustre cette histoire, la plupart des fautes d'inattention de la vie de tous les jours ne sont pas dues à une mauvaise capacité de concentration. Le plus souvent, l'erreur vient simplement d'une mauvaise programmation de l'attention soit parce que nous n'avons pas fait assez attention, alors que nous aurions facilement pu y arriver (mauvaise intensité), soit parce que nous n’avons pas porté notre attention là où il le l'allait (mauvaise cible), soit encore parce que nous n'avons pas fait attention au bon moment ou suffisamment longtemps (mauvais timing). Il s'agit souvent de petites actions courtes, mais mal menées ; un verre cassé, des clés oubliées... Ça vous rappelle quelque chose ? Si quelqu'un nous avait rappelé de bien faire attention au verre ou à nos clés, nous aurions su nous concentrer suffisamment pour laver le verre sans le casser ou pour ne pas oublier nos clés. Ce n'est donc pas notre capacité de concentration qui est en cause, mais notre capacité à programmer notre attention. Ces erreurs se produisent le plus souvent lorsque nous sous-estimons la difficulté d'une tâche et que nous n'utilisons pas correctement notre système exécutif. L'attention évolue à son gré, sans directive particulière. En admettant qu'un dispositif d'entraînement de la concentration existe, il ne nous empêcherait pas de continuer à casser des verres ou d'oublier nos clés. Cela ne sert à rien d'avoir des gros muscles si on ne les utilise pas. La maîtrise de l'attention n'est pas qu'une affaire de musculation ; la maîtrise de l'attention est, je le répète, un art.
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.319-320)

Dans le jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

mardi 19 mars 2013

Le force de l'habitude : l'action non consciente

La pierre philosophale
On dit que, lors de l’incendie de la grande bibliothèque d’Alexandrie, un seul livre fut préservé. C’était un livre très ordinaire, ennuyeux, et dépourvu de tout intérêt. Aussi le vendit-on pour quelques sous à un pauvre homme qui savait à peine lire.
Or ce livre, tout ennuyeux et dépourvu d’intérêt qu’il fût, se trouvait être probablement le livre le plus précieux du monde, car à l’intérieur de sa couverture arrière étaient griffonnées en grosses lettres rondes quelques phrases qui contenaient le secret de la pierre philosophale – petit caillou qui avait la propriété de transformer en or pur tout ce qu’il touchait.
L’écrit déclarait que le précieux caillou reposait quelque part sur les bords de la mer Noire parmi des milliers d’autres cailloux qui lui étaient tout à fait semblables à ce seul détail près que, tandis que les autres étaient froids au toucher, celui-ci était chaud, comme s’il avait été vivant. L’homme se réjouit de sa bonne fortune. Il vendit tout ce qu’il avait, emprunta une grosse somme d’argent qui devait lui durer un an et se mit en route pour la mer Noire, où il s’installa sous la tente et entreprit la dure besogne de rechercher la pierre philosophale.
Voici comment il s’y prit : il soulevait un caillou, et si celui-ci était froid au toucher, il ne le rejetait pas sur la rive, parce qu’en agissant ainsi il aurait bien pu soulever le même caillou des douzaines de fois ; non : il le jetait dans la mer. Ainsi, chaque jour, pendant des heures, il poursuivit patiemment son travail : soulever un autre caillou … et ainsi de suite, sans aucune interruption.
L’homme s’adonna à cette tâche durant une semaine, un mois, dix mois, une année entière. Alors, il emprunta encore de l’argent et poursuivit sa recherche deux autres années. Sans cesse il recommençait : soulever un caillou, le sentir … il est froid, le jeter dans la mer. Heure après heure ; jour après jour ; semaine après semaine … toujours pas de pierre philosophale.
Un soir, il souleva un caillou, et voilà qu’il était chaud au toucher – mais par la simple force de l’habitude, il le jeta dans la mer Noire !
Faites attention à ce qu’on se plait à appeler un comportement libre et responsable : vous découvrirez fort probablement non de l’action consciente, mais du mouvement mécanique… et des réactions programmées.
(Anthony de Mello, s.j., « Histoires d’humour et de sagesse » [1987], Éd. Albin Michel poche 2011 n°172, p.116-117)

Phare, coquillages, rochers...  (Bretagne, France)

vendredi 15 mars 2013

Observer les pensées et les états affectifs en position "meta"

