jeudi 29 novembre 2012

L'entraînement mental modifie physiquement le cerveau

Au cours des années 1990, Pascual-Leone, professeur de neurologie à la Harvard Medical School, mena une expérience qui, a posteriori, semble jeter une passerelle entre la découverte que les stimuli externes altèrent le cerveau et les travaux plus récents démontrant que les stimuli autogénérés — la pensée et la méditation — en sont également capables. Il enseigna à un groupe de sujets un exercice à cinq doigts sur le clavier d'un piano. Ils devaient jouer le morceau avec le plus de fluidité possible, sans faire de pause, en tentant de soutenir le rythme du métronome, soixante battements par minute. Les sujets s'exercèrent deux heures par jour, pendant cinq jours. Ils passèrent ensuite une épreuve où ils devaient jouer le morceau vingt fois tandis qu'un ordinateur dénombrait leurs erreurs. Au fil des cinq jours, les joueurs commettaient de moins en moins d'erreurs, et leur rythme s'améliorait si bien que les intervalles entre chaque note se rapprochaient peu à peu de ce qu'exigeait le métronome.
Les sujets subirent un autre test. Pendant quelques minutes chaque jour, ils s'installaient sous un ressort de métal émettant une brève impulsion magnétique dans le cortex moteur de leur cerveau. La Stimulation Magnétique Transcrânienne (SMT) invalide momentanément les neurones juste au-dessous du ressort ; elle permet ainsi aux scientifiques d'inférer quelle fonction ces neurones gèrent. Chez les pianistes, l'impulsion était dirigée vers le cortex moteur – plus spécifiquement, vers la bande qui contrôle la flexion et l'extension des doigts. Ainsi, les chercheurs étaient en mesure de cartographier les frontières de cette bande et de discerner la zone du cortex moteur consacrée aux mouvements des doigts requis pour l'exercice au piano. Les scientifiques constatèrent qu'après une semaine de pratique, la bande de cortex moteur gérant les mouvements de ces doigts avait usurpé les zones avoisinantes, comme des pissenlits sur une pelouse impeccable.
Ces résultats correspondaient tout à fait à l'afflux croissant de découvertes montrant que plus un muscle est utilisé, plus le cerveau lui consacrera d'immobilier cortical. Mais Pascual-Leone ne s'arrêta pas là. Il pria un autre groupe de sujets de simplement songer à l'exercice de piano. Ils jouaient le morceau simple dans leur tête, imaginant comment ils bougeraient les doigts pour produire les notes de la mélodie. Le résultat : la région du cortex moteur responsable des doigts exécutant le morceau s'étendit dans le cerveau des sujets qui ne faisaient qu’imaginer qu'ils jouaient, tout comme elle s'était développée chez ceux l'exécutaient concrètement. Les répétitions mentales activaient les mêmes circuits moteurs que les répétitions dans les gestes, avec les mêmes résultats : l'activation accrue entraînait une expansion de cette partie du cortex moteur.
Pascual-Leone et ses collègues écrivaient par la suite : « Une réorganisation similaire fut induite par la pratique mentale. » « L'exercice mental peut suffire à promouvoir la modulation plastique des circuits neuraux. » Et cette modulation plastique peut permettre aux gens d'acquérir une aptitude plus rapidement. Si ces résultats sont valables pour d'autres formes de mouvement (et il y a lieu de croire qu'ils le sont), alors s’exercer mentalement à un coup au golf, à une passe vers l'avant ou à la natation pourrait conduire à maîtriser le mouvement sans requérir autant de pratique physique. Plus globalement toutefois, cette découverte apportait encore une preuve venant étayer la capacité de l'entraînement mental de modifier physiquement le cerveau.
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p. 174-175)

Hauts-plateaux à proximité du col de Selim (Arménie)

lundi 26 novembre 2012

Attention... aux vols de l'attention

Le travail sur l'attention est une nécessité repérée depuis longtemps en Orient comme en Occident. Écoutons à nouveau William James [l'un des fondateurs de la psychologie moderne] : « La faculté de ramener volontairement une attention qui s'éparpille tout le temps constitue la racine même du jugement du caractère et de la volonté. Nul n’est une personne entière qui ne la possède. [...] Mais il est plus facile de définir cet idéal que de donner des indications pratiques pour l'engendrer. »
Ces capacités attentionnelles sont effectivement à la base de notre efficacité mentale comme de notre bien-être. Et ce d’autant plus que nos modes de vie contemporains tendent à les affaiblir et à les appauvrir : nous évoluons de plus en plus dans des environnements « psychotoxiques », qui fragmentent notre attention en lui imposant de nombreuses interruptions (cela va des publicités radio ou télé aux flots continus d’e-mails ou SMS), en lui proposant des sollicitations mobilisantes et accrocheuses (on a ainsi montré l’augmentation vertigineuse, au cinéma comme à la télévision, du nombre de plans à la minute). Le problème, c’est que notre mental tend déjà vers ça, vers la distraction et la dispersion. Notre esprit est attiré par le bruyant et le facile, comme notre goût est attiré par le sucré ou le salé. Ce type d’environnements (et notre absence d’effort pour les contrebalancer) fait que notre attention a alors tendance à toujours fonctionner sur un registre attentionnel serré et étroit. Elle prend l’habitude de rester focalisée et de ne faire que sauter d’un objet à l’autre : d’un souci à un autre, d’une distraction à une autre, etc. On soupçonne aujourd’hui ce fonctionnement de l’attention, trop souvent basé sur un mode étroit et analytique, d’être à la base des ruminations qui alimentent les états anxieux et dépressifs. D’où l’intérêt, plus que jamais, d’un travail sur les capacités attentionnelles, pour les protéger ou les restaurer. La pratique de la méditation peut, de ce point de vue, être considérée comme une forme d’entraînement attentionnel. Pour que plus jamais ne nous soit dérobée notre conscience …
(Christophe ANDRÉ, « Méditer, jour après jour », Éd. L’iconoclaste, 2011, p.94-97)

Moine, Angkor (Cambodge)

vendredi 23 novembre 2012

S'ouvrir au-delà de nos façons courantes de voir, de penser et d’agir pour résoudre certains problèmes

À la clinique de réduction du stress, pour illustrer la nature automatique de nos schémas de vision et de pensée, nous donnons l’exercice appelé « le problème des neuf points » … Il montre d’une manière claire et facilement compréhensible à quel point la façon dont nous percevons un problème tend à limiter notre capacité à y apporter des solutions. Le problème se présente comme suit : vous devez relier les neufs points de la figure ci-dessous en traçant quatre droites sans soulever votre plume ni repasser deux fois sur le même trait. Avant de lire la suite, essayez vous-même de résoudre cette question pendant cinq à dix minutes, sauf si vous connaissez déjà la réponse.