En pratiquant la pleine conscience, il est donc important de voir nos pensées comme des pensées et non simplement comme la « vérité ». Les états affectifs peuvent aussi être contemplés de cette façon, puisque nos émotions sont intimement associées à nos pensées.
Quand nous regardons ainsi nos pensées et nos sentiments, nous sentons parfois se desserrer l'étau des adjectifs possessifs. Dans ces moments, ce n'est plus « ma » pensée, mais juste « une » pensée, non plus « mon » sentiment, mais simplement « un » sentiment. Cela peut nous libérer d'un solide attachement à « nos » pensées, opinions et émotions, et nous donner plus de latitude. Qu'il s'agisse d'agacement ou d'embarras, d'impatience ou de colère, identifier le sentiment en pleine conscience nous ouvre de nouveaux choix et permet de ne pas être bloqué, de ne pas réagir sans conscience. Cela ne signifie pas que nous ne prenons plus nos émotions ou nos pensées au sérieux, ni que nous n'en tenons plus compte. Mais savoir que nos pensées ne sont que des pensées, que nos sentiments ne sont que des sentiments, cela nous aide à agir de façon plus appropriée, à être plus à l'écoute de nous-mêmes et des exigences de chaque situation.
(KABAT-ZINN Jon et Myla, « À chaque jour ses prodiges, Être parents en pleine conscience » [1997], Éditions Les Arènes, 2012, Préface Christophe André [2012], p. 136)

Bouddha, détail (Musée Guimet, Paris)

lundi 11 mars 2013

Trop occupé pour penser au sens de sa vie...

Manuel est un homme libre (Suite de "Manuel est un homme important et nécessaire", voir 03/02/2013)
Pendant trente ans, Manuel travaille sans arrêt, il élève ses enfants, donne le bon exemple, consacre tout son temps au travail et ne se demande jamais : « Est-ce que ce que je suis en train de faire a un sens ?» Son seul souci, c’est l’idée que plus il sera occupé, plus il sera important aux yeux de la société.
Ses enfants grandissent et quittent la maison, il a une promotion, un jour on lui offre une montre ou un stylo pour le récompenser de toutes ces années de dévouement, ses amis versent quelques larmes, et arrive le moment tant attendu : le voilà retraité, libre de faire ce qu’il veut.
Les premiers mois, il se rend de temps à autre à son ancien bureau, bavarde avec ses vieux amis, et s’accorde un plaisir dont il a toujours rêvé : se lever plus tard. Il se promène sur la plage ou dans la ville, il a une maison de campagne qu’il s’est achetée à la sueur de son front, il a découvert le jardinage et il pénètre peu à peu le mystère des plantes et des fleurs. Manuel a du temps, tout le temps du monde. Il voyage grâce à une partie de l’argent qu’il a pu mettre de côté. Il visite des musées, apprend en deux heures ce que les peintres et sculpteurs de différentes époques ont mis des siècles à développer, mais du moins a-t-il la sensation d’accroître sa culture. Il fait des centaines, des milliers de photos, et les envoie à ses amis – après tout, ils doivent savoir qu’il est heureux !
D’autres mois passent. Manuel apprend que le jardin ne suit pas exactement les mêmes règles que l’homme – ce qu’il a planté va pousser lentement, et rien ne sert d’aller voir si le rosier est déjà en boutons. Dans un moment de réflexion sincère, il découvre qu’il n’a vu au cours de ses voyages qu’un paysage à l’extérieur de l’autocar de tourisme, des monuments qui sont maintenant rangés sur des photos 6 x 9, mais qu’il n’a, en réalité, ressenti aucune émotion particulière – il s’inquiétait davantage de raconter son aventure à ses amis que de vivre l’expérience magique de se trouver dans un pays étranger.
Il continue à regarder tous les journaux télévisés, il lit davantage la presse (car il a plus de temps), il se considère comme une personne extrêmement bien informée, capable de discuter de choses qu’autrefois il n’avait pas le temps d’étudier.
Il cherche quelqu’un avec qui partager ses opinions – mais ils sont tous plongés dans le fleuve de la vie, travaillant, faisant quelque chose, enviant Manuel pour sa liberté, et en même temps contents d’être utiles à la société et « occupés » à une activité importante.
Manuel cherche du réconfort auprès de ses enfants. Ces derniers le traitent toujours très gentiment – il a été un excellent père, un exemple d’honnêteté et de dévouement – mais eux aussi ont d’autres soucis, même s’ils se font un devoir de prendre part au déjeuner dominical.
Manuel est un homme libre, dans une situation financière raisonnable, bien informé, il a un passé impeccable, mais maintenant ? Que faire de cette liberté si durement conquise ? Tout le monde le félicite, fait son éloge, mais personne n’a de temps pour lui. Peu à peu, Manuel se sent triste, inutile – malgré toutes ces années au service du monde et de sa famille.
Une nuit, un ange apparaît dans son rêve : « Qu’as-tu fait de ta vie ? As-tu cherché à la vivre en accord avec tes rêves ? »
Manuel se réveille avec des sueurs froides. Quels rêves ? Son rêve, c’était cela : avoir un diplôme, se marier, avoir des enfants, les élever, prendre sa retraite, voyager. Pourquoi l’ange pose-t-il encore des questions qui n’ont pas de sens ?
Une nouvelle et longue journée commence. Les journaux. Les informations à la télévision. Le jardin. Le déjeuner. Dormir un peu. Faire ce dont il a envie – et à ce moment-là, il découvre qu’il n’a envie de rien. Manuel est un homme libre et triste, au bord de la dépression, parce qu’il était trop occupé pour penser au sens de sa vie, tandis que les années coulaient sous le pont. Il se rappelle les vers d’un poète : « Il a traversé la vie/il ne l’a pas vécue. »
Mais comme il est trop tard pour accepter cela, mieux vaut changer de sujet. La liberté, si durement acquise, n’est autre qu’un exil déguisé.
(Paulo COELHO, « Comme le fleuve qui coule », Flammarion, 2006, p.57-59 ; J’ai Lu n°8285, 2011, p.62-64)