La plupart des gens commencent par un coin et tracent trois lignes autour du carré, puis cela devient moins clair ! Un des points ne sera pas relié en procédant ainsi. À ce moment, l’esprit peut se sentir en difficulté. Plus vous essayez de solutions qui ne marchent pas, plus vous risquez d’être frustré. …
… La solution se trouve dans le prolongement des lignes que vous dessinez au-delà du carré imaginaire formé par les points. Tel qu’il est présenté, le problème ne vous empêche pas de sortir des points, mais la tendance « normale » est de voir le carré des points comme le champ du problème plutôt que de voir les points dans le contexte de la feuille de papier et de reconnaître que le champ du problème est la surface entière qui contient les points. …
Le problème des neuf points suggère que nous pouvons avoir besoin d’adopter une perspective plus large sur certains problèmes si nous souhaitons les résoudre. Cette approche implique de nous demander quelle est en réalité l’étendue du problème, de discerner la relation entre ses différentes parties prises isolément et le problème dans son ensemble. …
Le problème des neuf points nous enseigne que nous devons parfois nous ouvrir au-delà de nos façons courantes de voir, de penser et d’agir pour résoudre certains types de problèmes. Si nous ne le faisons pas, nos tentatives d’identifier et de résoudre nos problèmes seront habituellement empêchées par nos préjugés et nos a priori. Notre manque de conscience du système dans sa totalité nous empêchera souvent de voir de nouvelles options et de nouvelles manières d’aborder les problèmes. Nous aurons tendance à nous embourber en eux et dans nos crises, à prendre des décisions et à faire des choix malheureux. Plutôt que de prendre les problèmes à bras-le-corps jusqu’à atteindre des solutions, nous avons tendance, quand nous sommes embourbés, à multiplier les problèmes, à les aggraver, et aussi à arrêter de chercher des solutions. Ces expériences peuvent nous conduire à des sentiments de frustration, d’insuffisance et d’insécurité. Quand la confiance en soi s’érode, il devient plus difficile de résoudre les problèmes qui se présentent. Les doutes que nous avons au sujet de nos capacités se transforment en prophéties qui s’autoalimentent. Elles peuvent aller jusqu’à dominer notre vie. De cette façon, ce sont nos processus de pensées qui créent nos propres limites. Nous oublions alors, trop souvent, que c’est nous qui les avons créées. Nous sommes alors bloqués et sentons que nous n’arrivons pas à les dépasser.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p. 289-293)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». À ce jour [en 2012], plus de 550 centres, hôpitaux ou cliniques utilisent la MBSR aux États-Unis, et plus de 700 à travers le monde, l’utilisent comme outil de soin.


jeudi 22 novembre 2012

Pourquoi être pleinement dans l'instant ?

Quand nous nous asseyons près d'une rivière, nous pouvons écouter son rire et observer ses eaux miroitantes, remarquer les galets brillants et les plantes vertes toutes proches, et nous pouvons alors être submergés de joie. Nous ne faisons qu’un avec la fraîcheur, la pureté et la clarté du courant. Mais en un instant, il peut arriver que nous soyons distraits. Notre cœur est troublé, et nous pensons à d’autres choses. Nous ne sommes plus un avec le cours d’eau. Il n’est d’aucune utilité de s’asseoir dans une forêt paisible si notre esprit est perdu en ville.
Quand nous sommes en compagnie d’un ami ou un enfant, leur fraîcheur et leur chaleur peuvent nous aider à nous détendre. Mais si notre cœur n’est pas avec eux, leur présence précieuse est oubliée et ils n’ont plus d’importance. Nous devons être conscients de leur présence pour apprécier leur valeur, pour permettre qu’ils fassent notre joie.
Si, par négligence ou par distraction, nous ne sommes pas contents d’eux, et que nous commençons à exiger trop d’eux ou à les réprimander, nous les perdrons. Ce sera seulement après qu’ils seront partis que nous réaliserons leur valeur et que nous aurons des regrets. Mais une fois qu’ils ne sont plus là, il est trop tard pour les regretter.
(Thich Nhat Hanh, « La vision profonde, De la pleine conscience à la contemplation intérieure », Albin Michel n°131, 2009, p.65-66)

Rivière en Bretagne (France)

samedi 17 novembre 2012

Soigner un trouble obsessionnel compulsif (TOC) grâce à la pleine conscience

… Les symptômes de cette maladie neuro-psychiatrique se caractérisent chez les malades par des pensées perturbantes, envahissantes, indésirables (l’obsession) qui déclenchent l’impulsion irrépressible de se livrer à des comportements rituels (la compulsion). Le malade peut se sentir poussé à se laver les mains, à vérifier les serrures, que le gaz de la cuisinière est bien éteint, … n’importe quel objet sur lequel il ou elle s’est fixé/e. …