Tempête, Erg Mehedjebat (Algérie)


vendredi 8 mars 2013

La qualité de l'attention

Mais revenons à l'attention, et à ses rapports avec la conscience. Nous pouvons difficilement agir de manière directe sur notre conscience. Nous devrons, en général, apprendre pour cela à moduler notre attention. Ce travail peut s’effectuer dans deux directions.
La première concerne l'ouverture attentionnelle : l'attention peut ainsi être focalisée (étroite) ou ouverte (large). Dans l'attention focalisée, on dirige un faisceau attentionnel étroit, par exemple sur une action (être concentré sur ce qu'on fait), un spectacle (être absorbé par ce qu'on voit ou entend), ou des pensées (« partir » dans ses réflexions ou ses ruminations). L'attention ouverte, à l'inverse, tend à s’élargir, à se détacher de ses objets initiaux, à se libérer doucement de l’identification aux pensées ou aux ressentis. Et à inclure d’autres objets. C’est ce qui se passe lorsque, tout en observant ce qu’on ressent dans son corps, on inclut aussi, par strates successives, les sons, les pensées, les émotions dans notre expérience de l'instant présent. Cette attention plus largement ouverte tend naturellement vers ce qu'on pourrait aussi appeler une « conscience attentive », et qui se rapproche fortement de la pleine conscience.
Mais il y a encore autre chose dans la pleine conscience. La seconde direction de travail possible porte en effet non plus sur l’ouverture mais sur la qualité de notre attention : « analytique » ou « immergée ». L’attention analytique, c’est celle que nous mobilisons lorsque nous nous concentrons sur la résolution d’un problème ardu, mathématique ou existentiel. Notre intelligence fonctionne alors à plein, nos pensées s’enchainent, notre raisonnement avance, et nous analysons dans le détail les tenants et les aboutissants du problème. L’attention immergée, elle, se situe à un autre niveau : elle nous fait oublier que nous sommes en train de réfléchir ou d'agir. L'attention immergée peut concerner des activités simples : être absorbé par un film passionnant, ou par le rythme de sa foulée lors d’un jogging. Mais elle concerne aussi des tâches plus complexes : descendre une pente à ski, jouer d'un instrument de musique, ou s'absorber dans une tâche intellectuelle. Dans toutes ces situations nous sommes pleinement attentifs à ce que nous faisons (sinon nous tomberions, ferions une fausse note ou serions sans arrêt distraits de notre réflexion). Mais nous le sommes dans un état d’attention dite « immergée » : nous sommes si intensément présents à ce que nous faisons que nous sommes complètement « dedans », sans besoin de mentaliser ou d’analyser ce qui se passe.
Plus notre attention est élargie et immergée, plus nous nous rapprochons de la pleine conscience : une présence intense et ouverte, pas seulement mentale mais globale (incluant notre corps tout entier), à l'expérience que nous vivons instant après instant.
(Christophe ANDRÉ, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p. 92-94)

Mimosa, Bretagne (France)

mardi 5 mars 2013

La procrastination : l'art de remettre une action au lendemain...

La paix ne peut exister que dans le moment présent. Il est ridicule de dire : « Attends que je finisse cela, après je serai libre de vivre en paix. » Qu’est-ce que « cela » ? Un diplôme, un travail, une maison, le remboursement d’une dette ? Si vous pensez de cette façon, la paix ne viendra jamais. Il a y toujours un autre « cela » qui suivra le premier. Si vous ne vivez pas en paix en ce moment, vous ne serez jamais capable d’y arriver. Si vous désirez sincèrement être en paix, vous devez être en paix tout de suite. Autrement, il n’y a que « l’espoir de la paix, un jour peut-être ».
(Thich Nhat Hanh, « La vision profonde, De la pleine conscience à la contemplation intérieure », Albin Michel n°131, 2009, p.188)

Printemps, Fort-la-Latte, Bretagne, (France)

samedi 2 mars 2013

Comment entraîner son attention ?

Est-il possible de muscler son attention, et si oui, comment ? Les traitements utilisés pour soigner certains déficits attentionnels semblent avoir une certaine efficacité, au moins chez certains patients. Mais les médicaments sont pour les malades, et tout le monde ne l'est pas. Pour les autres, existe-t-il une autre façon, peut-être plus durable, d'améliorer son attention sans l'aide de la chimie ? Bonne nouvelle, la réponse est oui. Mais, mauvaise nouvelle, cela prend du temps. Vous aurez compris, en lisant ce livre, que l'attention est un processus biologique, tout autant que la contraction musculaire. Les chances de pouvoir améliorer son efficacité du jour au lendemain sont donc minimes. Le corps a beau être plastique, il faut tout de même du temps pour lui donner la forme que l'on souhaite. Il faut beaucoup de patience et d'efforts pour perdre du poids ou augmenter sa masse musculaire, et il en va de même pour entraîner son cerveau ; No pain, no gain, disent les Américains ; « on n'obtient rien sans se donner du mal ».
Il n'existe pas, à l'heure actuelle, d'exercice miracle qui entraîne spécifiquement l'attention, comme les pompes entraînent les muscles des bras. Il existe en revanche des milliers d'activités humaines qui exigent de l'attention, depuis le golf jusqu'au violon, en passant par la cuisine, mais ce n'est pas tout à fait pareil. S'il suffisait, pour entraîner l'attention de pratiquer régulièrement une activité qui demande d’être attentif, nous serions tous des champions olympiques de la concentration, car la quasi-totalité des activités de la vie courante l'exigent ; mais cela ne suffit pas, malheureusement. Pourtant, chaque activité de la vie quotidienne est effectivement l'occasion d'améliorer son attention, à condition de la réaliser dans ce but. Tout est affaire d'état d'esprit. La cérémonie du thé, telle qu'elle est pratiquée au Japon, en est un bon exemple. Bien qu'il ne s'agisse que de préparer du thé – une activité somme toute banale –, l'état d'esprit dans lequel se déroulent les préparatifs en fait un exercice d'attention. Ce n'est donc pas le thé lui-même qui compte, mais la qualité d'attention accordée au cérémonial. Vous pouvez préparer le thé tous les jours sans jamais améliorer vos capacités d'attention, mais le jour où vous en faites une cérémonie, l'entraînement commence. La cérémonie du thé illustre donc le fait que toute activité, aussi simple soit-elle, peut être l'occasion, d'entraîner son attention, à condition de la considérer comme telle. Libre à vous d'inventer la cérémonie de la vaisselle, de la découpe du pain ou de la cuisson des pâtes !
Si l'immense majorité de nos activités nécessitent notre des attention sans toutefois l'entraîner, c'est parce que leur but premier n'est pas celui-là. Le golfeur cherche avant tout à mettre sa balle dans le trou et le violoniste à jouer avec justesse et émotion. L’attention est un moyen pour atteindre ce but, pas une fin. Ces activités contribuent parfois à stabiliser l'attention, mais toujours de façon incidente et annexe. Quelle que soit la discipline que l'on souhaite maîtriser, le travail de l'attention fait rarement l'objet de séances ou d'exercices d'entraînement dédiés. Ces séances servent plutôt à développer des automatismes techniques : l'élève répète les mêmes procédures motrices ou cognitives jusqu'à ce qu'il soit capable de les produire de façon réflexe, sans y penser, ou autrement dit, sans y faire attention. Nous arrivons donc à une sorte de paradoxe du point de vue de l'entraînement de l'attention, un peu comme si, à force de faire des pompes pour renforcer votre musculature, votre corps s'adaptait pour les faire sans utiliser les muscles des bras. Le cerveau semble toujours à la recherche du moindre effort...
(LACHAUX Jean-Philippe, « Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise » (2011), Éditions Odile Jacob Poche n°328, 2013, p.304-305)

Arches d'un viaduc, Bretagne (France)