Neuropsychiatre à l’université de Californie, Jeffrey Schwartz décida de voir si la « pleine conscience » [La pleine conscience, ou conscience attentive, consiste à observer ses expériences intérieures d'une manière pleinement lucide, sans toutefois porter de jugements. Vous demeurez hors de votre propre esprit, à observer les pensées et les sentiments spontanés que le cerveau produit, témoin de tout cela comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre] pouvait aider ses malades atteint d’un trouble obsessionnel compulsif (TOC). Il leur fixa deux objectifs : en présence d'un symptôme du TOC, ils devaient éviter de réagir émotionnellement et comprendre que cette impression qui leur dit que quelque chose ne va pas n'est que la manifestation d'un câblage défectueux dans le cerveau — une hyperactivité dans les circuits du TOC. La pratique de la « pleine conscience », songea-t-il, pourrait rendre les obsessionnels compulsifs conscients de la nature véritable de leurs obsessions et par conséquent, capables de mieux en détourner leur attention. « Il fallait voir si le fait d'apprendre à observer les sensations et les pensées tout en restant calme et lucide, comme un observateur extérieur, était susceptible de consolider leur capacité de résister aux pensées insistantes du TOC », explique Schwartz. « Je me disais qu'il pourrait s'avérer extrêmement thérapeutique d'inciter ces patients à éprouver un symptôme du TOC sans réagir par l'émotion au malaise qu'il provoque et à réaliser plutôt que même les impulsions les plus viscérales, causées par le TOC, ne sont rien de plus que la manifestation d'un câblage défectueux dans le cerveau et n’ont aucune réalité intrinsèque. » Si c'était possible, alors la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, qui apprend aux malades à considérer leurs pensées sous un autre jour, pourrait obtenir le succès là où avaient échoué les médicaments, la thérapie cognitive classique et l'exposition avec prévention de réponse (EPR).
L'attitude d'observation mentale indispensable à cette pratique de conscience attentive ressemblerait à ceci. Quand surgit une pensée obsessive, le malade doit se dire, « Mon cerveau est en train de produire une autre pensée obsessive. Je sais très bien qu'elle n'a aucune réalité, que ce ne sont que des sottises que m'envoie un circuit défectueux. » Il fallait aussi penser qu'il n'existait pas vraiment de besoin de se laver, il ne s'agissait que d'un problème de circuiterie cérébrale.
En 1987, Schwartz instaura une thérapie de groupe associée aux études en cours sur les anomalies qui sous-tendent le TOC. Les patients venaient pour la thérapie et les scientifiques évaluaient leurs progrès à l'aide d'imagerie cérébrale, le scanner PET. Schwartz se mit à montrer aux malades les images de leur cerveau, pour mettre en relief le fait que leurs symptômes résultaient d'un circuit neurologique déréglé. Une patiente le saisit instantanément : « Ce n'est pas moi, c'est mon TOC ! » s'exclama-t-elle un jour. Bientôt, d'autres malades comprirent aussi que leurs obsessions et leurs compulsions ne faisaient pas vraiment partie d'eux, mais qu'elles étaient plutôt les détritus électroniques de la circuiterie cérébrale. Schwartz s'interrogeait : le fait d'inciter les patients à réagir autrement aux pensées obsessives qui caractérisent le TOC pourrait-il modifier leur cerveau ? Il enseigna donc à ses patients à recourir à la pratique de la pleine conscience pour affiner en eux cette lucidité qui sait qu'ils n'ont pas vraiment laissé la cuisinière allumée ou que leurs mains ne sont pas sales. Pensez plutôt, les exhortait-il, que vous êtes simplement en train de vivre l'arrivée d'une pensée obsessive. Dites-vous : cette impression qui ressemble à un besoin de vérifier, ce n'est en fait qu'un problème de circuiterie cérébrale.
« Les patients se mirent à considérer leurs symptômes comme des manifestations de processus cérébraux pathologiques, et dès la semaine suivante, ils mentionnèrent que la maladie ne les régissait plus ; ils avaient l'impression désormais d'avoir un moyen d'y remédier », se réjouit Schwartz. « Je savais que j'étais sur la bonne voie. »
Pour déterminer si les bienfaits dont les patients faisaient état s'accompagnaient d'altérations cérébrales, les scientifiques de UCLA entre prirent ce qui allait devenir une étude classique sur la manière dont l'esprit est capable de refaçonner la biologie fondamentale du cerveau. Ils effectuèrent des tomographies sur dix-huit des malades du TOC avant et après dix semaines de thérapie basée sur l'attention. Aucun malade ne prenait de médicaments pour le TOC ; leurs symptômes allaient de modérés à sévères. Douze d'entre eux présentèrent des améliorations significatives. Chez ces derniers, les images du TEP après le traitement montraient que l'activité dans le cortex frontal orbital, le noyau du circuit du TOC, avait radicalement diminué par comparaison à ce qu'elle était avant la thérapie méditative avec pleine conscience.
« La thérapie avait réussi à modifier le métabolisme du circuit du TOC », renchérit Schwartz. « Ce fut la première étude qui établissait qu'une thérapie cognitivo-comportementale avait le pouvoir de transformer systématiquement une chimie cérébrale déréglée en un circuit cérébral bien défini. » Les altérations cérébrales qui s'ensuivirent, précise-t-il, « apportaient la preuve solide qu'un effort volontaire d'attention peut modifier la fonction cérébrale et que ces modifications cérébrales autogérées — cette neuroplasticité — sont un fait avéré. » Il désigna ce phénomène « voie vers la neuroplasticité autogérée », et en tira une conclusion dont se réjouirait Roger Sperry et surtout le dalaï-lama : « L'action mentale est capable d'altérer la chimie du cerveau chez un malade du TOC. L'esprit peut en effet modifier le cerveau. »
(BEGLEY Sharon, « Entraîner votre esprit, transformer votre cerveau » (2007) [Compte-rendu de la conférence Mind and Life XII du 18-22 octobre 2004], Avant-propos du XIVème Dalaï-lama, Préface de Daniel Goleman, Éditions Ariane 2008, p. 160-162)

Voir également l'article Soigner un trouble obsessionnel compulsif (TOC) grâce à la pleine conscience (II)


Dromadaire,  Erg Mehedjebat (Algérie)

mercredi 14 novembre 2012

Apprendre de ses erreurs

Un sorcier africain conduit son apprenti dans la forêt. En dépit de son âge, il marche avec agilité, tandis que l’apprenti glisse et tombe à tout instant. Celui-ci blasphème, se relève, crache sur le sol qui le trahit, mais continue à suivre son maître.
Après avoir longtemps marché, ils arrivent dans un lieu sacré. Sans même s’arrêter, le sorcier fait demi-tour et reprend la route en sens inverse.
- « Vous ne m’avez rien enseigné, aujourd’hui, objecte l’apprenti, après une nouvelle chute.
- « Je vous ai enseigné quelque chose, mais on dirait que vous n’apprenez rien, réplique le sorcier. J’essaie de vous enseigner comment on traite les erreurs de la vie. »
- « Et comment les traite-t-on ? »
- « De la façon dont vous auriez dû traiter les chutes que vous avez faites. Au lieu de maudire l’endroit où vous êtes tombé, vous auriez dû chercher ce qui vous avait fait glisser. »
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p. 113; J'ai Lu n°9651, 2011, p.108)

Cactus, Jardin botanique de Funchal (Madère, Portugal)

dimanche 11 novembre 2012

Soigner les désordres alimentaires : la méditation du raisin

La première introduction à la pratique de la méditation à la clinique du stress est toujours une surprise pour nos patients. En règle générale, les gens viennent avec l’idée que méditer veut dire faire quelque chose d’inhabituel, quelque chose de mystique et hors de l’ordinaire ou, à tout le moins, quelque chose de relaxant. Pour les dégager d’emblée de ces attentes, nous donnons à chacun trois raisins et nous les mangeons un par un, faisant attention à ce que nous sommes en train de faire, étant dans cette expérience d’instant en instant. Peut-être allez-vous essayer quand vous aurez lu comment nous faisons.
Nous commençons par regarder attentivement un raisin, nous l’observons soigneusement comme si nous n’en avions jamais vu avant. Nous sentons sa texture sous nos doigts, examinons ses variations de couleur, de relief. Nous sommes aussi conscients de toutes les pensées que nous pourrions avoir au sujet des raisins ou de la nourriture en général. Nous relevons toutes les pensées et les sensations d’appétit ou d’aversion pour les raisins qui se présenteraient tandis que nous l’observons. Puis nous prenons le temps de humer ce raisin et, finalement, avec attention, nous l’approchons de nos lèvres, conscients du bras mobilisant la main pour qu’elle soit dans la bonne position, conscients de saliver tandis que l’esprit et le corps anticipent de le manger. Le processus se poursuit quand nous le mettons en bouche et le mâchons lentement, faisant l’expérience du goût réel d’un raisin. Et quand nous nous sentons prêts à l’avaler, nous sentons monter l’impulsion de l’avaler, si bien que même cette étape est vécue consciemment. Nous imaginons même, ou « sentons » que notre corps est à présent plus lourd d’un raisin.
La réponse à cet exercice est invariablement positive, même parmi les gens qui n’aiment pas les raisins. Ils disent qu’il est agréable de manger comme cela, que cela les change, qu’ils ne se souviennent pas avoir jamais vraiment goûté un raisin, et qu’un seul raisin pourrait les nourrir. Souvent quelqu’un fait le lien et dit que si nous pouvions manger comme cela tout le temps, nous mangerions moins et aurions des expériences plus agréables et plus positives avec la nourriture. Quelques personnes disent qu’elles se sont surprises en train de vouloir manger automatiquement les autres raisins avant d’avoir fini le premier, et reconnaissent à ce moment que c’est leur façon de manger habituelle.
Comme nous sommes nombreux à utiliser la nourriture pour notre confort émotionnel, plus spécialement quand nous nous sentons anxieux ou déprimés, ce petit exercice, qui ralentit les choses et attire notre attention sur ce que nous faisons, illustre la puissance et le manque de contrôle de nos impulsions quand il s’agit de la nourriture. Il montre aussi qu’apporter de l’attention à ce que nous sommes en train de faire, au moment où nous le faisons, peut être vraiment simple et gratifiant, et nous donner le sentiment d’être moins emportés par les situations.
En fait, quand vous commencez être attentif de cette manière, votre relation aux choses change. Vous voyez davantage et vous voyez plus profondément. Vous pouvez commencer à voir un ordre intrinsèque et des connexions entre les choses, qui n’étaient pas apparents avant. Vous voyez, par exemple, la connexion entre des impulsions qui vous viennent à l’esprit et le fait de vous retrouver en train de manger trop, sans tenir compte des messages de votre corps. ... Cela provient de nos tendances habituelles à voir les choses et à les faire mécaniquement, sans y être pleinement présents. Quand vous mangez consciemment, vous êtes en contact avec votre nourriture parce que votre esprit n’est pas distrait. Il ne pense pas à autre chose. Il se focalise sur le fait de manger. Quand vous regardez le raisin, vous le voyez vraiment. Quand vous le mâchez, vous le goûtez vraiment.
Savoir ce que vous êtes en train de faire pendant que vous le faites est l’essence de la pratique de la pleine conscience. Nous appelons l’exercice du raisin la « méditation en mangeant ». Cela nous aide à préciser qu’il n’y a rien de particulièrement inhabituel ou mystique dans le fait de méditer ou d’être pleinement conscient. Cela implique simplement de faire attention à votre expérience d’instant en instant.
(Dr Jon Kabat-Zinn John, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » (1989), J’ai Lu n°9 932, 2012, Préfaces de Thich Nhat Hanh (1989) et Christophe André (2009), p. 90-92)
Jon Kabat-Zinn est l’inventeur d’une méditation accessible à tous : la « méditation en pleine conscience ». Grâce à lui, depuis trente ans, plus de 250 hôpitaux et cliniques à travers le monde l’utilisent comme outil de soin.

Dattes, Sabratha (Libye)

vendredi 9 novembre 2012

Ne pas se laisser emporter par la colère, la jalousie, ...

La deuxième manière de faire face aux émotions perturbatrices consiste à nous dissocier mentalement de l'émotion qui nous afflige. Habituellement, nous nous identifions complètement à nos émotions. Lorsque nous sommes pris d'un accès de colère, nous ne faisons qu'un avec elle. Elle est omniprésente en notre esprit et ne laisse aucune place à d'autres états mentaux tels que la paix intérieure, la patience, ou la prise en considération des raisons qui pourraient calmer notre mécontentement. Pourtant, si, à ce moment-là, nous sommes encore capables d'un peu de présence d'esprit – une capacité que l'on peut s'entraîner à développer –, nous pouvons cesser de nous identifier à la colère.
L'esprit est en effet capable d'examiner ce qui se passe en lui. Il suffit pour cela qu'il observe ses émotions comme nous le ferions pour un événement extérieur se produisant devant nos yeux. Or, la part de notre esprit qui est consciente de la colère est simplement consciente : elle n'est pas en colère. Autrement dit, la pleine conscience n'est pas affectée par l'émotion qu'elle observe. Comprendre, cela permet de prendre de la distance, de se rendre compte que cette émotion n'a aucune substance, et de lui laisser l'espace suffisant pour qu'elle se dissolve par elle-même.
Ce faisant, nous évitons deux extrêmes aussi préjudiciables l'un que l'autre : réprimer l'émotion, qui restera quelque part dans un coin sombre de notre conscience, comme une bombe à retardement, ou la laisser exploser, au détriment de ceux qui nous entourent et de notre propre paix intérieure. Ne plus s'identifier aux émotions constitue un antidote fondamental applicable en toutes circonstances.
(Matthieu RICARD, « L’art de la méditation », Pocket 2010 n°14068, p.116)

Champignon rouge... mais pas de colère ;-)   (Alsace)

mercredi 7 novembre 2012

L’ennui n’est pas dans le monde, mais dans la manière dont nous voyons le monde.

Tout, autour de nous, change sans cesse. Chaque jour, le soleil illumine un monde nouveau. Ce que nous appelons routine est rempli d’occasions nouvelles, mais nous ne savons pas voir que chaque jour est différent du précédent.
Aujourd’hui, quelque part, un trésor vous attend. Ce peut être un petit sourire, ce peut être une grande conquête, peu importe. La vie est faite de petits et de grands miracles. Rien n’est ennuyeux, car tout change constamment. L’ennui n’est pas dans le monde, mais dans la manière dont nous voyons le monde.
Comme l’a écrit le poète T. S. Eliot :
Parcourir les routes, rentrer à la maison,
et voir tout comme si c’était la première fois.
(Paulo COELHO, « Maktub », 1994, Éditions Anne Carrière, 2004, p. 195 ; J'ai Lu n°9651, 2011, p.190)

Phare... sous un angle inhabituel (Bretagne, France)

lundi 5 novembre 2012

Vivons-nous notre vie ?

Le père d'« Aussi Connu que la Lune » (vieille histoire tibétaine)
 Un homme très pauvre, ayant durement travaillé, avait réussi à amasser tout un sac de grain. Il en était très fier et, quand il rentra chez lui, il accrocha le sac à une poutre de sa maison au moyen d'une corde, pour le mettre à l'abri des rats et des voleurs. Quand le sac fut suspendu, pour plus de sûreté, il s'installa dessous afin d'y passer la nuit. Allongé là, son esprit se mit à vagabonder : « Si je peux vendre ce grain par petites quantités, j'en tirerai un plus grand profit... Je pourrai alors en acheter d'autre et recommencer la même opération ; d'ici peu, je serai riche et je deviendrai quelqu'un dans la communauté. Toutes les filles s'intéresseront à moi. J'épouserai une belle femme et, bientôt, nous aurons un enfant... Ce sera un fils, évidemment... Comment pourrions-nous bien l'appeler ? » Laissant son regard errer dans la pièce, il aperçut, par la petite fenêtre, la lune qui se levait.
« Quel signe ! » pensa-t-il. « Voilà qui est de bon augure ! C'est un nom parfait, vraiment : je l'appellerai "Aussi Connu que la Lune"... » Mais, tandis qu'il spéculait de la sorte, un rat s'était frayé un chemin jusqu'au sac et en avait rongé la corde. A l'instant même où les mots « Aussi Connu que la Lune » sortirent de ses lèvres, le sac de grain tomba du plafond, le tuant sur le coup. « Aussi Connu que la Lune », cela va sans dire, ne vit jamais le jour.

Combien d'entre nous, comme l'homme de cette histoire, sommes pris dans le tourbillon de ce que j'appelle aujourd'hui une « paresse active » ? Il existe, naturellement, différentes sortes de paresse : il y a la paresse à l'orientale, et celle à l'occidentale. La paresse à l'orientale est pratiquée à la perfection en Inde. Elle consiste à flâner au soleil toute la journée, sans rien faire, à éviter toute forme de travail et toute activité utile, à écouter de la musique de film hindie à la radio et à discuter avec des amis tout en buvant force tasses de thé. La paresse à l'occidentale est tout à fait différente : elle consiste à remplir sa vie d'activités fébriles, si bien qu'il ne reste plus de temps pour affronter les vraies questions.
Si nous examinons notre vie, nous verrons clairement que nous accumulons, pour la remplir, un nombre considérable de tâches sans importance et quantité de prétendues « responsabilités ». Un maître compare cela à « faire le ménage en rêve ». Nous nous disons que nous voulons consacrer du temps aux choses importantes de la vie, mais ce temps, nous ne le trouvons jamais. Rien qu'en se levant le matin, il y a tant à faire : ouvrir la fenêtre, faire le lit, prendre une douche, se brosser les dents, donner à manger au chien ou au chat, faire la vaisselle de la veille au soir, s'apercevoir qu'on n'a plus de sucre, ou plus de café, aller en acheter, préparer le petit déjeuner – la liste est interminable. Puis, il y a les vêtements à trier, à choisir, à repasser et à replier. Enfin il faut se coiffer, se maquiller... Impuissants, nous voyons nos journées se remplir de coups de téléphone, de projets insignifiants ; nous avons tant de responsabilités... Ne devrions-nous pas dire plutôt d'« irresponsabilités » ?
C'est notre vie qui semble nous vivre, nous porter et posséder sa propre dynamique étrange. En fin de compte, tout choix et tout contrôle semblent nous échapper. Bien sûr, il nous arrive d'en ressentir un certain malaise, d'avoir des cauchemars et de nous réveiller en sueur. Nous nous demandons alors : « Que suis-je en train de faire de ma vie ? » Mais au petit déjeuner, nos peurs se sont dissipées ; nous reprenons l'attaché-case et... nous voici revenus au point de départ.
(Sogyal Rinpoché, « Le livre tibétain de la vie et de la mort », Éditions de la Table Ronde 2003,  p.45-47 ; Livre de Poche n°30 024, p.57-59)

Lune (Photo prise à proximité de l’observatoire de Byurakan, Arménie)